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La bibliothèque du professeur Blequin (3)

Publié le 20 décembre 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

Devezh mat, Metz, mont a ra ? Ce n’est pas un secret, j’aime beaucoup les livres ; c’est pourquoi j’ai décidé de vous parler régulièrement des livres que j’ai lus ou relus. Gardez bien à l’esprit que mon avis en vaut largement un autre…

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Philippe Geluck, La Bible selon le chat, Casterman, 2013 : Pendant longtemps, le Chat n’était qu’un dessin immobile et impassible ; mais un jour, Philippe Geluck l’a fait sortir de l’espace étriqué dans lequel le confinait la parution dans la presse quotidienne et le matou, vivant désormais ses aventures sur des supports divers et variés et notamment à la télévision où il a acquis voix et mouvement : devenu un personnage à part entière bénéficiant d’une gamme d’expression des plus variées, il a désormais le champ libre pour interpréter les grands rôles, et il commence fort en interprétant carrément Dieu lui-même dans ce nouvel opus composé de deux livres au format à l’italienne et revisitant la Bible avec l’humour indéfinissable mais irrésistible de son créateur dont le graphisme efficace, épuré et parfaitement maîtrisé (il a notamment dessiné une Êve à croquer[1]) fait merveille pour produire des mises en scènes magnifiquement iconoclastes des passages les plus fameux de l’ancien testament. Dieu, un chat ? Pourquoi pas ! Personne ne sait à quoi il ressemble et après tout, les Égyptiens adoraient bien les chats comme des dieux (au Graoully, on les comprend un peu) ; pas sûr que ça calme les intégristes qui ne manqueront pas de râler, mais peu importe, le livre ne s’adresse pas à ces imbéciles mais bien à ceux qui, comme Geluck, n’ont pas honte de rire de tout. Il n’empêche que dans la frilosité ambiante, ce bouquin est vraiment bienvenu.

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Les Guignols de l’info, L’agenda secret de Jacques Chirac, Canal+, 1994 : Ne dites surtout pas à Benoît Delépine, Jean-François Halin et Bruno Gaccio qu’ils ont contribué à faire élire Chirac, ils vous riront au nez avant de vous rappeler qu’au temps où ils écrivaient les sketches des Guignols, le vrai Jacques Chirac n’appréciait guère d’être représenté sous les traits d’un bidochon passant ses journées à ne rien faire et attendant avec impatience son « boulot de dans deux ans » ; ils ont même reçu la visite d’un collaborateur de Chirac qui n’a pas manqué de les engueuler et de les accuser de vouloir saboter sa campagne mais qui a quand même reconnu que l’agenda du maire de Paris n’était pas très chargé : c’est cette remarque qui a donné l’idée aux trois compères d’éditer cet « agenda secret » qui est en fait plutôt un journal intime et qui peut se lire comme un roman en trois grandes parties : de janvier à mars, Chirac a encore des journées très chargées, en tant que leader de la droite, il mène la campagne pour les législatives de 1993. De mars à septembre, une fois les élections gagnées et le gouvernement Balladur en place, il cherche désespérément des occupations, faisant un peut tout et n’importe quoi, jusqu’à pratiquer le dognapping (l’enlèvement de chiens, quoi !). De septembre à décembre, il a désormais un passe-temps dont il se serait bien passé : empêcher Balladur de lui faire de l’ombre ; il déploie pour ça des techniques peu recommandables (filatures, lettres anonymes) qui relativisent grandement l’impression que les auteurs aient cherché à le rendre sympathique… Mais qu’importe, on rigole bien en lisant les aventures de ce personnage emblématique des Guignols dont la légende doit une partie de son succès à ce livre qui fait encore figure d’ovni littéraire vingt ans après sa parution. Putain, vingt ans !

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À bas la pub !, Charlie Hebdo hors-série n°12H, 2013 : Charlie avait déjà sorti un hors-série intitulé À bas la pub ! dans les années 1990 ; en ce temps-là, la contestation de la publicité pouvait encore se limiter au refus de l’enlaidissement des paysages, à la critique des clichés qu’elle débitait au kilomètre et à la pause-pipi pendant les écrans de pub à la télé. Mais ça, c’était avant : on ne croyait pas qu’on en arriverait à regretter cette époque où on pouvait encore échapper à la pub et où elle était plus risible qu’autre chose. Aujourd’hui, les progrès de la technique ont rendu la pub de plus en plus invasive, elle n’est plus loin de partir directement à l’assaut de notre cerveau, et maintenant, quand Charlie nous parle de la pub, on ne rit plus beaucoup, on a plutôt froid dans le dos… Même un professionnel de la publicité comme le dénommé Michel Guillier, interviewé par Gérard Biard, est obligé de reconnaître que son travail n’évolue pas dans le bon sens… Bon, pas de panique, on peut encore y échapper voire y résister, et le hors-série vous explique comment, mais il faut agir dès maintenant…

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Jean-Christophe Chauzy et Yan Lindingre, À qui le tour ?, Fluide Glacial, 2013 : Il n’est pas nécessaire d’avoir le style de Vuillemin pour dessiner avec brio des scènes sordides ; Chauzy le prouve en mettant son graphisme élégant, qui rappelle les toiles de Turner, au service des scénarios de Lindingre, donnant lieu à une des collaborations les plus épatantes de l’histoire de la bande dessinée d’humour depuis Time is Money de Fred et Alexis. Ces histoires courtes hautes en couleur, mâtinées d’un humour noir digne du Hara-Kiri de la grande époque, diffèrent toutes entre elles et ont pour dénominateur commun de nous montrer à quel point les assassins qui nous font tant frissonner dans les pages « faits divers » des journaux sont le plus souvent des crétins, des ratés, des minables, des gens qui ne cassent rien ; bref, ils sont plus cons que méchants et c’est justement ça qui les rend si dangereux. Y a-t-il un « humour lorrain » ? La question mérite d’être posée tant Lindingre semble sorti de la même époque d’humoristes que ses compatriotes Lefred-Thouron et Diego Aranega, ont la capacité de cerner la connerie dans toute son horreur ; en tout cas, il y a quelque chose de typiquement lorrain dans cet album : ce monde peuplé de prolétaires plus ou moins abrutis par des années de labeur avant d’être complètement désœuvrés, abandonnés par la société capitaliste pour laquelle ils n’était plus assez rentables et qui n’ont plus rien à perdre, pour survivre, que de commettre les pires exactions, qui n’ont plus que la picole et des saillies bien peu romantiques pour rêver dans un univers sans perspective qui lâche la bride à leur veulerie et à leur cruauté… Je sais pertinemment que la Lorraine, ce n’est pas que ça, mais Lindingre ferait-il le même humour s’il était breton ou issu du Midi de la France ? Cela n’empêche pas ces petites histoires d’avoir une valeur internationale : toute personne qu’effraient les faits divers sordides qui font les choux gras de la presse a intérêt à lire cet album qui le libérera de cette peur pour laisser la place à une saine dérision…

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Gotlib, Rubrique-à-brac taume 2, Dargaud, 1971 : Pourquoi cet album en particulier et pas un autre parmi les cinq volumes de l’immortel chef-d’œuvre de Gotlib ? Il faut tout d’abord savoir que la publication des albums de la Rubrique-à-brac n’a rien eu de linéaire et que l’ordre de numérotation des albums n’est que très partiellement fidèle à l’ordre dans lequel les planches ont paru dans Pilote ; de ce fait, quand Dargaud publie ce deuxième volume, Gotlib est déjà une légende vivante, l’idole des lecteur du journal, et l’éditeur publie ce deuxième album largement après la sortie du premier, comme un faveur qu’il accorde à l’un de ses plus beaux fleurons (avec l’assurance d’un gros succès commercial, évidemment), sans envisager encore d’en sortir un troisième, alors même qu’il a en réalité déjà assez de matière pour en être déjà au tome 4 ; il n’a donc gardé que les meilleurs morceaux pour ce « taume 2 » qui est incontournable en ceci qu’y sont compilées les « rubriques-à-brac » grâce auxquelles Gotlib, désormais totalement libéré de l’influence dévoratrice de Goscinny (envers lequel il n’en a pas moins une dette certaine), achève de dynamiter les codes de la B.D. à la papa et d’engouffre avec plaisirs dans les plus grands délires jamais imaginé, mettant à contribution jusqu’au cadre de la traditionnelle vignette. Bref, cet album regroupe les « R.A.B. » les plus légendaires, telles que « La hyène », « La double vie de Clark Kent », « Quelques thèmes de science-fiction », « La marionnette infernale » et, bien sûr, « La girafe », autant de chefs-d’œuvre qui dont de ce « taume 2 » un album fondateur pour la B.D. d’humour contemporaine : en 1971, Gotlib a déjà fait sauter presque tous les verrous qui l’empêchaient d’évoluer, il ne lui reste plus qu’à faire tomber les tabous de la sexualité et de la scatologie, ce qui sera fait l’année suivante avec la création de L’écho des savanes.

À bientôt pour de nouveaux coups de cœur littéraires ! Kenavo, les aminches !


[1] Non, je ne l’ai pas fait exprès,  je vous jure !


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