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Iran : la route de l’apocalypse nucléaire

Publié le 22 décembre 2013 par Laurentarturduplessis

Kissinger et Shultz pourfendent les illusions

Une tribune publiée début décembre par le « The Wall Street Journal » intitulée « Quel devrait être l’accord final avec l’Iran », signée des anciens secrétaires d’État Henry Kissinger et George Shultz, pourfend les illusions sur l’accord signé le 24 novembre dernier entre le Groupe 5+1 (les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU + l’Allemagne) et l’Iran. Kissinger et Schultz constatent que « l’Iran a été autorisé à continuer à augmenter son stock de sept tonnes d’uranium enrichi à 3,5%-5%, sous la réserve que ce stock devra retourner à son niveau d’origine au terme des six mois. » Conséquence : l’Iran « se servira [de ce supplément] comme d’un levier pour les négociations ultérieures ». Les autres dispositions de l’accord sont de la même veine. « L’Iran a accepté de « neutraliser » son petit stock enrichi à 20% avant le terme de l’accord, bien qu’il maintienne sa capacité technique à enrichir un stock équivalant à une date ultérieure. » Concernant la filière plutonium, « il a été décidé une pause sur le réacteur à eau lourde et le retraitement du plutonium dans les installations d’Arak, mais il s’avère que les travaux annexes se poursuivront sur le site. »
Les deux hommes estiment que « la conduite de l’Iran qui était auparavant condamnée comme illégale et illégitime a été acceptée comme une base, incluant l’acceptation de l’enrichissement de l’uranium (à 5%) durant la période d’essai. Et cette base a une signification stratégique. Il s’agit d’avoir un stock d’uranium faiblement enrichi couplé à une infrastructure suffisante pour l’enrichir en quelques mois au taux nécessaire pour fabriquer la bombe atomique, ainsi qu’un moyen de produire du plutonium à utilisation militaire dans les installations d’Arak en chantier. » L’accord du 24 novembre signé à Genève a offert à la diplomatie iranienne ce qu’elle voulait : « Comme on pouvait s’y attendre, constatent Kissinger et Shultz, de retour à Téhéran, le négociateur iranien a présenté l’accord comme reconnaissant à l’Iran son droit, réclamé depuis si longtemps, à l’enrichissement de l’uranium et, par conséquent, éliminant la menace américaine d’employer la force en dernier recours. »
Dans ce contexte, la menace d’un retour au régime initial des sanctions et de son renforcement si les Iraniens déméritent, manque de crédibilité. Les sociétés seront « d’autant moins enclines à appliquer les sanctions qui sont l’objet de la négociation que celles-ci semblent vouées à disparaître. Ce risque sera renforcé si prédomine l’impression que les États-Unis ont décidé de réorienter leur politique au Moyen-Orient dans le sens d’un rapprochement avec l’Iran. Elles auront avant tout envie d’aller sur place reconstituer ou installer des échanges commerciaux, des investissements et des relations politiques. »
Quid d’un éventuel développement par étapes successives du processus initié à Genève ? « La proposition d’une série d’accords intérimaires instituant des restrictions au programme nucléaire contre des tranches d’allègement des sanctions semble impraticable, estiment Kissinger et Shultz. Une tranche provisoire supplémentaire signifierait la fin du régime des sanctions. Les sanctions supplémentaires devront être intégrées à un accord définitif. »
Les coauteurs de la tribune sont très inquiets : « Le danger de l’actuelle dynamique est que l’Iran devienne un État du seuil nucléaire. » Comment éviter cela ? « Si les six mois de « gel » convenus à Genève sont autre chose qu’une pause tactique dans la marche de l’Iran vers une capacité nucléaire militaire, la capacité technique de l’Iran à construire une arme nucléaire devra être substantiellement réduite lors des prochaines négociations à travers une réduction stratégiquement significative du nombre des centrifugeuses, des limitations concernant l’installation des centrifugeuses de nouvelle génération, et la fermeture de la route menant à une capacité de production du plutonium. L’activité doit se limiter à un plausible programme nucléaire civil assujetti à la rigoureuse surveillance requise par le Traité de non prolifération nucléaire. » Le monde est à un tournant : « La préservation du régime global de non prolifération nucléaire et l’évitement d’une course à l’armement nucléaire au Moyen-Orient sont en jeu ».

La rupture du front uni contre l’Iran

Le scepticisme inquiet de Kissinger et Shultz contraste avec l’euphorie de la majeure partie des médias occidentaux : ils proclament que l’accord du 24 novembre empêchera l’éclatement d’un conflit international majeur. C’est, hélas, typiquement le genre d’illusion qui accompagne la gestation des grands conflits internationaux en se repaissant de veulerie et de manque de lucidité.
Les années 30 offrent des exemples de cela. Le 18 juin 1935, sans concertation avec ses alliés, Londres signa avec Berlin le Traité naval germano-britannique autorisant le Troisième Reich à se doter d’une marine de guerre, ce que lui interdisait jusque-là le Traité de Versailles. L’accord de 1935 prévoyait un plafonnement permanent à 35% du tonnage de la Royal Navy pour les unités allemandes de surface (45% pour les sous-marins). L’Allemagne se lança aussitôt dans la course aux armements navals. Que devint le plafonnement à 35% ? Le 28 avril 1939, Adolphe Hitler le balaya en résiliant unilatéralement le traité…
En 1936, Londres s’obstina dans l’erreur en rejetant la proposition française de lancer une expédition militaire franco-britannique pour réoccuper la Ruhr, jusque-là démilitarisée, que l’armée allemande venait de réinvestir. Par cet audacieux coup de main, Hitler reprenait entièrement le contrôle d’une région industrielle vitale pour le réarmement allemand. La France n’osa pas ignorer ce refus et réoccuper la Ruhr sans l’appui militaire britannique, bien que cela eût été possible : l’armée allemande de 1936 était beaucoup moins forte que celle de 1940. C’est pourquoi Hitler avait ordonné à ses troupes de rebrousser chemin si elles se heurtaient à une contre-offensive.
Au sujet du dossier nucléaire iranien, les États-Unis ont répliqué la trahison britannique des années 30. Dans les mois qui précédèrent l’accord du 24 novembre dernier, Washington avait mené des négociations bilatérales avec Téhéran sans en informer ses alliés. Ces négociations secrètes ont fourni la trame de l’accord de Genève, qui concède à l’Iran le droit à l’enrichissement de l’uranium bien que le secrétaire d’État américain, John Kerry, affirme le contraire. L’Occident a renoncé à ce qui avait été jusque-là la ligne rouge des négociations. À l’instar du Royaume-Uni en 1935 face à l’Allemagne, les États-Unis ont rompu le front uni des alliés face à l’Iran en l’autorisant à enrichir l’uranium sur son sol. Donc en lui octroyant un laissez-passer vers la bombe atomique.
C’est le sens profond de cet accord dit « intérimaire » et c’est ainsi que l’interprètent Israël et l’Arabie Saoudite. Une interprétation corroborée par un élément particulièrement inquiétant de l’accord du 24 novembre : la solution « complète » à la crise, si elle voit le jour, sera limitée dans le temps. Les restrictions au programme nucléaire iranien ne seront pas permanentes. À une date non précisée, qui pourrait être dans trois, cinq ou dix ans, en tout cas très postérieure au démantèlement du régime de sanctions internationales, le programme nucléaire iranien sera reconnu comme légal et l’Iran bénéficiera des droits garantis par le TNP.

L’heure de la prolifération nucléaire a sonné

L’Arabie Saoudite considère son alliance avec les États-Unis comme caduque. Le mois dernier, elle a refusé de siéger au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, au motif que la reculade américaine sur l’Iran l’a rendu nuisible aux intérêts saoudiens.
L’Arabie Saoudite prépare déjà, discrètement, son accès au club des puissances nucléaires en discutant avec le Pakistan, pour qu’il lui fournisse des bombes atomiques en application d’un accord liant les deux pays : Riyad avait puissamment contribué au financement du programme nucléaire pakistanais contre l’engagement par Islamabad de l’équiper en armement nucléaire à sa demande.

Rapprochement israélo-saoudien

L’accord du 24 novembre rapproche Riyad et Tel Aviv. Dans une interview donnée à Bloomberg, la célèbre chaîne de télévision économique américaine, le prince saoudien AL- Walid Ben Talal Ben Abdel Aziz, petit-fils du roi Ibn Saoud, fondateur de l’Arabie saoudite, a déclaré : « L’Arabie saoudite, les Arabes et les musulmans sunnites approuvent une attaque israélienne contre l’Iran pour détruire son programme nucléaire». Le prince a précisé que «les sunnites appuieraient une telle attaque car ils sont hostiles aux chiites et à l’Iran […] Les Arabes estiment que le danger auquel ils sont confrontés vient de l’Iran et non pas d’Israël ».
La température monte au Proche-Orient…



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