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Guide pratique des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale

Par Mbertrand @MIKL_Bertrand
Guide pratique des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale

Franck DAVID, Comprendre le monument aux morts, Lieu du souvenir lieu de mémoire, lieu d’histoire, Paris, Editions Codex et Ministère de la Défense – DMPA, 2013.

En quelques dizaines de pages, Franck DAVID propose au lecteur une synthèse très pratique pour mieux regarder et comprendre les monuments aux morts qui peuplent la plupart des 36 000 communes françaises en déchiffrant « les codes et les signes [qui] ne nous parlent plus autant qu’hier à leurs contemporains » (p. 23).

Près d’un siècle après leur apparition dans le paysage urbain comme rural, la pierre fatiguée ne bénéficie généralement plus que d’un rare regard délaissé. Absents des brochures et de la plupart des guides touristiques, ils sont également oubliés des lieux mis à l’honneur lors des journées du patrimoine. Et pourtant, ils restent dressés, fiers, obstinés et dotés d’une valeur qu’aucun ne saurait contester. D’ailleurs, il n’est pas anodin de remarquer qu’ils sont généralement épargnés par le vandalisme.

Franck David explique cette persistance par l’essence même du monument aux morts, hommage à des individus qui permettent de lier le destin d’une communauté locale à l’histoire nationale. Si cette pratique se généralise à l’issue de la Première Guerre mondiale, elle apparait progressivement au cours du XIXe siècle, simultanément aux États-Unis pour honorer les soldats tombés lors des guerres indiennes dans les années 1840 et en France avec la colonne de Juillet sur la place de la Bastille à Paris qui rassemble les noms des émeutiers de juillet 1830.  Mais ce n’est qu’avec la Première Guerre mondiale et l’immensité des pertes humaines que l’État et les communes décident d’assurer à leurs disparus « la survivance du souvenir individuel dans la mémoire collective » (p. 27), permettant ainsi à la communauté locale de renforcer son sentiment d’intégration dans l’histoire nationale.

Après avoir situé le contexte général d’érection des monuments aux morts en France, l’auteur propose quelques éléments de réflexion permettant d’en comprendre les principales logiques et débats au moment de leur construction. Ainsi, le positionnement au sein de la commune peut être révélateur de choix politiques contemporains : placé à côté de la mairie, le monument insiste sur la dimension républicaine de l’hommage aux morts pour la France ; à côté de l’église, il témoigne d’un ancrage religieux persistant malgré la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 ; enfin le positionnement au sein du cimetière place plutôt le deuil dans le domaine de l’intime.

Franck David propose également une grille de lecture symbolique qui permet d’analyser pratiquement tous les monuments aux morts de France par l’intermédiaire des éléments végétaux, des ornements militaires, des symboles funéraires, des mentions à la République ou encore des mentions religieuses.

La représentation du Poilu n’est pas non plus anodine, qu’il soit peint en soldat protecteur ou bien en farouche combattant, vivant ou mort, héros victorieux ou victime. Parfois, il est également accompagné d’une figure féminine, représentant tantôt la victoire, tantôt la Patrice, parfois même la Nation sous les traits de Jeanne d’Arc. Sinon, la femme est le plus souvent une mère ou une veuve éplorée venant se recueillir sur la tombe du défunt fils ou mari.

Guide pratique des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale

Réalisé par Aristide Maillol qui était originaire du pays, le monument aux morts de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) était initialement placé sur un rocher à la sortie du port avant d’être déplacé près de la mairie. La composition en triptyque renvoie aux retables des églises. Au centre, le corps nu de l’homme exalte la force et la vigueur, mais contraste avec le casque censé le protéger et l’épée posée sur le sol qui donnent une impression de grande vulnérabilité. Les femmes qui l’encadrent pleurent.

Outre la représentation picturale, ce sont a priori les noms des morts qui sont au centre du monument. Franck David rappelle qu’à défaut d’un rapatriement systématique, qui était d’ailleurs souvent impossible, « le monument représente donc la seule référence explicite au défunt […]. A défaut d’honorer leurs restes, le monument célèbre leur geste » (p. 61). Dans un premier temps, la loi du 25 octobre 1919 prévoit d’inscrire ces noms sur des registres déposés au Panthéon puis sur un livre d’or remis par l’Etat à chaque commune. Ce n’est que dans un second temps que les municipalités vont s’emparer de ce recensement comme base pour les monuments aux morts.

Faute de pouvoir constituer une synthèse exhaustive, l’ouvrage propose donc une sorte de guide pratique et pédagogique permettant d’étudier l’histoire du monument aux morts de sa commune à l’image de ce que proposait également le cabinet d’ingénierie mémorielle En Envor. Il est ainsi possible de reconstituer l’histoire derrière les noms gravés dans la pierre à partir du site Mémoire des hommes qui rassemble notamment les journaux des marches et opérations.

Mais si l’auteur encourage les citoyens français à participer à l'écriture de leur histoire locale et nationale à partir des monuments aux morts, il propose également de façon plutôt audacieuse de ne pas tomber dans une forme de sanctuarisation de ces lieux de mémoire. Il affirme au contraire que « s’il convient de conserver l’engagement initial de l’Etat à perpétuer la mémoire, les contemporains ont aussi à transformer et/ou transcender la composition initiale pour lui éviter l’obsolescence » (p. 84). Les artistes et les citoyens sont donc invités à s’emparer du contexte du Centenaire de la Grande Guerre et de la nécessité de rénover la plupart des monuments aux morts pour actualiser, dépoussiérer et moderniser ces monuments dont les codes de lecture rassemblés et expliqués dans cet ouvrage tombent progressivement en désuétude.

La présence de nombreuses illustrations issues des collections personnelles de l’auteur n’est pas un des moindres atouts de ce petit ouvrage. On peut néanmoins regretter l’absence d’analyses détaillées de certains monuments cantonnés à une stricte valeur illustrative. Il est également frustrant de voir les monuments aux morts de la Grande Guerre construits hors des frontières dans les colonies relégués à quelques lignes en fin d’ouvrage alors que leur construction (puis leur destruction, déplacement, abandon, ou maintien au cours du XXe siècle) pourrait à notre avis faire l’objet d’un chapitre indépendant, si ce n’est d’une étude à part entière. Comme le précise cependant Franck David à l’issue de son ouvrage : « le sujet n’est pas clos, il est à peine esquissé » et nous espérons donc pouvoir lire prochainement d’autres études aussi passionnantes sur les « mémoires de pierre ».


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