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Je débarque : Castlevania, Symphony of the Night

Publié le 30 décembre 2013 par Darksroker

Jaquette SOTN

Voilà, docteur Van Helsing, comment ça se passe. Il me harcèle. Depuis que je l’ai rencontré, il revient chaque année. Combien de fois l’ai-je tué ? Je ne sais plus… Je l’ai brûlé à l’acide. Je l’ai fouetté. Il me semble qu’une fois, je lui ai coupé la tête ! Et pourtant, tous les hivers, lorsque les jours raccourcissent et que, partout dans le monde, les forces de la glande se réveillent, il ressuscite, sous une forme toujours plus diabolique que la précédente. Et moi, je suis tombé en esclavage, de ce vampire, de ce carnage, et je lui dis ramène-toi. Il… Il m’obsède. Peut-être devrai-je former ma descendance à le combattre.

Que… Quoi ? Non, il ne scintille pas à la lumière du jour, quelle question stupide, vous croyez que je parle de la putain de Fée Clochette ? A vrai dire, c’est plutôt pas son truc le jour, en fait il pense à imposer la nuit éternelle sur l’univers. Que… Quoi ? Non, il ne fait pas partie des viandes de volaille, vous croyez que je parle du putain de méchant de Rock-O-Rico ?

DRACULA, merde, Dracula, vous connaissez ? Il est quand même reconnaissable, regardez ce look bishônen, les longs cheveux blancs, la barbiche stylée… Et tout le monde connaît sa fameuse forme finale qui ressemble à un triple xénomorphe. Que… Quoi ? Sucer le sang des gens pour les transformer à leur tour en vampires ? Ah, c’t’une bonne question, ça, à vrai dire, je crois que je ne l’ai jamais vraiment vu le faire… Ca, il doit externaliser. Je vous dis, il se concentre sur son cœur de métier de faire régner le chaos et la désolation depuis son château qui se reconstruit tout le temps… Je vous vois froncer les sourcils, ça ne vous dit rien ? Peut-être devons-nous nous mettre au diapason sur nos versions respectives du mythe.

Par exemple, il m’est avis que le stress post-traumatique de Jonathan Harker vient en fait de ses 4283 tentatives de battre ce boss.

Par exemple, il m’est avis que le stress post-traumatique de votre ami Jonathan Harker vient en fait de ses 4283 tentatives de battre ce boss.

Quand les Nippons de Konami ont créé Castlevania en 1986, ils ont sacrément réglé son compte au comte. Dans le tout premier épisode sur NES, de l’infatigable voyageur du roman de Bram Stoker, il ne reste qu’un vieux grigou casanier perché en haut de son château, attendant l’arrivée d’un valeureux guerrier métrosexuel qu’il pourra affronter en combat singulier, en envisageant peut-être après ça d’envoyer quelques malédictions destructrices de civilisations depuis son balcon. Vous trouvez ça con ? En fait, ce jeu est une légende. Il a laissé une trace dans l’histoire vidéoludique à laquelle peu d’autres titres peuvent prétendre, magnifiant le genre du sidescroller de plate-forme qui, mine de rien, excepté Mario, n’en était encore qu’à ses premières gammes. Des millions de joueurs, des millions d’expériences différentes de Castlevania : certains se souviennent surtout de sa bande-son explosive, opéra rock de chiptune qu’on ne pensait pas une casserole de 8 bits capable de produire. D’autres ont été marqués par l’ambiance à la fois oppressante et chatoyante de la demeure, culminant par ce grand escalier qui conduit au cercueil du seigneur des ténèbres. Mais tous ces aventuriers tombent d’accord sur un point : le challenge insensé que représente encore aujourd’hui le soft.

Sur TV Tropes, on appelle ça du « Nintendo Hard » : une inertie prononcée, tant dans la vitesse de déplacement du héros Simon Belmont que dans le déploiement de son iconique fouet, sans parler des sauts rigides et incontrôlables une fois la touche A activée. N’oublions pas le systématique bond en arrière que fait Simon lorsqu’il est touché, qui s’achève bien souvent au fond d’un précipice ou d’une de ces terribles étendues d’eau qui font le même effet au chasseur de vampires qu’un french-kiss avec le cœur du réacteur de Tchernobyl. Avant de voir l’ombre d’une canine de Dracula, le joueur doit d’abord traverser une flopée de niveaux au design pervers, essuyer les attaques incessantes d’une armée d’ennemis, dont les plus exaspérants restent les têtes de Gorgone Méduse et ces affreux petits bossus qui sautent dans toutes les directions, et surtout, se débarrasser d’une pléiade de bosses retors, comprenant un couple de momies collantes, le monstre de Frankenstein mais aussi la Grande Faucheuse elle-même. Pour avoir ne serait-ce qu’une chance d’accomplir cette tâche herculéenne, le jeu vous confère un atout : des continues infinis à la Ghosts’n Goblins. Chaque Game Over ne vous ramène qu’au début du niveau correspondant. Sorti de là, si vous laissez votre NES allumée pendant plusieurs jours et que vous revenez chaque soir vous acharner sur le soft comme si c’était un devoir-maison, au bout du bout, vous vaincrez Castlevania. C’est forcé : tout est une question d’essais et de mémoire. Les trajectoires des ennemis vous contraignent à vous arrêter pour peser vos décisions, mais elles restent toujours les mêmes ; et puisque vous avez l’éternité, vous pourrez toujours profiter de ce fameux millionième essai où, inexplicablement, la Mort décidera d’y aller plus mollo avec vous. Je parle toujours du boss, hein.

« Oui, ce coup-ci, j’ai laissé de côté le déluge de faux dans tous les sens, je vais plutôt te tourmenter avec le concept même de cessation de l’existence. Par contre, si tu pouvais arrêter avec les crucifix, c’est pas du jeu. »

« Oui, ce coup-ci, j’ai laissé de côté le déluge de faux dans tous les sens, je vais plutôt te tourmenter avec le concept même de cessation de l’existence. Par contre, si tu pouvais arrêter avec les crucifix, c’est pas du jeu. »

Passons sur le deuxième épisode de la saga, Simon’s Quest, qu’on peut décemment considérer comme idiot, bête, débile, imbécile et stupide, du fait de l’impossibilité de le finir sans avoir une solution complète sous les yeux, tant les manipulations à effectuer pour avancer sont indevinables. Est ensuite sorti Castlevania 3 : Dracula’s Curse, préquelle dopée aux sels de bain, avec notamment de nouveaux personnages jouables : Sypha la magicienne, Grant le brigand, et – notez, c’est important pour la suite – Alucard, le fils du comte démoniaque, qui pour sa part est plutôt en fait un chic type une fois que vous lui avez mis sa pilule en duel. La musique déchire encore plus, il y a des fourches avec des chemins alternatifs, Dracula est encore plus balèze avec ses trois formes de ouf : nombre de fans considèrent cet épisode comme le meilleur Castlevania de tous les temps. Pour ma part, je m’abstiens, étant donné que CE JEU ME VIOLENTE PAR TOUS LES ORIFICES A CHAQUE FOIS QUE J’ESSAIE D’Y JOUER. Je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas hardcore gamer, et là, c’est trop dur, c’est au-delà de mes compétences. Je laisse les clés de la ville et mon numéro de carte de crédit à Dracula.

Après ça, nous sommes passés à la Super Nintendo, où l’équipe nous a pondu le très beau Super Castlevania IV, et a donné trois bisous pour chaque séquelle infligée par la préquelle. Le résultat est fun, fluide, détaillé, léché. Le jeu parfait… Trop parfait ? Konami a en effet poussé la frustrationectomie très loin dans cet épisode. Les sauts sont maintenant contrôlables, les ennemis plus gentils et le fouet, utilisable dans 8 directions, rendant quasiment inutiles les armes secondaires si salvatrices dans les épisodes précédents. Le jeu en est presque devenu… Gasp… Trop FACILE ? Je ne sais pas ce que je veux. Mais quid des graphismes somptueux ? De la bande-son divine ? Tout ceci est indéniable, mais je dois dire qu’une amie m’a ouvert un peu les yeux sur ce volet : « J’aime pas ce jeu. Il me donne l’impression d’une motte de beurre fondue. Tu le commences, tu enfonces le doigt et rien ne t’arrête, et avant que tu t’en sois rendu compte, t’en es déjà au bout de ton bras. » Après avoir poussé une vingtaine de « ooorrrhhh » scandalisés au visage de ma pote, j’ai fini par comprendre : en effet, du fait à la fois de sa linéarité et de son challenge très émoussé, Super Castlevania IV n’est pas le meilleur de la série.

Je veux bien par contre donner une chance au jeu où apparaît ceci.

Je veux bien par contre donner une chance au jeu où apparaît ceci.

Venons-en au fait, je suis là pour traiter de Castlevania : Symphony of the Night, sorti en 1997 sur Playstation. En ce temps-là, la licence soufflait déjà sa onzième bougie. La nouvelle génération de consoles, avec l’espace de stockage décuplé des CD, impliquait pour les développeurs de revoir leur formule. Resservir un Mario-kifépeur rectiligne aurait commencé à sentir le réchauffé. Il fallait gonfler l’expérience de jeu, la mettre à hauteur des gamins des années 90, moins patients que leurs aînés, tout en décuplant le spectacle. C’est à ce moment-charnière que le sentiment d’accomplissement donné par les jeux vidéo s’est déplacé de la difficulté vers le storytelling, que les Rayman ont cédé la place à des Rayman : The Great Escape. Dont acte. L’action prend place en 1792, directement après la fin de Castlevania : Rondo of Blood. Alors qu’en France, on ne sait pas trop quoi faire de Louis XVI, en Transylvanie, on ne sait pas trop quoi faire de Richter Belmont, l’un des plus brillants chasseurs de vampires, qui semble avoir pété un câble. Le château éponyme est de nouveau sorti des ténèbres, avec Richter comme nouveau maître des lieux. Se sentant inutile après sa victoire sur le comte dans l’épisode précédent, il est déterminé à le ressusciter une nouvelle fois pour avoir le plaisir de le combattre jusqu’à la fin de ses jours. On se doute que ce plan de transformation de Dracula en punching-ball éternel a quelque chose de fumeux. La menace est suffisamment importante pour qu’Alucard s’extirpe de son sommeil multiséculaire pour voir de quoi il retourne, arborant désormais un tout nouveau look de blonde platine (DJ).

Le jeu commence par une fin, celle de Rondo. Vous vous faites la main sur Richter, dans une reconstitution de son duel contre le grand Saigneur, où il vous est impossible de mourir. Si vous videz votre barre de vie (hahaha, vous êtes trop nul), vous aurez le plaisir de voir votre amie Maria surgir d’un coin de l’écran pour vous donner un superpouvoir de cassage de bouche de Dracula avec invincibilité en prime. Mine de rien, ce prologue représente plutôt bien ce que sera Symphony Of The Night : un joyau de beauté graphique (des myriades de couleurs qui flashent de partout), une aventure captivante (un certain ménagement du suspense), et surtout, un fun monstrueux (une prise en main immédiate par une rouste rémunératrice en endorphines). D’un autre côté, cette première séquence nous laisse aussi entrevoir les points les plus diviseurs du soft, en particulier le jeu de ses acteurs aux frontières du ridicule et, bien sûr, une assez grande facilité. Des points diviseurs, pas forcément faibles : la facilité sera compensée par un nouveau système de jeu que nous allons aborder ci-dessous… Et puis les acteurs qui ne jouent pas bien ? Non, en effet, ils ne jouent pas bien. Ils jouent d’une manière over-kitsch mais INEXPLICABLEMENT EPIQUE. Internet ne s’est toujours pas remis de Dracula qui hurle du Malraux. En tout cas, je vous jure, c’est mieux qu’Henri Guaino.

BEHOLD MY TRUE FORM AND DESPAIR

BEHOLD MY TRUE FORM AND DESPAIR

Et voilà notre Alucard, bondissant vers le plus haut donjon avec son arsenal dévasta… Ah ben non, a p’us arsenal dévastateur, la Mort lui a tout racketté. Vous imaginiez quoi ? Avant de retrouver des armes dignes de ce nom, vous allez voir du pays. Tout sera une question… D’expérience. Le mot est lâché, c’est à partir de là qu’on a introduit des éléments de RPG dans Castlevania. Du début à la fin, vous serez enfermé dans cette bâtisse tentaculaire, où il faudra bien que physiquement, vous passiez d’Heidegger à Schwarzenegger. Le système est bien connu aujourd’hui : après avoir passé au fil de votre épée un certain nombre d’ennemis, vous gagnez un niveau, et devenez un peu plus puissant et résistant. Par ailleurs, en avançant dans votre quête, vous allez tomber sur des objets de plus en plus intéressants : armures, sabres, boucliers, potions et autres reliques. Un fatras dont à terme, vous ne saurez que faire de la moitié.

Quant à l’environnement, l’architecture du manoir s’approche d’un immense labyrinthe ; et très vite, vous serez tiraillé entre l’envie d’écumer ce petit recoin de raccroc où il y a peut-être un item bien cool (looter), et celle de vous engager sans plus tarder dans ce grand chemin où soufflent les trompettes de votre destinée (rusher). On déplore qu’Alucard s’estime probablement trop classieux pour courir, car SOTN est tout de même l’un de ces jeux où l’on fait pas mal d’allers-retours en se demandant parfois par où est la suite. Rien de très exagéré cependant : les designers n’ont pas poussé le vice jusqu’à mettre chaque objet utile à des kilomètres du précédent. Au pire, vous débloquerez assez tôt des téléporteurs qui vous permettront de couper le fromage. Par contre, fût-elle bien longue, vous n’avez qu’une seule vie : laissez votre compteur de PV se vider et c’est le fastidieux Game Over… Mais rassurez-vous, vous ne repartirez jamais de très loin, puisque les salles de sauvegarde constellent la carte du château, et en prime, elles restaurent toute votre santé et votre mana à chaque fois, alors, que demande le peuple. Voilà donc le deal : un Castlevania qui ressemble à Super Metroid, bref, un Metroidvania. Fini le trial-and-error, la tétanie sur la manette : SOTN ne vous posera jamais trop d’ennuis. Si vous bloquez dans votre bataille contre Beelzebub, vous pourrez toujours utiliser les fusils à un coup que vous aurez ramassés, vous adjoindre l’aide d’un familier (petit monstre volant qui colle quelques baffes sporadiques), ou bien, si vous êtes un escroc sans aucune forme de honte comme moi, juste vous acheter un tas de potions. J’ai un peu retrouvé les bonnes vibrations de mes grandes heures sur Pokémon Rouge, où je n’avais pu vaincre le Conseil des 4 qu’avec une pharmacie entière. J’aime bien ce côté Richard Virenque du rétrogaming. Et si malgré tout cela, vous n’y arrivez toujours pas, c’est que vous n’avez pas le niveau, littéralement. Retournez zigouiller quelques sbires pour level-up un peu et il n’y paraîtra plus.

Bon, pour le coup, je pense qu’avec 1503 points de vie, cette espèce de nolife est opé pour tuer Dieu lui-même.

Bon, pour le coup, je pense qu’avec 1503 points de vie, cette espèce de nolife est opé pour tuer Dieu lui-même.

Ici, je dois répondre à l’inquiétude du lecteur virgule cinq de cette critique : SOTN n’est pas l’un de ces jeux où l’on doit farmer, c’est-à-dire tuer des plâtrées de bestioles faiblichonnes pour être en capacité de résister aux assauts des gros costauds un peu plus loin. Farmer : ce mécanisme pas très gentleman est le péché originel du genre RPG, car il permet d’allonger artificiellement la durée de vie des jeux. Certains penseront à cet épisode de South Park où les quatre gamins se font des milliards de sangliers sur World of Warcraft pour se hisser à la hauteur du maître du réseau. Là, non, rassurez-vous : les choses ont été conçues pour que vous n’ayez pas à vous rabaisser à cela. Du coup, si la campagne demande au moins une quinzaine d’heures pour en venir à bout, c’est par son contenu incompressible : des milliers, littéralement des milliers, de salles à visiter. Du hall gigantesque où les zombies vous harcèlent, vous passez à une chapelle, dont la présence même est bien ironique quand on y pense, puis c’est le plongeon au cœur les catacombes inondées où il faudra bien tremper vos immortels orteils. Et je pourrais parler de la tour de l’horloge, du colisée, de la vigie, de la bibliothèque… Pas très dur, cet épisode ? La belle affaire : vous avez tellement de choses à y faire.

L’addiction : c’est le maître mot de ce jeu. Vous êtes en progression perpétuelle, et pourtant vous êtes encore loin du bout du compte. Chaque seconde, votre circuit de récompense est sollicité par un cocktail savamment pensé. Dans la recette, il y a sûrement ces bruitages qui donnent une impression de légère résistance lorsque vous tranchez dans le lard de vos adversaires ou qui vous prodiguent la sensation sucrée d’un niveau supplémentaire bien mérité. Il y a le plaisir de déflorer les terrae incognitae de la carte, l’impatience de découvrir ce bonus qui va vous faciliter la vie. On peut récupérer une relique qui n’a qu’une utilité : matérialiser les dégâts que vous occasionnez à vos ennemis sous la forme d’une cascade de petits chiffres volants. C’est d’une beauté gratuite. Il est très dur de s’arrêter de jouer, de se fixer un horaire limite, parce que tout s’enchaîne dans une fluidité remarquable. Allez, encore un peu, jusqu’à la prochaine salle de sauveg… Merde, c’est déjà la nouvelle salle de sauvegarde, bon alors disons la prochaine, ou la prochaine après la prochaine, ah tiens, j’ai raté mon entretien d’embauche. Ce n’est pas une autre motte de beurre que vous avez là. Ou disons qu’elle fait un kilomètre d’épaisseur, avec certainement un peu de drogue foutue dedans, et qu’il suffit que vous y trempiez le bout de votre langue pour être assailli d’une surexcitation sensorielle.

Parce que c’est un festival son et lumière. Les musiques de légende sont de retour, et ce n’est pas le slogan de la radio Nostalgie. Le thème du couloir principal est l’un des plus emblématiques de toute la franchise. Dans les passages en extérieur, un heavy rock aux bends exacerbés rendra vos multiples essais d’ascension beaucoup moins douloureux (surveillez ces plates-formes qui s’effondrent…). Et écoutez ce morceau sinistrissime quand vous entrez dans le sous-sol : là, ça devient réellement flippant. Visuellement, c’est juste somptueux. Si l’on daigne regarder au-delà des limitations techniques en pixels de la Playstation, sur le pur plan du design, c’est magnifique. Et imaginatif : vous rencontrerez des centaines de variétés d’ennemis différentes. Telle espèce ne se trouvera que dans telle pièce du château. Rien ne se ressemble, et l’on sent qu’on a insufflé de l’amour dans la confection de chaque sprite. Toute cette féérie en technicolor finit par faire de vous une sorte d’esthète : subitement, cela devient très important d’avoir une chouette teinte pour la cape d’Alucard. Ou de se servir d’un sortilège qui crève l’écran.

Ça je sais pas le faire mais c’est joli.

Ça je sais pas le faire mais c’est joli.

Tel un jacky ludonumérique, vous pouvez tuner votre propre aventure. Tout le monde y va de sa petite stratégie pour éliminer la petite trentaine de bosses (rien que ça), qui nous offrent le maxi-best-of des créatures d’épouvante et bien plus encore : le chien Cerbère, un hippogriffe, un loup-garou, un prêtre démoniaque mais aussi ce… Sordide amas de corps nus agglomérés les uns sur les autres dans une gigantesque sphère. Bon, arrêtez, je suis pas responsable de tout ce que les Japonais inventent. Là encore, chaque rencontre est unique, et l’entourloupe fonctionne à chaque fois : fiou, quelle chance j’ai eue de m’en tirer ! Ne passez pas à côté de ce bestiaire exceptionnel. Quitte à ce que je vous spoile : il n’y a pas un mais deux châteaux à traverser pour connaître la vraie fin de l’histoire et avoir le droit de chanter You Are Not Alone sur la mélodie de la dernière chanson, délicieusement niaise, I Am the Wind.

Dommage que les bosses ne fassent que rarement le poids, non pas qu’ils soient mal programmés mais qu’une fois encore, SOTN soit très indulgent. Enfin, dans un sens, vous vous sentez si dépouillé de vos pouvoirs au début que faire parler la poudre par la suite n’en devient que plus jubilatoire. Vous pouvez très bien finir le jeu sans jamais avoir découvert l’armure de brutor, ou l’attaque suprême du fond des âges. C’est vous qui voyez. Par exemple, la magie, ce n’est pas trop mon truc : pour déclencher les mouvements, il faut se contorsionner sur les diagonales du joypad, comme au temps des hadokens de Street Fighter. Or, moi mon problème, c’est que je retiens mal deux choses : les prénoms et les combinaisons de touches capillotractées. Bien entendu, on vous fournit une antisèche dans le menu pause, mais bon, moi, je veux surtout botter des culs de la manière la plus directe possible. Botter des culs ! Je me suis donc entiché des chakrams, deux petits anneaux-boomerangs à lancer qui ont un formidable mérite : leur longue portée. Alors, mon petit Galamoth qui me ruine à chaque fois que je tente de m’approcher pour te cisailler les tendons d’Achille, qu’est-ce que tu fais quand j’utilise une arme à projectiles ? Haha, avec ça et puis cette petite Bible qui me protège en tournoyant dans tous les sens, le vent va tourner. Attention, je tiens quand même à dire qu’il y a une différence entre les petites stratégies efficaces que vous improvisez sur le tas et l’usage de game breakers, à savoir les armes cachées bien trop puissantes qui anéantissent toute once de challenge. A ce titre, je trouve criminel d’utiliser l’épée Crissaegrim pour finir le jeu. J’en ai rien à faire, faut arrêter deux secondes : pour la faire apparaître, vous devez le faire exprès en restant au même endroit pour tuer une cinquantaine d’ennemis. Si votre tactique pour battre Dracula est : « j’utilise la Crissaegrim », vous êtes juste un gros naze.

Je débarque : Castlevania, Symphony of the Night

“BEHOLD MY TRUE FORM AND DESPAI-oh jeez, not this shit again.”

Le temps de quelques vacances, Symphony of the Night m’a envoûté, et plus que tous ses prédécesseurs. Son insuccès commercial à l’époque n’en est que plus cruel, car les créateurs ont mis une grande générosité dans leur travail. Le potentiel de rejouabilité est conséquent : essayez donc cet équipent de guignol qui vous confère des stats de défense complètement pourries mais une chance de cocu, ou refaites le jeu avec Richter, sacrée sinécure. Et quand vous ne jouez pas, vous pouvez chercher à engloutir le maximum de petits détails et d’anecdotes : vous devenez un cult follower, comme ces maniaques qui ont réussi à se balader en-dehors des murs pour découvrir une salle secrète réservée à l’usage des programmeurs. De fil en aiguille, vous débordez sur l’univers de Dracula lui-même, et toutes ces petites choses se révèlent a posteriori : bon sang, mais c’est bien sûr ! Dans le jeu, vous pouvez vous changer en chauve-souris, mais aussi en loup et en brume… Tout le monde savait pour la chauve-souris, mais l’œuvre originale évoque aussi les deux autres transformations, ce qui est moins connu. Si l’eau vous pose tant de soucis, c’est bien parce que vous êtes à moitié vampire : page 300 et quelques, on en parle aussi.

C’est avec une certaine tendresse qu’on se rend compte du syncrétisme folklorique qui habite la licence Castlevania. Les concepteurs ont mélangé les shinigamis (divinités de la mort) de l’imagerie orientale avec les références au Dieu des chrétiens, toujours mentionné, jamais présent. Pour vous restaurer, vous trouverez des sushis, mais aussi de belles côtelettes de porc. Même avec tous les petits clins d’œil humoristiques, les Japonais ne perdent jamais de vue les grands enjeux pour glorifier leurs scénarios : vous n’êtes pas simplement à la poursuite de Dracula, mais de Dracula Vlad Tepes, pour reprendre les écrits de Stoker. Pensez donc à ce boucher qui empalait des villages entiers quand vous montez le grand escalier qui conduit à sa chambre… Comment transformer un mythe en mythologie. Râh, rejouer !

Docteur Van Helsing, je me vois forcé de l’avouer : Dracula ne doit jamais disparaître. Je pestais contre ses multiples réincarnations, mais je m’en rends compte, maintenant : c’est moi. C’est moi qui le fais revenir. Je suis le nouveau Richter Belmont. Vous devez m’aider ! JE SUIS MALADE ! Je… J’examine mon col, le comte ne m’a pas mordu, mais il a réussi à me vampiriser. Ça ne s’arrêtera jamais. Je ne connais pas la suite de mes péripéties, mais j’imagine que je serai toujours au rendez-vous des Castlevania. Même dans ces épisodes récents où ça se passe en 2035 et en fait Dracula devient gentil parce qu’il s’est réincarné en étudiant hispano-japonais avec une tronche de personnage d’animé mignon qui…

Okay, laissez tomber, j’y vais, en fait je crois que je suis guéri.

C’est ça, et bonne année.

C’est ça, et bonne année.


© Alex pour OmniZine - L'omni-webzine des omnivores de la culture, des sports et de la geekitude !, 2013. | Permalien | Pas de commentaire


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