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Symphonie en asystolie majeure

Publié le 12 mars 2008 par Uninfirmier

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Les machines de réa ont chacune un langage spécifique.

Les simples buzzers ont progressivement laissé place à de véritables petits thèmes musicaux, permettant aux dispositifs médicaux d'exprimer toute un palette de situations.

Le scope multiparamétrique en est l'un des meilleurs exemples. Mesurant en continu plusieurs paramètres comme la pression artérielle et la fréquence cardiaque, il a à sa disposition toute une palette de mélodies exprimant, au choix, son agacement face à une pince de saturation désadaptée (tüüüng - tüüüng ---...), son inquiétude face à une valeur franchement anormale (tiiiing - tiiing - tiiing), voire une franche panique lorsqu'il n'y a plus rien (ting - tüng - ting - tüng)

Le respirateur discute également pas mal, avec pour certains, des motifs rythmiques d'une complexité rare, à base de croches pointées et de demi soupirs. Bibibi---bi bu signifiera ainsi "ton patient se réveille, il pousse sur son tube et il m'énerve" alors qu'un simple bi bi bu voudra plutôt dire "ok c'est rien il s'est rendormi, A+"

Certaines machines sont des sadiques. Celle d'hémodialyse par exemple chantonne gaiement un du-du-di-du-diii, alors que cette pétasse sait pertinemment que changer tout son circuit va me prendre 2 heures. Elle aime tout particulièrement se mettre à chouiner 2 mn après notre départ de la chambre en direction d'un bon café-clope. Son ancêtre avait au moins l'obligeance de faire résonner un énorme buzzer suivi d'une erreur #FF0066 sur son écran monochrome, on savait que c'était foutu.

D'autres, comme de nouveaux pousses-seringues balancent des gimmicks chopinesques, juste pour annoncer une bête fin de perfusion, tandis que ses collègues pompes à morphine sont tellement en colère de ne plus rien avoir à pousser qu'elles émettent un hurlement strident tant qu'on ne s'est pas précipité vers elles.

Ce qu'oublient les ingénieurs biomédicaux, c'est que l'alarme de leur bébé, elle est très jolie toute seule. Mais ajoutée aux 6 autres qui ne sont pas contentes, il y a de quoi devenir cinglé. D'ailleurs, j'ai souvent entendu une fin de perfusion ou une dialyse qui foire dans le métro, chez moi, dans la rue... Du coup, j'ai développé une intolérance aux alarmes qui me fait haïr mon collègue qui s'évertue à régler sa limite de fréquence cardiaque à 50 chez un patient qui tape à 45 depuis 5 jours. La nuit, au bout de 10 heures, je pourrais tuer pour un truc comme ça.

L'avantage de la multiplicité des thèmes, outre le fait d'être utile -quand même- pour surveiller les gens, c'est qu'en parlant un minimum "machine", on peut, sans se lever de son confortable fauteuil, se faire une idée assez précise de ce qui se passe. "Merde, la seringue de Diprivan de Monsieur X. est vide, il se réveille et respire à contre temps du respi, il a dû serrer le point et se tourner dans son lit, du coup plus de saturation et le cathé de dialyse est coudé. Le tout, en entendant quelque chose du genre "tüüüng - Bibibi du du di Tüüüng bi bu du dii Tüüüng"... Oui Madame.

Sinon, vous dormiriez en réa, vous, avec "tüüüng - Bibibi du du di Tüüüng bi bu du dii Tüüüng" toutes les nuits et des néons? Ben les patients non plus.

__ Crédit photo: la partition est celle de "L'Hymne du Pays de Gruyère", trouvé sur www.lyoba.ch/culture/desalpe/ranz.htm Je n'ai pas lu mais ça a l'air bien. Oooooh oui.


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