Magazine Culture

Le dico des Idées : La démocratie

Publié le 25 janvier 2014 par Vindex @BloggActualite


Quelques penseurs : Aristote, Touraine, Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, PopperIdées liées : souveraineté populaire, liberté, égalitéIdées contraire : autoritarisme, totalitarisme, despotisme, monarchie.

D


émocratie : système politique le plus répandu de nos jours dans le monde, la démocratie peut-être résumée par une simple formule de l’ancien président américain Abraham Lincoln : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Outre la définition par sa substance, on peut aussi définir ce concept par les règles du jeu : élections libres, pluralisme, liberté d’expression… Ce système nous est tellement commun qu’il paraît très simple à définir. Il est évident que dans une démocratie c’est le peuple qui décide. Mais finalement, ces assertions ne sont pas seulement évidentes : elles sont aussi vagues. En effet, selon quelles modalités doit-il décider ? De quoi doit-il décider et pour quelle finalité ? Qui a le droit de décider et en l’échange de quoi ? Ainsi, c’est lorsqu’on commence à se poser de telles questions que la démocratie commence à révéler sa complexité et même ses limites…

Origines et histoire de la pratique démocratique

Le dico des Idées : La démocratie-Reconstitution de l'ecclesia, l'assemblée des citoyens à Athènes-
Comme nous le savons tous, la démocratie est un régime ancien. Il apparaît à Athènes au VIème siècle avant J-C et connaît son plein succès au Vème siècle avant J-C. Dans ce régime, ce sont les citoyens en assemblées qui décident. Le système athénien est relativement égalitariste par l’utilisation du tirage au sort (pour désigner ceux qui siègent à la boulè). Néanmoins, les citoyens sont peu nombreux : seulement 10 pour cent des 400 000 habitants de la cité à l’époque. Seuls les hommes libres ayant des parents athéniens peuvent prendre part aux décisions ce qui pourrait d’ailleurs être vu comme peu démocratique selon notre regard moderne. Cependant, malgré tout la démocratie ne fut pas éternelle à Athènes et bien qu’elle ait été utilisée par quelques autres cités grecques (Thasos pour ne citer qu’elle), sa pratique décrût pendant l’antiquité. Celle-ci revint dans une moindre mesure au cours du Moyen Age dans certaines assemblées représentatives (les ordres religieux par exemple). C’est l’époque moderne qui remit à l’ordre du jour la démocratie avec la deuxième révolution anglaise qui a mis en place le régime parlementaire en 1688 et a engendré le Bill of Right un an plus tard qui évoque l’idée de souveraineté populaire. Le siècle des Lumières eut aussi sa part de réflexion à propos de la démocratie, avec notamment Montesquieu qui en 1748 dans De l’esprit des lois met en évidence les principes d’un régime parlementaire et théorise la séparation des pouvoirs. En 1762, Jean Jacques Rousseau énonce l’idée souveraineté populaire dans sa théorie du contrat social. La Révolution Française, très inspirée des idées des Lumières, donne à l’idée de souveraineté populaire une légitimité supplémentaire même s’il fallut attendre 1848 pour que le suffrage universel soit ancré en France (et même 1946 pour que les femmes soient concernées). La Révolution Américaine, aussi liée au mouvement des lumières, accouche de ce qui est considérée comme la première démocratie du monde : celle des Etats-Unis d’Amérique. Mais même si la nation de l’Oncle Sam est la première à adopter le suffrage universel, il faut nuancer ce fait en rappelant que les noirs sont exclus de la vie démocratique pendant longtemps. 
Cette forme de gouvernement est donc présente dans l’histoire ancienne. Mais même si à nos yeux, elle constitue le système le plus équilibré, elle fut quasiment absente d’une bonne partie de l’histoire. On pourrait donc se demander ce qui favorise l’avènement de la démocratie pendant une période historique. C’est ce qu’ont fait Gabriel Almond, Sidney Verba ou encore Theodor Adorno, qui se basent sur l’histoire des démocraties. Selon eux, des conditions sont nécessaires à l’installation d’une démocratie : le consensus, la tolérance, le pacifisme, l’indépendance nationale (voir même l’autarcie). Au regard du cas athénien par exemple, on peut dire que certaines de ces conditions sont exactes, comme le consensus ou encore l’autarcie (qui était un idéal pour de nombreux philosophes antiques). Cependant, certains autres facteurs de démocratie sont plus discutables. Par exemple, la démocratie athénienne ne se teintait pas forcément d’une grande tolérance, ni encore moins de pacifisme au vu de l’impérialisme de cette cité. En tout cas ces études historicisent le processus de démocratisation et élargissent la définition de ce régime. Pour les économistes classiques et marxistes, l’environnement socio-économique joue aussi un rôle important dans la mise en place d’une démocratie. En effet, ils voient un rapport entre le type de domination sociale et le type de gouvernement économique, entre les modes de production et les régimes.   
Bien qu’elle soit ancienne, on ne peut pas dire non plus que la démocratie soit un régime naturel et longtemps les régimes politiques dominants furent des autocraties (monarchies, empire…) ou des aristocraties. Elle s’est progressivement imposée depuis l’époque contemporaine. Toutefois on ne peut pas résumer la démocratie à une pratique unifiée : elle rassemble une grande diversité d’institutions et de constitutions possibles.

Différents types de démocratie


Il existe deux grands types de démocratie : la démocratie représentative et la démocratie directe.  

La démocratie représentative


Théorisée par Tocqueville ou encore Schumpter, elle comporte cinq caractéristiques : tout d’abord, elle implique une concurrence entre les politiciens pour l’obtention des suffrages des citoyens ; ensuite elle implique des programmes défendus par des candidats puis élus qui constituent des contrats moraux entre eux et les électeurs ; de même dans la démocratie représentative, les partis jouent le rôle de l’organisation concurrentielle ; qui plus est l’électeur délègue des pouvoirs à l’élu pour atteindre les objectifs du programme ; enfin le peuple souverain est de nouveau consulté et peut reconduire (ou non) l’élu. Dans ce système, l’élu doit permettre d’organiser la vie publique et les décisions politiques qui seraient impossibles à prendre à cause d’une population trop nombreuse. Il s’agit donc de concilier la démocratie et la masse de citoyens de certains Etats, trop importante pour pouvoir impliquer directement tous les citoyens. Mais selon certains penseurs, ces institutions ont pour but de cacher sous des aspects démocratiques la domination d’une classe politique ou économique. La dérive possible consiste en un décalage entre les élites et le peuple (si souvent décrié de nos jours).
La démocratie représentative peut se décliner elle-même en différents types de systèmes : démocratie parlementaire, présidentielle, semi-présidentielle, libérale, mixte… Tout dépend du degré de responsabilité des élus face au peuple, du président face aux élus des assemblées, de la séparation des pouvoirs, du nombre d’assemblées, de la constitution…

La démocratie directe


Considérée comme le seul régime vraiment démocratique par Rousseau, cette forme de démocratie permet aux citoyens de participer en permanence aux décisions politiques, mais ne peut se pratiquer que dans un Etat de taille réduite, comme une cité par exemple. Certes, un mandat est confié aux élus, mais ceux-ci doivent rendre des comptes de leurs actes et ils peuvent être révoqués. Les référendums permettent fréquemment aux citoyens de se prononcer sur certaines lois, à leur initiative ou non. Utilisée à Athènes notamment, la démocratie directe est souvent associée à la démocratie suisse où le référendum est très utilisé. Elle permet de ne pas limiter la politique au jeu des majorités et des partis mais de l’élargir à un public plus large, mais qui se doit d’être éduqué, informé et investi. D’autres exemples de démocratie directe existent : les town meetings de Nouvelle Angleterre au XVIIème siècle, les cantons Suisse ou encore la commune de Paris, tout comme les mouvements anarchistes et Zapatistes du Chiapas au Mexique. La démocratie directe au niveau très local peut d’ailleurs être rapprochée de l’autogestion en groupes restreints théorisée par certains penseurs anarchistes. De nos jours en France, Etienne Chouard est un des défenseurs de la démocratie directe, et même du tirage au sort.
La démocratie participative peut-être vue comme une variante de la démocratie directe. Définie par Rousseau (et non par Ségolène Royal…), elle permet l’éducation des citoyens, le consensus sur leurs décisions prises en commun et l’affirmation d’un sentiment communautaire profond qui accroît l’intégration sociale et développe un système de valeurs communes.
D’autres expressions dérivent du mot démocratie. Alain Minc parle notamment de démocratie d’opinion pour décrire une forme de démocratie qui se réfère aux sondages et aux médias. Le problème d’une telle démocratie vient cependant de l’imperfection des sondages et de leur subjectivité.
En plus de la diversité des règles du jeu au sein de la démocratie, il existe également une diversité des finalités de celle-ci.

Différentes conceptions de la démocratie


Par sa façon d’organiser la vie politique et la société, la démocratie a aussi été théorisée ou critiquée par différents courants de pensée. Il ne s’agissait plus forcément de trouver le régime parfait comme le tentaient les anciens, mais de trouver la bonne forme de démocratie selon les principes voulus. On peut dire que les deux façons d’envisager la démocratie qui s’opposent prennent en compte deux principes qui s’opposent en théorie : la liberté et l’égalité.

Les anciens et la démocratie


Bien que certaines cités grecques utilisent la démocratie comme régime, les philosophes grecs ne sont pas unanimement démocrates. En effet, Platon ou encore Aristote se méfient de la démocratie pure et préfèrent les régimes mixtes, comme le fut après leur temps la République Romaine. En effet, Aristote croit que la démocratie pure est une source d’instabilité politique et sociale du fait des inégalités entre les citoyens. Pour lui, la démocratie est un régime qui dérive d’une constitution droite, mais c’est le plus souhaitable des « régimes dérivés ». Il pense qu’elle a pour but la recherche de la liberté et de l’égalité (le débat entre les deux notions ne se pose pas à l’époque). Elle peut avoir des effets pervers notamment lorsque le peuple (même majoritaire) va au-delà du droit. On pourrait peut-être voir en cette limite une ébauche de la critique de la « dictature de la majorité » développée par les libéraux. Platon, lui, voit cette organisation politique comme la subordination de la raison face aux passions et aux émotions.

Les libéraux et la démocratie


Par le principe de liberté politique nécessaire à l’exercice de la démocratie, le libéralisme peut s’accorder avec la démocratie. En effet, le libéralisme prône des droits politiques pour les citoyens : droit de vote, liberté d’expression, de conviction… Tocqueville définit la démocratie en observant celle des Etats-Unis dans De la démocratie en Amérique. Selon lui, pour fonctionner, il ne faut plus de différenciation héréditaire et un règne de la liberté. La fin de la différenciation héréditaire est bien évidemment en contradiction avec des sociétés d’Ancien Régime où la naissance influence fortement le devenir des hommes. Mais pour autant, ne faut-il pas une certaine dose d’égalité pour que la différenciation héréditaire financière n’entrave pas la démocratie ? Les effets de la démocratie selon Tocqueville sont l’égalisation des conditions de richesse, l’accès plus grand à l’éducation, la culture, l’égalité en droit. La démocratie libérale pourrait aussi permettre une baisse des inégalités de revenus.
Friedrich Hayek, autre libéral connu pour La route de la servitude, conçoit la démocratie comme « une méthode d’organisation sociale dont la fonction est d’assurer la défense de la liberté de chacun contre les empiètements de tout pouvoir arbitraire ; méthode qui s’identifie avec le principe selon lequel la contrainte ne peut être utilisée que pour assurer le respect des règles générales de conduite considérées comme justes par le plus grand nombre –ou tout au moins par la majorité du corps social. » Celui-ci est toutefois assez critique vis-à-vis de la démocratie dans sa forme car elle donne une place trop importante à la majorité contre l’individu et sa liberté. La démocratie peut donc être une « dictature de la majorité » face aux individus et leur liberté.
Même s’ils ont parfois critiqué la démocratie, des libéraux ont toutefois pu faire avancer la définition de la démocratie vers un élargissement. Karl Popper en fait partie. Dans La société ouverte et ses ennemis, il définit la démocratie comme l’opposition à la dictature et à la tyrannie, permettant au peuple de contrôler ses dirigeants et de s’en débarrasser pacifiquement. Une démocratie ne peut donc vivre sans l’esprit critique nécessaire au questionnement et donc au changement des élites politiques. Le concept de société ouverte intègre la démocratie et l’associe à un gouvernement réactif et tolérant, une transparence des institutions, des libertés individuelles, le multipartisme et même le multiculturalisme afin d’exprimer le plus de points de vue possibles. Mais n’est ce pas déjà orienter la démocratie vers une direction en particulier et donc tronquer l’avis du peuple ?
Le dico des Idées : La démocratie-Karl Popper-
La finalité de la démocratie selon les libéraux est donc le contentement des intérêts particuliers (ceux-ci pensent que le concept d’intérêt général est trop abstrait, voir que c’est une vue de l’esprit). Ce n’est pas vraiment en cohérence avec la notion de peuple liée intimement à la démocratie. Il s’agit de préserver les libertés individuelles, comme le veut le contrat social de John Locke. 

Les démocrates sociaux et socialistes


Par le principe d’égalité, le socialisme peut aisément se connecter à la démocratie, même si certaines formes radicales de socialisme préfèrent l’action violente et la grève générale. Les socio-démocrates comme John Rawls (Théorie de la justice, 1971), voient l’Etat providence comme indispensable à la démocratie pour empêcher toute personne de vivre sous un niveau donné, de fournir des protections… Cela vise à minimiser l’influence des inégalités de richesse sur la politique (peut-être parce que sociologiquement on observe une différenciation du niveau de participation politique selon les niveaux de vie). Cela rejoint aussi le fait de ne pas rendre héréditaire des différences sociales.

Une conception qui s’élargit


Bien que la démocratie réside à l’origine dans le pouvoir qu’a le peuple de décider par et pour lui-même, cette définition, par les débats politiques et philosophiques s’est enrichie au fil du temps. Par l’influence des libéraux, celle-ci comporte maintenant des libertés étendues, mais elle ne concerne plus uniquement les individus (la presse par exemple). Par l’influence des socialistes et sociaux-démocrates, l’influence de l’égalité tente d’aller plus loin qu’une égalité en droit par une égalité socio-économique plus poussée. La démocratie n’est donc plus seulement un régime politique mais un système, une façon de concevoir la société qui dépasse les seules considérations politiques en incluant des considérations sociales, économiques, voir culturelles. La démocratie moderne, bien qu’héritière des formes anciennes de démocratie, ne peut être complètement comparée à son ascendante car les sociétés elles-mêmes sont passées de traditionnelles à modernes.  Mais cet élargissement, pas forcement partagé par toutes les traditions politiques, ne tend t-elle pas à rendre la démocratie moins universelle ? En tous les cas, cela renforce en pratique la multiplicité des types de démocratie.

Limites et problèmes rencontrés par la démocratie 


Comme le dit Winston Churchill, « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». On peut voir dans cette affirmation deux choses : que la démocratie est le régime le plus raisonnable, mais aussi qu’il n’est pas parfait.
Le premier maux de la démocratie est une dérive de la démocratie représentative qui peut être vidée de son sens par ce que Schwartzenberg appelle la « démocratie du spectacle télévisuel » dans L’Etat spectacle (1977). Cette dérive entraîne la démocratie dans des questions seulement sensationnelles et réduit la réflexion des citoyens. Nul besoin de chercher bien loin pour constater qu’aujourd’hui cette dérive existe par le traitement complètement différent de l’information par rapport à avant : flux continu, buzz,…
Le deuxième problème que la démocratie peut rencontrer est d’ordre financier. En effet, le poids de l’argent lors des campagnes électorales et dans la vie quotidienne met en cause l’intérêt général, les élus peuvent être soumis à des influences et les citoyens cherchent avant tout à défendre leurs intérêts particuliers.
La troisième limite de la démocratie réside dans les ségrégations socio-spatiales qui limitent le brassage social et la contradiction entre les groupes sociaux. Les groupes les plus exclus socialement participent moins et influencent moins les décisions publiques.
Le quatrième problème de la démocratie est également très actuel : il concerne les échelles de pouvoir. Bien que la démocratie se base sur la souveraineté d’un peuple ou d’une nation, les instances internationales mettent en cause les instances élues par leurs décisions qui court-circuitent les nations. C’est par exemple le cas des multinationales ou des Organisation Inter Gouvernementales comme l’Union Européenne. Un cinquième problème de la démocratie est souvent évoqué par les libéraux. Elle se résume souvent selon eux à une victoire de la majorité, mais le vote de la majorité ne correspond pas automatiquement avec l’intérêt général. C’est donc que la démocratie, même si elle est l’émanation du peuple, ne garantit pas forcement son bonheur, ni même le respect de ses volontés (notamment dans les démocraties représentatives). Elle ne signifie pas que les bonnes décisions sont prises. Enfin ceux qui critiquent la démocratie pensent que le peuple est ignorant ou incompétent (Platon, Sieyes, Montesquieu sont de cet avis).

Conclusion :


La démocratie est donc basée sur un principe simple, mais par son histoire, par le succès qu’elle a pu rencontrer ces derniers siècles, par la pensée politique et philosophique qu’elle a suscité et par les débats qu’elle a fait naître, la démocratie s’est complexifiée, élargie dans sa substance et démultipliée dans ses formes. Elle est le principal système dans le monde depuis quelques décennies, et fut même vue par Francis Fukuyama comme la finalité de l’histoire et de son déroulement. Mais cela ne l’empêche pas d’avoir aussi ses limites qui peuvent aussi apparaître ou se renforcer avec l’évolution toujours plus grande et rapide de notre société.
Sources
Dictionnaire des idées politiques. Sirey Edition. 1998Dictionnaire de la pensée politique. Hommes et idées. Hatier. 1989.http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie

Retour à La Une de Logo Paperblog