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Alain Lambert : « L’enjeu des municipales de mars sera de redonner du sens à l’impôt »

Publié le 29 janvier 2014 par Lecriducontribuable

alain lambertEntretien avec Alain Lambert. Le président du Conseil général de l’Orne et ancien ministre du Budget (2002-2004) pilote, à la demande du chef de l’Etat, une mission sur la maîtrise des dépenses publiques. Il prône une refonte complète de la fiscalité française.

Nous diffusons, en avant-première et en intégralité sur notre site, l’entretien qu’Alain Lambert nous a accordé pour notre numéro de février-mars « Ces maires qui jettent votre argent à la poubelle » qui paraît vendredi 31 janvier en kiosque. Vous pouvez d’ores et déjà commander en ligne ce numéro.

Le président de la République vous a chargé d’étudier les moyens de réduire la dépense publique. Concrètement, de quoi s’agit-il ?

En France, nous étudions la dépense publique de façon cloisonnée, en observant séparément la dépense de l’Etat, celle de la Sécurité sociale et celle des collectivités. L’intérêt de cette mission est qu’elle couvre l’ensemble de la dépense publique et que nous devons examiner les coûts par grande catégorie de dépenses quel que soit l’acteur. La situation actuelle démontre que la marge de manœuvre sur les recettes est presque nulle. C’est donc sur notre niveau de dépense publique qu’il nous faut jouer.

Vous plaidez pour une loi de financement des collectivités territoriales. De quoi s’agit-il ?

Face à l’impératif de redressement des comptes publics qui mobilise tous les acteurs de la sphère publique, il faut repenser le cadre des rapports financiers entre chacune des administrations publiques. Aujourd’hui, l’action publique est partagée entre trois acteurs : l’Etat, la protection sociale et les collectivités locales. Le Parlement vote le budget de l’Etat, de la Sécurité sociale, mais il n’est à aucun moment consulté sur l’ensemble des relations financières entre l’Etat et des collectivités, mais sur une partie seulement, ce qui n’a aucun sens. L’insertion d’une loi de financement des collectivités territoriales dans notre droit public est avant tout une question de transparence pour le Parlement, pour les collectivités et pour les citoyens.

Les parlementaires disposent-ils aujourd’hui d’une vision claire du financement des collectivités locales ?

Les responsabilités sont aujourd’hui trop partagées, entre un Etat qui prescrit des politiques publiques et des administrations publiques locales qui paient leur mise en œuvre. Face à la multitude incertaine des transferts financiers – concours, prélèvements sur recettes, dotations, dégrèvements, subventions, fiscalité transférée, fiscalité locale – il est indispensable de pouvoir les retracer en totalité dans un document budgétaire unique et annuel, soumis à l’approbation du pouvoir législatif. D’autant que nous sommes jugés par nos partenaires européens sur l’ensemble de la dépense publique. Il serait normal que le Parlement français en soit au moins informé.

Cette loi de financement ne sonnerait-elle pas le glas de l’autonomie des collectivités locales ?

Le principe d’autonomie ne serait en rien impacté car il est aujourd’hui contourné en permanence sans aucune transparence. Au moins, nous gagnerions en clarté, sincérité et prévisibilité. Le principe d’autonomie n’est pas contradictoire avec la clarification, bien au contraire, cette clarification de relations dangereusement complexes entre les collectivités et les autres administrations est indispensable et urgente dans l’intérêt de tous. Considérons le principe d’autonomie à sa réalité d’aujourd’hui et à sa juste proportion démocratique : l’Etat prescrit nombre des dépenses dans les comptes des collectivités et nos engagements européens exigent une officialisation de la solidarité évidente entre les administrations publiques. L’autonomie se révèle donc davantage menacée par ce manque de transparence et les décisions unilatérales de l’Etat qu’elle ne le serait par une loi permettant de retracer l’ensemble des relations financières entre l’Etat et les collectivités. Cet exercice permettrait enfin de formaliser juridiquement et de donner plus de substance à cette autonomie constitutionnelle dont la définition actuelle est rarement à l’avantage desdites collectivités.

La suppression des départements me paraît aujourd’hui totalement impossible

Vous venez de vous prononcer en faveur de la suppression du code des marchés publics. N’est-ce pas la porte ouverte aux différentes formes de clientélisme ?

Ma proposition vise au contraire à revenir aux fondamentaux de la commande publique, c’est-à-dire la liberté d’accès à cette commande, l’égalité de traitement des candidats, et la transparence des procédures. Ces  fondamentaux ont été oubliés pour appliquer des procédures kafkaïennes qui ne permettent plus aux petites et moyennes entreprises d’accéder à ce marché, d’où une rupture d’égalité grave entre elles et les grands groupes, et enfin un absence totale de transparence puisque c’est la bureaucratie triomphante. Il n’existe plus de choix mais une influence douteuse de l’assistant à maîtrise d’ouvrage qui propose le cahier des charges qui va bien à ses correspondants.

Etes-vous favorable à la suppression des départements et au regroupement des communes ?

Les départements en province jouent un rôle de proximité, de solidarité et d’équilibre entre les territoires, notamment ruraux que les régions ne me semblent pas en situation d’exercer. Leur suppression me paraît aujourd’hui totalement impossible, sauf à créer des sections de régions. Je suis en revanche très favorable au regroupement des communes. Cela permet une efficience accrue par la mise en commun des ressources et la mutualisation des moyens ainsi qu’un renforcement de la solidarité. L’idée de communes nouvelles, en conservant un maire délégué dans chaque ancienne commune me semble une voie intéressante.

En tant que président du Conseil général de l’Orne, quelle est votre position sur la refonte des rythmes scolaires ?

Je ne crois pas être légitime pour dire qu’elle est la meilleure formule pour les enfants, les experts eux-mêmes se disputent. Par contre, nombreux sont les maires de mon département qui sont mécontents des modalités de cette mise en place hâtive et non financée et donc coûteuse pour leurs budgets communaux. Pour le département, nous devons déjà faire face au manque de compensation des allocations individuelles de solidarité que nous fait supporter l’Etat, la réforme des rythmes scolaires rajoute à notre facture le coût du transport que l’Etat nous laisse payer.

 Tous les acteurs s’occupent des mêmes choses. Chaque politique publique menée l’est par au moins trois acteurs différents.

Vous avez été l’un des premiers à dénoncer l’empilement des structures administratives au début des années 2000. Quatorze ans plus tard, pourquoi la situation a-t-elle si peu évolué ?

Le problème principal tient au fait que les administrations centrales n’ont pas traduit dans leur acte le principe de la déconcentration administrative, qui est pourtant issu d’une volonté politique affirmée depuis près de 50 ans, sans discontinuité. Ce n’est pas tant l’empilement mais la défiance vis-à-vis des gestionnaires déconcentrés et décentralisés qui entrave l’efficacité de l’action publique. Il faut cesser de les accabler de règles et de procédures lourdes qui révèlent une défiance a priori incompatible avec la mobilisation pour une gestion avisée et responsable. Sans marge de manœuvre pour accomplir leur mission de manière efficace, les administrations de terrain se découragent et consomment ce qu’elles reçoivent. Tous les acteurs s’occupent des mêmes choses. Chaque politique publique menée l’est par au moins trois acteurs différents. Les discours lors des inaugurations deviennent de plus en plus nombreux puisque les financeurs sont aussi plus nombreux !

En règle générale, l’intercommunalité a-t-elle permis de réduire la dépense publique locale ?

Pas suffisamment. Tout n’est pas négatif. Cette organisation a permis de sauver l’action publique des petites communes rurales et de structurer le développement en zone urbaine en apportant de la souplesse, avec plusieurs types de structures, adaptées aux diverses nécessités territoriales. L’intercommunalité aurait pu être un bon outil de rationalisation de la dépense, à condition de réduire la dotation globale de fonctionnement (versée par l’Etat, NDLR) des communes pour éviter qu’elles ne continuent pas à exercer des compétences transférées. On peut remarquer que dans les cas où la dépense a augmenté, c’est qu’il y a eu une amélioration du service public rendu. Il faut à l’évidence aujourd’hui faire mieux avec moins, en favorisant les mutualisations.

Etes-vous partisan de la révision des valeurs locatives cadastrales ? Ne risque-t-elle pas de provoquer une explosion de la fiscalité locale tant pour les particuliers que pour les entreprises ?

Il faut effectivement procéder à une révision des valeurs locatives cadastrales car les bases actuelles sont largement déconnectées des réalités économiques et sont porteuses de distorsions. Il faut que la révision des bases s’opère de façon juste et équitable et que les incidences sur les contribuables puissent être lissées dans le temps. Et clairement dire au départ que cette révision se fera à produit égal pour éviter des hausses dissimulées et probablement porter le lissage à 15 ou 20 ans, si les écarts sont trop grands.

La seule manière d’obtenir un bon rendement en matière de fiscalité est d’avoir des assiettes larges et des taux faibles. Depuis des décennies la France fait le contraire.

La fiscalité locale sera-t-elle, selon vous, un des points clés des élections municipales de mars ?

Certainement. Tout l’enjeu sera de redonner du sens à l’impôt dans le cadre de ces élections. On voit aujourd’hui que le consentement à l’impôt est menacé. Il faudra que les candidats aient ce sujet au cœur de leur campagne afin que le lien de confiance entre les élus et les citoyens ne cède pas définitivement. Cela va leur demander de la pédagogie, car la vérité oblige à dire que peu d’électeurs savent décrypter une feuille d’impôt.

En 2007, le gouvernement Fillon a lancé une « revue générale des prélèvements obligatoires ». Elle a été abandonnée. Pensez-vous qu’il faille la relancer ?

Je n’aime pas le concept de prélèvements obligatoires mais celui de recettes publiques. Celles qui ne seront jamais suffisantes pour financer une action publique qui laisse filer ses dépenses. Cela étant, il faut une refonte complète en n’oubliant jamais que la fiscalité est un outil de rendement destiné à offrir des recettes pour financer les coûts des politiques publiques.

La seule manière d’obtenir un bon rendement est d’avoir des assiettes larges et des taux faibles. Depuis des décennies la France fait le contraire.

Propos recueillis par Didier Laurens 

« Ces maires qui jettent votre argent à la poubelle », Les Enquêtes du contribuable février/ mars 2014 - 68 pages, 3€50.

En kiosque le 31/01/14 et sur abonnement : www.contribuables.org/boutique

Suivre ce lien pour commander en ligne ce numéro.

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