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Jacques a dit "Pas de "e""

Par Mademoizela
Lecture Challenge: Pour la première fois, je participe au challenge "Jacques a dit" créé par Métaphore: http://metaphorebookaddict.wordpress.com/2014/01/01/challenge-jacques-a-dit-janvier-pas-de-e/
Le butest de lire un roman dont le titre ne contient pas de "e".
"Le charme des vieilles lettres... Les mêmes mots, sur les pages d'un livre, auraient aussitôt perdu leur secret mélancolique comme celui des noms sur les monuments mortuaires au-dessus de ce qui a été, au-dessus de la gaieté vivante des fleurs et la rouille des couronnes en fil de fer et perles, dans le silence adorable d'un cimetière de campagne."

Jacques a dit: "pas de "E" ", Mademoiselle A répond: LUNA PARK d'Elsa TRIOLET
C'est l'histoire d'un homme Justin Merlin qui emménage dans une maison meublée ayant appartenu à une femme mystérieuse. Justin mène une vie solitaire, un peu morne jusqu'au jour où il découvre des lettres d'amour adressées à l'ancienne locataire. Ces lettres d'amour émanent d'hommes différents, ce qui montre bien que l'ancienne locataire était une femme séduisante, qui attirait beaucoup les hommes et qui réussissait à se faire aimer d'eux. Cette femme, Blanche Hauteville, suscite l'intérêt masculin. Elle est magnétique: même Justin Martin réussit à tomber amoureux de cette mystérieuse inconnue et vit par procuration les idylles et les histoires passionnées des différents amants. "Je mets mon espoir moins dans mes possibilités à moi, que dans l'exceptionnel de vos dons à vous."
Je confirme ce que j'ai déjà écrit dans l'article Roses à Crédit de l'auteure: Elsa Triolet a une écriture tout à fait merveilleuse. Les lettres sont d'une authenticité, d'une pureté et d'une sensibilité éclatantes et prodigieuses. Le style est à la fois épuré mais recherché, simple sans être simpliste, lyrique sans être mièvre. Il y a chez Elsa quelque chose d'Aragon. Mimétisme, influence mutuelle ou proximité littéraire?
En tout cas, les clins d'œil à notre poète sont bien là, peut-être pour lui rendre la pareille: le personnage de Blanche rappelle le personnage d'Aragon dans Blanche ou l'oubli; le personnage d'Antoine peut rapidement faire penser à Antoine dans La Mise à mort d'Aragon. De même, Elsa Triolet évoque les surréalistes, parle des poètes, des auteurs qui mélangent fiction et réalité (comme Aragon) et ceux qui peuvent tomber amoureux d'un personnage fictif (c'est tout le sujet du roman La Mise à mort). Parfois, on a l'impression qu'Elsa rend hommage à Aragon, qu'elle lui offre toute sa reconnaissance; en même temps, elle semble le mettre en garde dans sa propension à amalgamer la véritable Elsa à son Elsa fictive. Ce n'est que mon interprétation... J'ai étudié pendant deux années l'écriture d'Aragon, ses romans, sa vie, sa poésie, sa relation avec Elsa, donc je ne pense pas que mes remarques soient totalement ineptes. C'est ainsi que je l'ai ressenti. Après, je peux me tromper. "Je t'ai aimée pour toi, j'ai voulu te sortir du marasme, de l'isolement, de ton incapacité de te mélanger aux autres, de ta vie comme derrière une vitre devant la devanture dans laquelle chacun t'admire sans pouvoir te toucher... L'on voit remuer tes lèvres sans savoir ce que tu dis, et lorsque tu étends la main pour une caresse, la vitre s'interpose et c'est à devenir fou!" 
J'ai vraiment adoré l'érotisme chic sous-entendu mais jamais clairement explicité: c'est d'une poésie!! Tout est dans la métaphore.
 "Deux chemins mènent à l'amour: d'abord voir, ensuite désirer."
 Ce roman peut se lire au sens littéral: on y voit toute la délicatesse, la blancheur et la pureté de la relation amoureuse. Il peut aussi se lire de façon métaphorique et symbolique: c'est une version plus érotique et sensuelle de l'amour qui en ressort sans jamais tomber dans le vulgaire et le trivial.
"Je plaide la survivance des mots d'amour, Blanche, avec leur force éternelle, dans toute la faible compréhension humaine de ce mot. Je voudrais que vous les emportiez dans la lune, comme des plantes exotiques qui ensuite embelliront la vie sur cette nouvelle planète humanisée. Etre celui qui vous les y aura dits le premier ... Mais j'oublieque de toute façon je ne serai pas du voyage."
Déjà, derrière le titre Luna-Park, on peut voir l'anagramme Lupanar (terme cher à Louis Aragon). Il y a aussi le paradoxe de Blanche qui est loin de la pureté virginale. L'aspect lunaire est également équivoque. Ce qui concerne la Lune, représente à la fois le voyage "extraterrestre" mais aussi le voyage des sens, l'atteinte de l'orgasme. La Lune, froide, blanche, malveillante ou mortifère d'ordinaire devient ici le symbole même de "la petite mort", de la sensualité nocturne. C'est toujours mon interprétation.
C'est le talent d'Elsa Triolet: présenter un texte avec de multiples interprétations. On peut tout mettre derrière ce texte tant l'écriture est formidable.
Dans le même style, "Vu du ciel" de Zazie est très métaphorique. La sexualité poétisée. D'Elsa Triolet à Zazie, il n'y a qu'un pas. "Je crois que la parure des mots restera le fard nécessaire, l'expression de la vérité plus vraie que la vérité elle-même."
Version plus espiègle d'un voyage sur la Lune ave Elodie Frégé. Pique-nique sur la lune

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