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Nymphomaniac – Vol. 2, de Lars Von trier

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 4/5 

(Pour lire la critique de Nymphomaniac – Vol. 1 : http://lanuitdublogueur.com/2014/01/08/nymphomaniac-vol-1-de-lars-von-trier/)

Le premier opus de Nymphomaniac nous avait laissés face à la béance de Joe, ne ressentant plus aucun plaisir sexuel. Si Joe nous avait laissé l’image d’une femme harassée à la limite de l’inconscience, ici nous la retrouvons à nouveau prostrée, ouvrant son propre récit vers une dimension nouvelle.

© Christian Geisnaes

© Christian Geisnaes

Comme dans ses deux derniers films, Lars Von Trier continue à sonder la noirceur, mais surtout la perversité vers laquelle ses personnages féminins tendent. Comme dans ses derniers films, il coupe son récit en deux : l’installation de la perversion, puis la question de la tolérance des personnages face à leurs propres différences et déviances. Et il est intéressant de constater que, malgré la coupure du film en deux volumes différents dictée par une contrainte purement économique, Lars Von Trier se prête à nouveau à ce jeu de construction scénaristique. Dans le volume 1, Joe était en plein apprentissage de ses facultés de séduction, de sa force de manipulation quasi totale sur une gente masculine presque seulement réduite à sa libido. Dans le volume 2, la question du plaisir physique, de la place sociale, se pose immédiatement à notre héroïne qui doit prendre pour la première fois de sa vie des décisions radicales. 

C’est pourquoi la deuxième partie est si évidemment démarquée de la première : le propos devient plus sérieux, plus grave. Dans un premier temps, la légèreté de l’apprentissage, dans un deuxième temps, la lutte d’une héroïne qui doit réussir à se faire une place, et dont le destin est immuable et déjà tracé. C’est tout le sujet du début du film lorsque Joe nous raconte son premier orgasme lorsqu’elle était enfant. Allongé dans l’herbe, son corps s’élève au dessus du sol et se retrouve face à deux figures étranges, mythologiques, qui s’avèrent être une nymphomane romaine et une "sainte-patronne" babylonienne de la sexualité et de la prostitution.

Alors que les chapitres de l’histoire de Joe prennent une nouvelle tournure graphique (Lars Von Trier abandonne les effets de style arty pour laisser place à une caméra du Dogme, portée, aux mouvements secs et désordonnés, sans réel jeu de lumière), il est toutefois navrant de constater que le cinéaste continue à placer le rire et le comique dans son film. Si cela était plaisant dans le volume 1, on aurait certainement préféré que le volume 2 s’en détache alors qu’il tend vers une dramatisation tragique de la vie de Joe qui se débat pour retrouver son désir perdu, puis pour se trouver une place sociale, une utilité.

Cette femme qui se débat nous est presque noble, car enfin le spectateur commence à s’attacher à l’héroïne, à comprendre réellement son addiction que les autres, notamment Jerome, son mari, n’essayent pas de comprendre. Et c’est là que la relation avec son hôte, Seligman, prend une tournure fort intéressante. Dans sa chambre, à l’esthétique picturale trop lisse pour paraître réelle (l’image de la caméra HD tend vers la sculpture ultra-réaliste, donc trop vraie, des corps et des visages des deux protagonistes qui discutent), Joe construit une réelle relation complice avec l’ermite intellectuel qui la loge. Les digressions de celui-ci se font plus diverses, les réactions de Joe se font plus drôles et fines (c’est d’ailleurs le seul moment du film, peut-être, où l’humour trouve une place idéale).

En bon destructeur que Lars Von Trier est devenu depuis Antichrist, le récit et la complicité entre les deux personnages explosent, laissant place, à la fin du film à un noir profond, marquant définitivement l’existence de Joe qui sera condamnée à fuir toute sa vie. Certains reprochent au réalisateur de vouloir toujours tout détruire, de mettre sans cesse la morale à rude épreuve, et il faut reconnaître que la construction de cette deuxième partie de son œuvre-fleuve nous laisse croire qu’il en sera ainsi, que, quoiqu’elle fasse, Joe finira toujours par tomber plus bas, dans les arcanes les plus profondes de l’âme humaine qu’elle met en évidence chez les autres, après avoir elle-même fait cette exploration et essayé d’en sortir.

Car c’est une réelle exploration d’elle-même que réalise Joe ici. Les digressions de Seligman ouvrent de nouvelles approches à ce qu’elle a vécu, apportent une compréhension, un savoir qui viennent parfois répondre aux interrogations de Joe. Mais c’est aussi en véritable exploratrice de son corps et de ses limites qu’elle se masturbe sans cesse, jusqu’à se blesser et ne plus pouvoir se donner de plaisir physique, et pour finalement en ressentir dans la compagnie d’une jeune femme dont elle deviendra le mentor. Et c’est par l’exploration, durant une promenade en montagne, qu’elle s’identifie, dans une séquence magnifique de poésie, à un arbre dressé tout en haut face au vent, vivant malgré tout, plié face à l’adversité de son destin d’arbre solitaire. 

© zentropa

© zentropa

Nymphomaniac est un film réussi car il se retourne, se débat, reste toujours à la limite des chemins tous tracés dans lesquels aurait pu s’enfoncer Lars Von Trier. Il faut toutefois remarquer ici, à nouveau, la tendance récurrente du cinéaste à vouloir explorer les lois du politiquement correct dans ses films. Après le « je suis juif et anti-sioniste », le « j’appelle un chat un chat, un nègre est donc un nègre ». C’est triste à voir, toujours hors sujet, et loin de défendre le film. Le questionnement moral du film ne devrait être que sexuel, rester dans le sujet qu’il a choisi de développer. Et ce questionnement sexuel va déjà assez loin pour que le réalisateur ne tombe dans des écueils inutiles.

Reconnaissons tout de même la qualité de ces deux films qui réussissent à former un tout cohérent tout en restant très différents. On dit que Lars Von Trier est égocentrique, c’est vrai et il place son ego de manière peu subtile dans cette dernière œuvre, mais reconnaissons tout de même qu’il est un grand de notre paysage cinématographique, et cette dernière œuvre nous le prouve aussi.

Simon Bracquemart

Film en salles depuis le 29 janvier 2014.


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