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Le Martyr rwandais enfin reconnu par la justice française?

Publié le 10 février 2014 par Ksd @KarfaDIALLO

rwanda-genocide-memorial-tourAujourd’hui, la cour d’Assises de Paris ouvre le sixième jour d’un procès véritable miroir des relations franco-africaines. Sur des collines délaissées par les Dieux, aux lisières d’une décolonisation bâclée et d’un aveuglement des institutions internationales, de la manipulation politique au service de la brutalité et de l’ambition du pouvoir des dirigeants africains, d’une conception rétrograde de la vie humaine et d’une tragédie fraternelle, le dernier génocide du  vingtième siècle surclassait tous les statistiques avec un million de mort en cent jours.

Pendant que le Sénégal, après une vingtaine d’années de péripéties, s’apprête à traduire devant la justice l’ancien Président tchadien Hissène Habré « pour crimes contre l’humanité, torture et crimes de guerre », la Cour d’Assises de Paris vient, enfin, d’ouvrir le procès historique de l’ex-capitaine rwandais Pascal Simbinkangwa, un paraplégique de 54 ans jugé pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité. Il est accusé d’avoir incité, organisé et aidé les massacres qui ont fait quelque 800 000 morts entre avril et juillet 1994.

De façon assez concomitante c’est aussi le moment où des documents inédits établissent la conviction brandie par de nombre de militants sur la responsabilité de certains éléments des services secrets français. En effet, sans aucun scrupule et couvert par des services d’Etat français jadis pollués par les officines, l’ancien capitaine Paul Barril, habitué des plateaux de télévision et arracheur de dents notoire, a apporté son actif concours aux fanatiques hutus avec une opération dont le nom de code « Insecticides » renseigne sur le degré de collusion avec l’idéologie génocidaire qui désignait les tutsis sous le nom de « cafards ».

Pour autant, il faut se réjouir de ce premier procès. C’est une avancée dérisoire mais il faut la prendre comme telle. Une rare étincelle de justice qui ne saurait illuminer le sombre oubli qui continue de recouvrir le dernier génocide du siècle dernier dont le 20ème anniversaire sonnera le 6 avril prochain.

Vingt années c’est le délai qu’il a fallu au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour faire son travail et à la justice rwandaise pour faire défiler près de 2 millions de Rwandais devant les tribunaux « gacaca » coutumiers, afin d’éclairer les complicités de tout un peuple dans ce massacre de voisinage.

Piégée par des stratégies contradictoires et par le résultat de deux des enquêtes judiciaires aux conclusions diamétralement opposées,  la France aura aussi attendu vingt années pour enfin imiter d’autres pays (Belgique, USA, Canada, Pays Bas, etc) qui ont participé au travail de justice soit en jugeant directement devant leurs tribunaux des présumés génocidaires ou en acceptant l’extradition vers le Rwanda de suspects réclamés par Kigali.

En effet, après les premières conclusions du juge Bruguière qui (sans jamais s’être rendu au Rwanda) défendra la thèse d’un complot du mouvement rebelle de Paul Kagamé (devenu président après le conflit) qui aurait décidé en assassinant le président Habyrimana de sacrifier les tutsis de l’intérieur, c’est exactement l’inverse que soutiendra le second juge Trevidic qui fait reposer la responsabilité du génocide sur les dirigeants hutus qui feront sauter l’avion de l’ancien président qui venait d’accepter le principe d’un partage du pouvoir avec le FPI à Arusha d’où il rentrait ce 6 avril 1994. Sans avoir tranché ce conflit entre le droit et les considérations politico-diplomatiques, l’ancien Chef d’Etat français Nicolas Sarkozy avait du bout des lèvres donné des gages au Rwanda de Paul Kagamé en admettant « l’aveuglement » et « des erreurs d’appréciation, des erreurs politiques » de la France dans cette tragédie.

C’est donc dans ce contexte de réchauffement des relations entre Kigali et Paris qu’il faut rechercher les raisons de ce premier procès ouvert en France. Mieux vaut tard que jamais ! Réfugié dans la lointaine Mayotte et conscient des lourdeurs administratives et judiciaires, Simbinkanwa était en première ligne dans les massacres de ce génocide comme directeur du service central de renseignement et cofondateur de la funeste radio Mille Collines dont on connait les appels au meurtre.

Quelques semaines avant le vingtième anniversaire de ce génocide, son procès permet donc, à la France de revenir sur une des pires tragédies politiques de son histoire et d’affirmer ses valeurs de justice, quoi que tardives. Après les houleux débats entretenus par des élites françaises sur une responsabilité « unique » à trouver soit en France ou en Afrique, dédaignant une complexité historique que les tragédies ne semblent pas nous avoir enseigné, il faut espérer que la justice arrive, sinon à guérir, du moins à apaiser les consciences et à nourrir la vigilance et la fraternité d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique.

En effet, s’il est illusoire de rechercher une « vérité scientifique » dans ce carnage, il reste une terrible responsabilité qui, au-delà de la seule France, pèse sur l’ensemble des pays africains d’abord premiers comptables de la sécurité et de l’intégrité de leurs citoyens mais aussi sur la communauté internationale qui, par ses atermoiements et ses lenteurs, a trahi sa conscience et abandonné ces milliers d’hommes à une barbarie dont elle est censée éviter la répétition.

Vingt ans après, ce procès a surtout valeur symbolique et de réparation pour les victimes et leurs descendants comme devant participer à un nécessaire devoir de justice envers la conscience humaine bafouée au pays des Mille Collines

Karfa S. Diallo


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