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La comtesse - 7,5/10

Par Aelezig

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Un film de Julie Delpy (2010 - France, Allemagne, USA) avec Julie Delpy, Daniel Brühl, William Hurt, Anamaria Marinca, Vizakna Sebastian Blomberg

Glacial et gothique à souhait.

L'histoire : XVIe siècle, Hongrie. La comtesse Erzsebet Bathory et son mari règnent sur de vastes terres et sont si riches qu'ils prêtent même de l'argent au roi et lèvent leurs propres troupes pour l'aider à bouter les Ottomans envahisseurs hors des frontières. Le pouvoir, la puissance, c'est agaçant. Lorsque le comte meurt, Erzebet refuse de se remarier avec son cousin. Elle est assez grande pour se défendre toute seule et gérer ses domaines. Mais elle tombe follement amoureuse d'un jeune homme qui a vingt ans de moins qu'elle, un jeune homme qu'il n'est pas question d'épouser, ce serait une terrible mésalliance. Décidément, elle est vraiment agaçante, cette Erzsebet. Alors on commence à lui mettre des bâtons dans les roues et, pour commencer, à envoyer son amant au Danemark, en faisant croire à la jeune femme qu'il a trouvé l'amour auprès d'une femme plus jeune. Erzsebet est folle de douleur, persuadée que ses rides naissantes ont fait fuir son adoré. Cela tourne à l'obsession. Dépressive, irritée, un jour elle frappe une servante et son visage est éclaboussé de sang... Elle trouve alors que sa peau est plus douce et plus lisse. La comtesse désormais assoiffée de sang va devoir se procurer son sérum de beauté magique en grandes quantités...

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Mon avis : J'adore les histoires gothiques et, bien qu'elle se passe au XVIe siècle (donc avant la période dite romantico-gothique, en littérature), celle de la comtesse Bathory est une de mes préférées ! Et elle est vraie en plus. Je la connais depuis des années, elle me fascine, car on ne saura jamais la vérité sur ce qui s'est passé. Quand j'ai su que Julie Delpy, une de mes chouchoutes, en avait fait un film, elle a grandi encore dans mon estime et j'ai eu hâte de voir sa version. J'ai attendu longtemps, mais ça y est, Orange Gratos l'a fait ! Et je n'ai point été déçue.

Parfaite reconstitution de l'Epoque, déjà. Avec des costumes adéquats, y compris dans les tenues des domestiques, avec les vêtements traditionnels brodés. Un vieux château inquiétant, des collines désertes battues par les vents, et une jeune femme seule, au bord de la folie. Ambiance glaciale. Normal. D'abord, la région est fraîche, les demeures de cette époque peu chauffées, la comtesse est solitaire, et obligée d'être dure pour être respectée, à une époque où les femmes n'étaient que menu fretin, l'histoire est bel et bien horrible, à la Dracula... Brr... Julie incarne une magnifique comtesse sanguinaire, ou pas.

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Car on n'a jamais su et on ne saura sans doute jamais si les faits reprochés sont avérés ou non. Erzebet a toujours nié farouchement. Et il se trouve qu'elle n'a pas pu assister à son procès, ni se défendre. Bizarre. Aucune preuve, pas de témoins, un soi-disant journal intime qui n'a jamais été retrouvé, et des accusés (ses serviteurs et complices) qui ont avoué sous la torture. Il se trouve que Erzsebet gênait beaucoup de monde : pensez donc, une femme de tête, et fortunée avec ça. Malgré l'horreur des crimes dont on l'accusait, elle ne fut pas condamnée à mort mais assignée à résidence : de cette façon, ses héritiers pourraient récupérer sa fortune ; dans le cas contraire le roi aurait fait saisir tous ses biens. Bizarre, bizarre. On raconte donc que la famille aurait fait disparaître les preuves, afin qu'elle ne soit pas condamnée, que l'honneur de la famille soit préservé, le roi court-circuité, et le pactole récupéré... Erzsbet, enfermée, ne leur nuirait plus et ils n'avaient plus qu'à attendre sa mort... (trois ans plus tard). Innocente et trahie ? Coupable et manipulée ? Coupable complètement ? Aucune thèse définitive à ce jour. La comtesse est enterrée dans l'église de Cachtice, aujourd'hui slovaque, non loin de son château, en ruines.

Pour mener son récit, Julie Delpy a inventé un amant, follement aimé d'Erzsebet. Séparé d'elle, il n'apprend que par les autres les crimes dont on l'accuse. Il est comme nous, dans le doute absolu. A la fin, il se recueille sur sa tombe, parce qu'il a aimé cette femme, mais ne saura jamais si elle était le monstre qu'on prétendait.

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Un portrait effrayant mais très sensible et très intelligent, prenant en compte tous les paramètres qui ont pu motiver les actes de la comtesse, si tant est qu'ils sont vrais. Elle raconte les rumeurs, les faits, mais aussi les mécanismes politiques qui pourraient étayer la thèse de l'innocence et de la conspiration. Tout y est, également pesé et contrepesé. Le tout en montrant du sang, mais sans tomber dans le gore. De la haute voltige. Brillant.

Le film commence, et se termine, avec cette phrase "L'histoire est une fable racontée par les vainqueurs." Très joli ! Je ne sais pas si c'est de Delpy ou si elle a trouvé ça quelque part, en tous cas, ça me parle ! Passionnée d'histoire, je me suis toujours amusée à prendre du recul, à me dire "Et si ça ne s'était pas passé du tout comme ça ? Si nous n'avions que la version de ceux qui avaient intérêt à ce que l'on retienne une certaine vision des événements ?" Et de nouvelles recherches ont souvent prouvé qu'effectivement, les faits considérés comme avérés depuis des lustres étaient en fait à nuancer par des découvertes plus récentes ou plus objectives... Et l'on voit dans les manuels d'histoire des enfants comme il est facile de faire apprendre telle ou telle chose, selon qu'on a tel ou tel gouvernement.

Julie Delpy a dû, comme moi, être intriguée par ce destin de femme exceptionnel : il est rare que l'on raconte des histoires de criminelles. La femme est un être si doux, si fragile... elle ne ferait pas de mal à une mouche. Le film explore plusieurs facettes de l'histoire féminine : oui, les femmes peuvent être aussi des tortionnaires ivres de sang ; oui, elles peuvent être réduites violemment au silence par les hommes de pouvoir si elles la ramènent trop ; oui, elles succombent à la tyrannie de leurs miroirs, habituées depuis des millénaires à un devoir de beauté et de jeunesse éternelles... Et avec au final, un bon petit coup de griffe à la religion.... souvent faite par les hommes, pour les hommes.

Enfin bref quoi... j'ai adoré ! Cette fille a un talent fou.


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