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Série Arlt 7/8 – Littérature sans héros - Roberto Arlt – El paisaje en las nubes (Fondo de Cultura Economica, 2009) par Roberto Arlt

Par Fric Frac Club
Série Arlt 7/8 – Littérature sans héros - Roberto Arlt – El paisaje en las nubes (Fondo de Cultura Economica, 2009) par Roberto Arlt Série Arlt 7/8 – Littérature sans héros - Roberto Arlt – El paisaje en las nubes (Fondo de Cultura Economica, 2009) par Roberto ArltTirée des chroniques inédites en volume, publiée en 2009 dans un monstre de 750 pages, cette série de huit « câbles » datés de l'année 1941 – inédits en français – propose le regard décalé de Roberto Arlt (1900-1942), l'auteur des Sept fous et géant des lettres argentines, sur l'art romanesque et la littérature. Sélection et traduction par Antonio Werli.
Littérature sans héros Une lampe grossière et nébuleuse acquiert une valeur esthétique lorsqu'elle illumine le visage d'un héros. Il importe peu que l'existence de ce héros donne naissance à un risque donné. Sa capacité d'action, par son épaisseur, prête à la lampe un relief inhabituel. Par conséquent, le paysage se pare du spectre magnétique du héros. Au contraire, la réalité photographique propre à soi ou aux apparences externes procure au romancier d'obscènes matériaux de construction littéraire. Parmi ces matériaux se trouve la trivialité qui, de nos jours, parce qu'elle est exclue par ses dimensions naturelles de l'oeuvre d'art, a été la revendication des romanciers, au sein de ce qui a été nommé art subjectif. Nous ne mésestimons pas les valeurs sociales ou morales du trivial, mais cela ne signifie pas que la trivialité ait le relief suffisant pour donner forme aux fresques de l'œuvre d'art. La revendication du trivial est un événement dont la responsabilité concerne particulièrement le réalisme. La première réaction du réalisme a été de substituer, au figuron difforme qui anime les toiles du romantisme, les méticuleuses gravures jaunies qui tissent les vides d'aujourd'hui. Pour le roman, ce succès du quotidien médiocre est dû au fait que le réalisme n'est pas un genre mais une technique, qui s'est limitée à décrire ce qui se trouvait sous le nez des écrivains avec la fidélité d'un pantographe. Triomphe déterminé par la facilité de manipulation de l'instrument. Ainsi, le romancier est parvenu à transposer la peinture de caractères vers la description linéaire des figures, et seul Huysmans, très mauvais romancier et génial prosateur, en exagérant la description des choses jusqu'à les retordre, a crée au sein du réalisme un phénomène de style essentiellement poétique, duquel Valle Inclan fut un fervent continuateur en Espagne. De fait, le trivial constitue et demeure la pierre angulaire du réalisme, mais sa fréquence dans le roman contemporain est une infection qui rend insupportable la lecture des livres qui envahissent heure après heure les vitrines des librairies. Le plus curieux dans l'affaire est que le romancier semble plus que jamais lié à l'effrayante trivialité de ses contemporains, au moment précis où la planète est mue par l'action de héros noirs, rouges et blancs, comme pour la magie et ses hiérarchies astrales. Le roman contemporain ignore pratiquement le héros. Son matériau préféré, ce sont des hommes et des femmes asséchés, ennuyés, myopes, qui racontent avec des larmes de résines l'histoire de leurs intérieurs en bois. Quand apparaît un roman attaché aux héros authentiques, son succès est sidérant, que la critique officielle s'en occupe ou non. Le sujet du livre court de bouche en bouche et il y a même des histoires dont la carrière se doit exclusivement à des recommandations orales qui parviennent à traverser les océans. Ce type d'événement n'est pas fréquent. À quoi doit-on que le trivial prédomine dans le roman ? Au fait que leurs auteurs sont des romanciers médiocres. Sont rares les écrivains qui parviennent à se sentir, au moins cinq minutes par jour, héros, tyran, assassin, saint ou monstre. Par conséquent, ces professionnels ignorent l'intérieur des héros, des tyrans et des saints. En revanche, on les voit dédier des pages et des pages à la description du frémissement des pétales d'une rose en papier quand un ange passe. C'est autour de cette apothéose de la fiction atomisée que se structure l'esthétique de l'art nouveau. Les conséquences les plus graves produites par ces attrape-nigauds doivent être mises en relation avec l'état mental auquel elles prédisposent la jeunesse. Celle-ci finit par se confronter à un monde de fiction dénaturalisé, très ancré dans le fausseté et très facile d'accès, et parce que c'est facile, elle en vient à admettre qu'il est vrai. Après tout, n'a-t-on pas toujours des choses à raconter sur soi ? Mais essayez de raconter comment on force un coffre, comment on fabrique une fortune en spéculant en Bourse, comment on fabrique un bijou, comment une industrie s'organise, comment s'écrit une neuvième symphonie, et racontez-le exactement, et avec toutes les difficultés atroces que l'événement présuppose, et alors, peut-être, ce sera un roman. Mais de toute manière, il aura répondu aux lois élémentaires qui régissent la vie d'un récit. Nous observons en revanche que le roman, comme le théâtre contemporain, est l'œuvre d'écrivains qui dominent l'art d'écrire, mais à qui fait défaut la matière. On pourrait comparer ces auteurs à des maçons en disponibilité. Ils savent manier la truelle, le niveau, le plomb, mais n'ont pas d'édifice à construire ; de cette manière, les genres les plus expressifs et nobles se retrouvent remis sur les rails dans les zones nébuleuses du subjectif, où le caprice viole toutes les lois de la gravité. Alors le lecteur part en quête de héros dans ce qu'on appelle biographies romancées.

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