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Une république laïque bizarrement attachée à son dimanche

Publié le 02 mars 2014 par Copeau @Contrepoints

On n’y comprend plus rien. La République Française, citoyenne, festive, indivisible et bien évidemment laïque, semble ne pas savoir sur quel pied danser dès lors qu’il s’agit du travail dominical. Et la situation, qui était déjà diablement complexe, vient récemment de gagner en confusion.

Il y a quelques mois de cela, j’évoquais les cas devenus symptomatiques de Bricorama et de Sephora qui, ayant bêtement tenté de conserver leur ouverture le dimanche, s’étaient heurtés à la ferme action des syndicats qui ne pouvaient pas supporter cet affront aux bonnes mœurs, et qui préféraient très clairement la diminution de l’activité voire la faillite des entreprises concernées plutôt que revenir sur le repos dominical acquis de haute lutte par l’église catholique leurs camarades syndiqués depuis des temps immémoriaux.

la france jardiland et bricolage
Si, en Novembre 2012, Vincent Bénard expliquait pourtant de façon claire le bénéfice qu’on pouvait raisonnablement attendre de l’ouverture du dimanche, un an plus tard, la situation était devenue, légalement parlant, relativement incompréhensible et l’emploi du terme « bricolage » juridique ne paraît pas trop fort pour qualifier les tergiversations confuses des tribunaux et du gouvernement sur la question.

La France est un pays de perfectionnistes qui ne peuvent se satisfaire d’une situation déjà complexe sans immédiatement tout faire pour la rendre bordélique à souhait.

C’est ce à quoi s’est donc employé le tribunal de Bobigny en rendant il y a quelques jours son verdict concernant les scories juridiques de l’ « affaire Bricorama ». En effet, obligée de fermer le dimanche, la chaîne de magasins de bricolage avait décidé d’attaquer ses principaux concurrents, Castorama et Leroy Merlin, au motif d’une concurrence déloyale. Après tout, pourquoi subitement Bricorama n’avait pas le droit d’ouvrir alors que les deux autres enseignes continuaient à le faire, et n’étaient pas enquiquinées par des syndicats étrangement partiaux ?

Aux yeux du tribunal de Bobigny, tout ceci ne mérite manifestement pas d’en faire un plat : si, d’après lui, les deux enseignes « ont commis une faute en ouvrant leurs magasins plus de cinq dimanches par an et en ne produisant pas les autorisations administratives nécessaires », comme il ne semble pas clair qu’il y ait un transfert de concurrence de Bricorama vers ces deux enseignes, il n’y a pas de préjudices et donc roulez jeunesse.

Autrement dit : Castorama et Leroy-Merlin sont en faute, mais ne font pas vraiment concurrence à Bricorama, et n’auront donc aucune indemnité ni amende à payer. Décidément, si le bricolage du dimanche semble quelque peu compromis par ces décisions, le bricolage juridique, lui, continue allègrement. D’autant que parallèlement, le gouvernement aurait préparé un décret assouplissant les règles (fort confuses, comme on peut le voir) entourant le travail dominical… Mais ce décret peine à paraître : toujours pas publié au Journal Officiel, le parcours institutionnel du petit bout de papier laisse perplexe et les acteurs concernés, encore une fois, au milieu du gué.

Il faut dire que, pour ne surtout pas changer et frôler une augmentation (même vague) de l’activité économique, les syndicats sont à l’affût : selon Christophe Lecomte, secrétaire de FO Commerce, le décret n’est pas paru parce que Jean-Marc Ayrault sait pertinemment qu’il sera immédiatement attaqué par les syndicats et débouté par le Conseil d’État à la moindre incartade. Ouf, c’est pas comme si la France avait des millions de chômeurs qui rêvent de travailler, même le dimanche, pour mettre un peu de beurre industriel dans leurs épinards pas bio ! Au moins, ce danger est écarté.

En attendant, les enseignes de bricolage continuent d’ouvrir le dimanche, et de trouver leur clientèle au rendez-vous, en utilisant la maigre réserve des 5 dimanches par an que les mairies autorisent par défaut.

travail dimanche : le scandale est d'avoir à travailler le reste de la semaine
Ceci dit, les petits pas de deux que font les gouvernements, les préfets et les tribunaux de commerce au sujet du travail du dimanche montrent à quel point toute cette question est devenue fort toxique. D’un côté, on comprend bien que la moindre parcelle de remise en question du dogme dominical fera se lever un vent de révolte de la part de syndicats qui n’ont rien à perdre (leur légitimité est de toute façon microscopique) et tout à gagner d’une épreuve de force dans le domaine. De l’autre, on sent intuitivement que cette bataille est, outre son ridicule achevé, perdue d’avance : inévitablement, les enseignes devront ouvrir le dimanche parce que les clients le réclament, les employés le réclament, les enseignes les réclament et l’État, assoiffé de taxes et de cotisations, le réclame aussi.

La réalité est qu’encore une fois, les institutions sont totalement paralysées par la peur de déclencher des grognements de syndicalistes qui ont pour eux l’oreille attentive des médias, et les décennies de tradition marxiste où l’on présentera systématiquement le travailleur du dimanche comme un exploité sans droits ni libertés, qu’il est indispensable de protéger, et son patron comme un être méprisable et âpre au gain, cigare vissé au bec et embonpoint bourgeois à l’évidence coupable. La réalité, c’est que le pays est aussi coincé par cette vision délicieusement sépia où le monde, de toutes façons cantonné aux douillettes frontières nationales, s’arrêtait effectivement le dimanche, chose qui n’est plus du tout vraie depuis qu’il est devenu si simple d’être en relation, tant avec les Japonais pour lesquels il est lundi matin alors que notre dimanche n’est pas achevé, qu’avec des Américains qui terminent à peine leur samedi alors que notre dimanche débute.

À l’heure où la mondialisation n’est plus une vague facilité pour quelques commerçants internationaux mais bien une réalité tangible pour des millions d’internautes qui peuvent acheter à toute heure du jour et de la nuit, un fait concret pour des consommateurs et des producteurs partout en France et ailleurs, il semble incroyablement rétrograde de confier de façon exclusive l’organisation du temps de travail à une entité administrative qui a par ailleurs prouvé maintes et maintes fois son incapacité à régler les problèmes, quels qu’ils soient.

En pratique, l’organisation d’une semaine de travail et la possibilité de travailler ou non le dimanche (qui semble n’embarrasser personne lorsque cela concerne les pompiers, les boulangers, les électriciens ou les médecins) devraient être laissés directement à l’appréciation des individus entre eux. De la même façon qu’il n’y a pas de distance minimale ou maximale pour laquelle on peut postuler pour un travail, il ne devrait pas y avoir de jours tabous, de périodes fixées dans le marbre lorsqu’un commerce ouvre ses portes : toute l’idée même des affaires, c’est de s’adapter aux besoins des clients, et non d’adapter les clients aux désidératas des employés.

yes week end
Les seuls cas où l’organisation impose ses horaires à la clientèle pour accommoder ses salariés, c’est lorsque cette organisation est hors du domaine concurrentiel. Et surprise, il s’agit des entreprises d’État et des institutions officielles, celles-là même qui ont cette fâcheuse tendance à vous cracher des horaires de disponibilité honteux. On pourra s’en convaincre en relisant un précédent billet sur la façon dont des individus sont traités par la préfecture d’Antony, par exemple.

Que des gens ne souhaitent pas travailler le dimanche me semble normal et logique. Que d’autres, a contrario, préfèrent clairement un autre jour pour prendre leur congé hebdomadaire m’apparaît tout aussi valide, pour une myriade de raisons que seul un socialiste, qui sait mieux que vous ce qui est bon pour vous, pourrait péremptoirement trouver moins bonnes. Mais que l’État français, en 2014, en soit encore à triturer son code du travail pour tenter d’approcher la réalité du terrain et de le faire aussi discrètement que possible pour éviter de se mettre les syndicats à dos, ça en dit très long sur le niveau de sclérose de la société et l’idéologie mortifère qui la parcourt.

Un pays qui n’a aucune confiance dans les individus, qu’ils soient patrons ou employés, producteurs ou consommateurs, qui croule sous les chômeurs mais refuse leur emploi à des jours jusque-là tabous, un pays qui refuse de s’adapter au monde réel, c’est un pays foutu.

Une république laïque bizarrement attachée à son dimanche

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