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"Je t'aime, je t'aime" : SF 68

Par Vierasouto


02 - 03
2014
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HOMMAGE A ALAIN RESNAIS
Il nous a quitté ce matin, je mets en une ici la critique que j'avais faite en 2007 (reprise en 2008 pour la sortie DVD),  du merveilleux film
"Je t'aime, je t'aime" (1968)

   
   
  Alain Resnais en janvier 2008
Rétrospective de l'intégrale Resnais au Centre Georges Pompidou du 16 janvier au 3 mars 2008
Rétrospective Resnais à la
Cinémathèque de Toulouse du 1er au 31 janvier 2008
Sortie du DVD de "Je t'aime, je t'aime" le 8 janvier 2008, enfin!!!!!!

"Je t'aime je t'aime", film de SF d'Alain Resnais dont la présentation fut empêchée à Cannes en 1968 pour cause d'annulation du festival, demeure un film à la diffusion rarissime et dont il n'existe aucune version en DVD pour le moment... Profitant de sa projection lors d'une unique séance à la cinémathèque à Paris hier vendredi, j'ai enfin vu la merveille et ça valait la peine d'attendre, le résultat est au delà des espérances... Claude, qui vient de rater son suicide est récupéré à sa sortie de clinique par un centre de recherches expérimentales sur le temps qui lui propose de revivre une minute de son existence un an auparavant dans le midi de la France... Mais le revécu du souvenir heureux va parasiter l'expérience qui va tourner en boucle.. Avec un magnifique Claude Rich très jeune, subtil et séduisant, comme on ne l'a jamais vu auparavant, et une superbe actrice oubliée des sixties Olga Georges-Picot....



Critique du film

Olga Georges-Picot et Claude Rich (photo éditions Montparnasse)

Il y a des noms qui font rêver : celui d’Olga Georges-Picot par exemple, le genre d’actrice météore des années 60 dont personne ne se souvient comme de Danièle Gaubert ou Johanna Shimkus*, sauf quelques pèlerins qui les connaissent pour un rôle unique, ainsi Olga GP dans «Je t’aime je t’aime» (1968) d’Alain Resnais. Ce n’est pas qu’elle ait révolutionné le jeu d’actrice de l’époque mais son apparition à l’écran dans la minute de bonheur de Claude Rich, lui, sortant de l’eau avec un masque et un tuba et la découvrant, elle, allongée sur le flanc sur la plage, en maillot une pièce noir très chic, coiffée comme Sylvie Vartan à l’époque avec une lourde frange et des cheveux roux mi-longs... superbe…

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Le fronton en verre d’un service de chirurgie, deux silhouettes au fond du long couloir blanc, et, dans ce cadre blanc monacal désert et silencieux, deux hommes parlant par bribes d’un patient qui s’en sortira… Après une tentative de suicide ratée, Claude se remet d’une opération chirurgicale dans une clinique belge «je ne vous imaginais pas vous suicider avec une arme à feu» lui dit le médecin, «moi non plus, d’ailleurs, je m’en suis tiré» lui répond Claude, cet échange donne le ton du film : grave et léger avec un humour pince sans rire. Pendant ce temps, un savant complote dans le bureau du directeur de la clinique pour débaucher Claude à des fins expérimentales dans son labo de recherche sur le temps. Sans famille ni envie de vivre, Claude qui «revient de loin » représente le cobaye idéal. A sa sortie de clinique, le savant l’aborde dans la rue pour lui proposer de le suivre dans son centre de recherche à 50 kms, Claude s’enquiert de la météo, il fait beau pour la route, donc, il accepte de les suivre, toujours ce ton léger, détaché…

L’expérience scientifique consiste dans un premier temps à faire revivre à un patient une minute d’un passé remontant à un an plus tôt. Une époque où Claude se souvient parfaitement qu’il était en vacances dans le midi de la France. Après un traitement médicamenteux consistant à faire du cobaye un dormeur éveillé conservant la conscience des événements, enfermé dans une sorte de cerveau en plâtre de la taille d’une maisonnette, Claude se retrouve allongé à l’intérieur d’une sorte de sculpture en forme de circonvolution du cerveau. Après quelques toussotements au démarrage de l’expérience (l’image clignote alors à l’écran comme un appareil qui a un faux contact), Claude se revoit nageant sous l’eau, sortant de l’eau avec masque et tuba en disant trois phrases à Olga GP qui l’attend sur la plage en maillot de bain une pièce noir et cheveux roux. Une scène qui va se répéter multe fois, quelquefois à l’identique, quelquefois allongée ou raccourcie, l’expérience s’enlise… Intercalés avec cette scène récurrente, les souvenirs et la genèse de l’histoire d’amour de Claude et Catherine font surface mêlés aux fantasmes du patient. Entre deux périodes de souvenirs, on revient donc de temps en temps à l’intérieur du cerveau en plâtre, puis on retourne invariablement sur la plage où ce moment de bonheur auquel Claude se raccroche va devenir son rocher de Sisyphe…


Par le tour de magie d’une mise en scène originale, voire fantaisiste dans sa présentation mais très rigoureuse dans sa construction, les séquences des souvenirs nous apportent peu à peu les pièces du puzzle de l’histoire d’amour de Claude et Catherine depuis leur rencontre dans un bureau. C’est un film d’une maîtrise hors du commun techniquement parlant mais pas seulement : ce film a un ton particulier entre gravité et légèreté, une nonchalance élégante et poétique pour laquelle la performance de Claude Rich n’est pas étrangère. Un acteur qu’on voyait souvent à l’époque dans des comédies (avec Louis de Funès, par exemple) dont on se demande pourquoi il n’a pas joué davantage de rôles à sa mesure quand il faudra des décennies avant qu’on ne se rende compte de son génie dans «Le Souper» endossant le costume de Tayllerand face à Claude Brasseur en Fouquet. Sensibilité, finesse, nuance, humour, charme, pudeur, Claude Rich possède tout cela dans le rôle de Claude, éblouissant, séduisant, touchant…

Voilà un film introuvable en DVD, projeté au compte goutte (une séance unique à la cinémathèque à 15h un vendredi) qui semble avoir été frappé par le sort dès sa sortie où pour cause de mai 68, sa présentation à Cannes fut annulée avec le festival. Sorti l’année suivante dans l’indifférence générale, le film passe pour une œuvre de jeunesse quand il contient tous les thèmes chers à Resnais déjà traités de façon magistrale sur le mode d'un film de SF : le passé, la mémoire, le souvenir, la science, le couple, la possibilité d’une seconde fois, etc... Bien que je connaisse mal l’œuvre de Resnais, ce n’est certes pas avec la collaboration Jaoui/Bacri qu’on risquerait de retrouver des films de Resnais de cette envergure, d’ailleurs, aujourd’hui, oserait-on encore une telle audace, sûrement pas en France…

* Olga Georges-Picot (photo) dans «Adieu l’ami» de Jean Herman (1968) (l’actrice se suicidera dans les années 90), Danièle Gaubert dans «La Louve solitaire» d'Edouard Langereau (1967) (l’actrice, morte depuis d'un cancer, fut mariée à Jean-Claude Killy), Johanna Shimkus dans «Ho!» (voir critique sur le blog...) de Robert Enrico (1968) (l’actrice est toujours mariée avec Sydney Poitier pour qui elle abandonna sa carrière).
écrit par Vierasouto le 10/02/2007 sur CinéManiaC/Allociné
Bonus du DVD (éditions Montparnasse, sortie 8 janvier 2008, environ 20 Euros)
Passionnants suppléments , on a une longue interview de Claude Rich aujourd'hui, un entretien audio avec Alain Resnais qui ne s'exprime en général jamais sur ses anciens films et une rencontre avec l'écrivain scénariste du film Jacques Sternberg.

Claude Rich raconte des choses étonnantes, par exemple que pour jouer Catherine, jeune femme avec quelque chose de brisé en elle, Resnais avait pensé à deux actrices dont Olga Georges-Picot qui obtiendra le rôle et toutes deux se sont suicidées par la suite. S'agissant de son rôle de Claude Ridder, Resnais lui annonce qu'on ne le verra jamais, il accepte, puis, finalement, qu'il sera de tous les plans... Et au centre de chaque plan du passé comme on le verra par la suite, prouesse technique... Resnais dit qu'il n'avait que Claude Rich dans la tête pour jouer Claude, qu'il a demandé à Jacques Sternberg, qu'il aimait comme écrivain, d'écrire le scénario, comme ce dernier prisait la forme courte, il lui proposera en retour des kilos de scénettes autonomes dont il pensait qu'on les choisirait de façon aléatoire mais Resnais va en sélectionner lui-même, sans pourtant les modifier, un certain nombre pour le film. Ces scènes vont s'articuler autour d'un noyau au présent : le cerveau en plâtre, sorte de grande niche où a lieu l'expérience. Contrairement à ce qu'on pourrait penser en voyant le film, tant il est bien construit et perd vite le spectateur, le film a une linéarité et avance chronologiquement dans la reconstitution du passé... "Je t'aime, je t'aime" est en fait un récit d'inspiration autobiographique pour Jacques Sternberg. Anecdote : un train emmène un lot de célébrités en tenue soirée à Cannes en 1968, quand ils arrivent, Truffaut, Godard, Malle etc... viennent d'arrêter le festival depuis 10 mn... Le film sera projeté en séance spéciale à Cannes en 1992, Claude Rich ne se retrouve plus dans ce jeune homme 35 ans plus tard...
POST DU 7 JANVIER 2008

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Mots-clés : cinéculte, cinéma français, Je t'aime je t'aime, Alain Resnais, CinéDVD

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