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Mai 68 une révolution ? Pas de pouvoir en tout cas…

Publié le 14 mai 2008 par Argoul

L’opinion commune (soigneusement construite et entretenue par les acteurs médiatiques d’alors) voudrait que Mai 68 ait révolutionné la France. Dans les mœurs sûrement, tant le catho-communisme majoritaire était coincé de ce côté là. Dans le pouvoir, sûrement pas, la caste alors régnante règne toujours, plus que jamais.

En témoigne ce petit livre désopilant mais oublié – écrit par un technocrate lettré – sous la forme d’un pamphlet : « Lettre ouverte à un jeune technocrate », de Georges Elgozy (1909-1989, Inspecteur général de l’Economie Nationale). Il est paru en octobre 1968, quelques mois après la chaleur des « événements ». Il dénonce, dans la lignée de Mai et avec les mots de l’Administration, la mainmise technocratique et étatiste de la société sous la houlette des imberbes à peine sortis de l’ENA. Il les appelle joliment diplominets, énanistes, technocrabes, puérocrates, parcheminets… Parmi les fonctionnaires, qui se sentaient alors investis d’une « mission » laïque de guider « le peuple » (qui ne demandait rien), les enseignangnants n’étaient pas très bien vus par les étudiants et lycéens de Mai, mais encore moins les technocrates. « Comment interpréter la fronde estudiantine de mai-juin 1968, sinon (…) comme un défi à la tyrannie pédante de nos diplominets ? Les agités de Nanterre et de la Sorbonne refusent d’être enfermés dans les grilles socioprofessionnelles d’une société de consommation dirigée. Leur ennemi numéro un, c’est le privilégié numéro un : l’énaniste. » p.20

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Eclos aux Etats-Unis en 1919, le mot fut transplanté en France vers 1934, mais avec cette différence cruciale qu’« outre-Atlantique, ‘technocratie’ signifie « philosophie de gouvernement organisé par des compétents pour le bien de tous » (p.34) et pas je-décide-pour-vous-selon-mon-bon-plaisir. « Le mandarin sait ce qu’est le beau, le juste, le vrai. Acquises à l’école, ses connaissances resteront d’autant plus inébranlables qu’il les aura mieux préservées des offenses et des ironies de la réalité. » p.127 « Au cours d’une longue scolarité, notre pontife aura surtout appris à composer. Il saura tout justifier par raison discursive. Dans ses équations, les hommes – ces inconnues – ne figureront que pour quantités négligeables. » p.101

Et Elgozy de s’étendre sur l’élitisme d’un diplôme passé à 20 ans qui assure carrière par cooptation et bonne conscience. « Servir l’intérêt général est un tranquillisant idéal, si l’on prend soin d’en respecter la posologie et les contre-indications. Cette drogue procure à qui s’y adonne conscience de cristal et sommeil de plomb. Au réveil, la plénitude d’une liberté sans contrôle, illuminée par la perspective d’un pantouflage plus ou moins cossu. » p.62 « Les cadets de l’ENA sont formels : l’unique raison qui les détermine à choisir leur carrière, c’est le pouvoir. Le pouvoir, et non le désir de servir comme l’eussent prétendu avec moins de franchise leurs aînés. Jadis on servait la France, déclare Pierre Gaxotte, aujourd’hui on commande aux Français. » p.67 Les choses, 40 ans plus tard, ont-elles vraiment changé ? Les énarques cherchent toujours à commander les gens, du haut de leur supériorité scolaire. Y compris au PS où Ségolène est sortie de l’ENA, tout comme Hollande et Fabius (entre autres).

« L’erreur étant humaine et la technocratie inhumaine par définition, force est de convenir que le technocrate peut difficilement se tromper, quand même le voudrait-il. Pour plus de sûreté, il évite les contacts des hommes d’expérience qui risqueraient de dépraver son jugement. » p.138 Jamais ne s’est trompé Villepin (énarque), ni Chirac (énarque), ni Juppé (énarque), ni Jospin (énarque)… « Quand cette faune d’aquarium public prendra le large, elle n’affrontera pas sans dommage les tempêtes de l’océan, ni ses requins » p.96 Voilà qui, écrit en 1968, était prémonitoire ! Elle annonçait l’aberration Haberer au Crédit Lyonnais et la grand messe Messier chez Vivendi (énarques-PDG). Comme ces élites sûres d’elles-mêmes et dominatrices savaient tout de naissance, d’excellence scolaire et de népotisme social, elles ont cru pouvoir blouser les producteurs d’Hollywood et les financiers des start-up en technologies de la communication… avec le succès éclatant qu’on connaît ! Elgozy l’avait dit, un entrepreneur n’a rien d’un technocrate : « administrer, besogne d’irresponsables, c’est se désister des responsabilités en faveur des responsables. » p.71 D’où l’ignorance économique compensée par l’arrogance du jugement : « Nos omniscients estiment que les automatismes libéraux ne garantissent plus l’expansion. Laisser faire leur serait intolérable. Rien ne doit désormais se passer sans qu’ils y soient mêlés : ils s’interdisent de ne point interdire, contrairement aux instructions formulées en mai 1968 par leurs cadets sans avenir. » p.122

Si l’on veut connaître le « vrai » 68, autant se reporter aux œuvres d’époque !

Lettre ouverte à un  jeune technocrate, Georges Elgozy, Albin Michel collection Lettre Ouverte, octobre 1968, 162 pages.


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