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L'économie collaborative s'invente en France : gardons notre avance !

Publié le 12 mars 2014 par Jean-Christophe Capelli

Tribune collaborative initialement publiée dans Le Monde, Idées du 6 mars 2014

Consommation collaborative, production distribuée, finance participative, éducation et savoirs ouverts. Ces mouvements nés de la rencontre de l'innovation numérique et sociale sont les piliers d'une nouvelle économie : l'économie collaborative. La France est un pays pionnier en la matière.

« Ce n'est pas une crise, c'est un changement de monde », prophétisait le philosophe Michel Serres. Cela fait plus de cinq ans que dure la crise, et l'économie française ne semble montrer aucun signe d'amélioration. Et s'il était temps de tout réinventer ?

Alors que la banque Lehman Brothers s'effondrait et emportait l'ancien monde dans sa chute, quelques poignées d'enthousiastes anonymes, éparpillés un peu partout entre l'Europe et les États-Unis, commençaient à expérimenter des façons inédites de consommer, fabriquer et échanger. Partage de voiture, échange d'appartements, recyclage d'objets, alimentation en circuits courts... Ces nouvelles pratiques avaient tout du système D. « En temps de crise on se débrouille, rien de nouveau sous le soleil! », pouvait-on entendre alors.

Quelques années plus tard, l'économie collaborative n'a plus grand chose du système D et s'apparente de plus en plus à un laboratoire de nouveaux modèles socio-économiques, centrés sur les échanges en pair-à-pair. La finance participative enregistre une croissance de 100% par an et BlaBlaCar, leader mondial du covoiturage, transporte déjà un million de personnes par mois en Europe.

UN MODÈLE DYNAMIQUE

A la croisée de l'innovation sociale et de la culture numérique, l'économie collaborative est à la fois un secteur dynamique, un modèle de transition et un choix de société. Elle pèserait déjà plusieurs dizaines de milliards de dollars. Surtout, elle laisse entrevoir la création d'emplois qualifiés, la revitalisation de l'économie locale, la réduction de l'empreinte énergétique des ménages et des entreprises, ou encore la réappropriation par les citoyens de leurs villes.

Richesse de l'offre, maturité des usages numériques, sensibilité sociale : la France est une terre d'accueil propice pour cette nouvelle économie. Les startups françaises du partage sont parmi les plus dynamiques au monde. Mais les plateformes en ligne ne sont pas tout. Partout sur le territoire les espaces de coworking, les FabLabs et les makerspaces fleurissent. A la fois think tank et mouvement citoyen, l'association OuiShare s'efforce depuis deux ans de fédérer cet écosystème original et diversifié.

Elle est à l'origine du plus grand rendez-vous mondial des acteurs de l'économie collaborative, le OuiShare Fest, dont la deuxième édition aura lieu en mai à Paris.

Pourtant, la plupart des acteurs économiques et politiques ne parviennent pas encore à s'approprier ce phénomène inédit. En cause : la difficulté des entreprises traditionnelles à appréhender des modèles à rebours des modes d'organisation établis.

DU CÔTÉ DES POUVOIRS PUBLICS

Les récentes tensions au sujet de la légalité des services collaboratifs et leur supposée concurrence déloyale aux acteurs historiques révèlent un climat de confusion au sein même de nos institutions. Du côté des pouvoirs publics, les initiatives récentes comme le soutien à l'essor du crowdfunding, le Forum de l'économie collaborative à Bordeaux ou encore l'initiative French Tech lancée par Fleur Pellerin, restent encore trop isolées malgré l'excellent accueil que leur réserve l'écosystème tout entier.

Le petit-déjeuner organisé par le premier ministre à Matignon, jeudi 27 février, et réunissant 12 acteurs de l'économie collaborative, est une première étape soulignant la volonté du gouvernement de soutenir le développement de ce secteur. Il faut maintenant la convertir en actions concrètes.

Devant ce constat, nous préconisons un soutien massif à l'économie collaborative à l'échelle européenne et mondiale, à la fois en tant que secteur innovant en forte croissance et modèle économique valide à large échelle. La mobilisation de toutes les institutions et grandes entreprises est aujourd'hui nécessaire pour faire de l'économie collaborative l'un des fers de lance du redressement économique et de l'innovation structurelle.

Nous proposons des mesures qui correspondent à des demandes récurrentes de l'écosystème et répondent aux exigences de toute réforme dans un environnement économique contraint : efficaces, simples, lisibles et peu onéreuses.

TRANSFORMER L'ESSAI

1. Créer un dispositif d'aide au développement international des startups nationales et des “projets hétérodoxes”. Doté d'un soutien matériel et financier public (via le développement des French Tech Hubs par exemple) ou privé (via le soutien de grandes entreprises cherchant à accompagner l'innovation), le dispositif devrait idéalement cibler d'une part les startups les plus prometteuses et les projets de long terme à vocation sociale, tous deux leviers de croissance de demain.

Les objectifs : désenclaver le territoire national, attirer les investisseurs et encourager les grands groupes à prendre part au développement de l'économie collaborative. La France pourrait être à l'origine d'un tel réseau auprès des autres Etats membres de l' Union Européenne.

2. Accélérer le développement d'une économie en réseau, horizontale et distribuée via des expérimentations locales et le développement de programmes d'éducation et de recherche. Les obstacles à l'appropriation de nouveaux modèles collaboratifs sont principalement culturels. C'est au sein des institutions publiques, dans les entreprises et derrières les murs des universités que se nichent les leviers du changement. C'est ici et là que l'économie collaborative doit être enseignée, expliquée, explorée et formalisée.

3. Moderniser et mettre en cohérence le droit avec les réalités de l'économie collaborative via une large consultation publique réunissant l'ensemble des parties prenantes de l'économie collaborative. A l'ère des plateformes et des communautés, nous préconisons la création d'une forme juridique de société à la gouvernance souple et qui permette un partage de valeur entre ces plateformes fournissant les services et les utilisateurs à l'échelle nationale et européenne.

Plus généralement, les frictions et la confusion qui entourent les réglementations économiques, fiscales et de propriété intellectuelle freinent à présent le développement du secteur tout en donnant l'image d'une atmosphère nationale hostile à l'innovation.

Pionnière en la matière et forte de son écosystème largement reconnu, la France saura-t-elle transformer l'essai ? 

Les signataires

Les signataires de cette tribune sont un collectif d'acteurs de l'économie collaborative:

Diana Filippova et Antonin Léonard (OuiShare),

Frédéric Mazzella (BlaBlaCar),

Stéphanie Bacquère et Marie-Noéline Viguié (Nod-A),

Stéphane Distinguin (FaberNovel),

Céline Lazorthes (MangoPay),

Daniel Kaplan (la Fing),

Marc-David Choukroun et Guilhem Chéron (La Ruche qui dit Oui),

Marie Vorgan Le Barzic et Paul Richardet (Numa),

Paulin Dementhon (Drivy),

Jean-Baptiste Roger (La Fonderie),

Vincent Ricordeau (KissKissBankBank),

Cédric Giorgi (Cookening),

Alexandre Boucherot et Arnaud Burgot (Ulule),

Emmanuelle Roux (Sc21),

Matthieu Lerondeau (La Netscouade),

Jean-Christophe Capelli (LaCaisse.org),

Emile Hooge (Nova 7),

Rodolphe Menegaux (XAnge),

Marion Carette (OuiCar),

Clément Alteresco (Bureaux à Partager),

Antoine et Eric Van Den Broek (Mutinerie, CoPass),

Nicolas Bergé (Les Satellites),

Magali Boisseau-Becerril (Bedycasa),

Nicolas Cohen et Nicolas d'Audiffret (A Little Market),

Nicolas Bard (Ici Montreuil),

Amandine Piron et Gwendal Briand (Collporterre),

Bertier Luyt (Le Fab Shop)

et Benjamin Augros (Pretachanger.fr).


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