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Bleu Eldorado par Laurence Fontaine

Par Livresque Du Noir @LivresqueduNoir

«Il y a un tueur sur la route»

Eté 1990. J’ai 20 ans et je découvre l’Amérique. Chicago, ses buildings, la route 66. La chanson «riders on the storm» des Doors résonne dans la voiture et c’est un chant ininterrompu qui dit qu’il faut prendre la route, saisir un carnet et noter tout ce qui, plus tard, permettra de parler de l’Amérique. Chandler, Fante, Salinger, Kerouac, Stephen King se sont invités dans mon sac de voyage. J’aime écrire depuis l’adolescence et l’adolescence justement est au cœur de l’idée du roman que j’ai en tête. Un décor et des personnages imaginés se fondent dans celui que je traverse. Mon roman sera un road-movie.

D’abord deux personnages en fugue, insolents et insouciants comme la jeunesse, décident que la vie vaut la peine d’être vécue… ailleurs. Le Grand Ouest est pour eux un risque, une évidence, un but. Quand j’entre dans un drugstore ou que je stationne dans un motel, mon carnet en main, j’ai l’impression de les deviner, levant le pouce, leur silhouette se découpant sur le fond bleuté des Montagnes Rocheuses. Mais il y a aussi la noirceur de l’Amérique que je perçois à l’ombre des immeubles ou sur le bitume de la route. Cette obscurité m’aspire et m’inspire : dans mon histoire, il y aura un troisième personnage, sombre, qui hante la route. Poignant par son incroyable capacité à croire en ses rêves, effrayant par son implacable volonté de manipuler ceux qui l’entourent. Un héros mystérieux dont on ne sait jamais, d’un instant à l’autre, s’il va appuyer sur la gâchette du revolver ou tourner la clé de contact pour nous emmener vers l’Eldorado. Lefty est le noir dessein de l’Amérique. Musicien de génie et tueur de rêves, au volant de sa Cadillac il défie le temps, la logique, transforme le réel et crée le mystère en jouant avec nos peurs. Il est l’homme qu’on aime haïr.

L’auteure en devenir que je suis à cette époque, croit fermement que ce road-movie imaginé a un avenir quelque part… mais c’est sûrement dans un monde parallèle ! Les refus d’éditeurs s’accumulent dans ma boîte aux lettres. L’idée d’Amérique est ‘ringarde’ dans les années 90. Guerre du Golfe, 11 septembre, économie en berne…. Bleu Eldorado suinte la poussière empoisonnée du rêve américain. L’interminable route de mes personnages va devenir la mienne.

Entre temps, je publie en 2009 et 2011 deux romans policiers situés en Irlande. Je les pare d’autres couleurs vives pour oublier le bleu dans mon tiroir. Mais on n’oublie pas la couleur du ciel. En 2010, l’Amérique change de visage, de couleur. Entre temps, au fil de l’écriture, le voyage vers l’Eldorado est devenu une épopée diabolique au cœur de l’âme humaine. Mot par mot, années après années, j’ai peaufiné chaque dialogue, filmé dans ma tête chaque plan. Lorsque Bleu Eldorado paraît en 2013, choisi par les Editions Les Nouveaux Auteurs et le jury des lecteurs, c’est un peu de hasard qui entre en collision avec le destin.

Il y a des romans que l’on construit, et d’autres qui vous construisent. Bleu Eldorado est de ceux qui non seulement construisent, mais ouvrent les portes de la perception, celles de son auteure et je l’espère de ceux qui voudront le lire. Parce qu’il ne faut jamais sous estimer le pouvoir des mots : Ils rendent possible ce qui ne l’est pas et ça, c’est magique.


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