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Henri Cartier-Bresson

Par Jessica Staffe @danmabullecultu

Jusqu’au 9 juin 2014, le musée Pompidou propose une rétrospective qui se compose de 500 photographies, dessins , peintures et films d’Henri- Cartier- Bresson  Cette exposition permet de découvrir des facettes inconnues de  son œuvre. Chacun de ces supports apporte une nouvelle vision et retrace le parcours de vie de  cet artiste iconoclaste et inclassable. Avec sa sensibilité et son regard sur le monde, il a réussi à capturer des évènements marquants de l’histoire contemporaine. Du retour des camps, en passant par la guerre d’Espagne, le conflit en Indochine, mai 68, les funérailles de Mahatma Gandhi ou le couronnement de Gorges VI, toutes ses productions  font de lui un témoin privilégié du vingtième siècle. Elles ont donc une valeur historique.  A l’instar de Capa, d’Eugène Atget, Brassai, D’Isis ou d’Albert Londres, son travail de photoreporter a été pour lui un engagement professionnel et politique.  C’est dans cette démarche, qu’il a cofondé l’Agence Magnum Photos en 1947 avec George Rodger et David "Chim" Seymour.  Marqués par les atrocités et la violence de la seconde guerre mondiale, ils ont décidé de créer cette coopérative pour revitaliser le métier et pouvoir produire des photo-reportages en toute liberté. Encore aujourd’hui, cette agence dispose de plusieurs antennes dans le monde et publie des photo-reportages reconnus pour leur qualité professionnelle et leur engagement humaniste.

Proche des communistes, il a collaboré au magazine Regards ou au quotidien le Soir en France. Il a soutenu les Républicains en Espagne et participer à l’association des Ecrivains et des Artistes Révolutionnaires (AEAR).  Comme le rappelle Clément Chéroux, le commissaire de cette exposition dans un article paru dans le journal L’Humanité, ce foisonnement d’idées a marqué son inspiration  et l’a conduit à s’intéresser aux foules. Cette vision anthropologique de la photographie donne une dimension sociale à l’ensemble de son travail. Il transcende l’humain et immortalise  des instants de vie partout où il se trouve. Il scrute les mouvements et cherche à dépasser les frontières et les différences. Sans être ni un ethnographe ni un ethnologue, il valorise l’humain. Ce sont les hommes qui font les évènements et non le contraire.  « Photographier, c’est mettre sur le même ligne de mire, la tête, la mine, et le cœur » : cette citation  d’Henri Cartier-Bresson résume parfaitement le parcours de cet artiste qui a célébré le monde tout au long de sa vie.

Grâce à un objectif bien affuté, il a su saisir l’instant des moments cruciaux. Globe-trotter il a couvert les changements politiques, culturels et économiques de toutes ces époques. aux quatre coins du monde;  A chaque fois ses photographies révèlent une réalité  autant émotionnelle que sensorielle. Il capte les mouvements du corps avec l’œil d’un cinéaste. Le cinéma compte parmi ses nombreuses passions. Comme beaucoup de surréalistes, il s’est essayé à cet art qui en a fasciné plus d’un. Il a par exemple réalisé  un film pour soutenir les républicains lors de la guerre d’Espagne.

 La Victoire de la vie, L’Espagne vivra, le Retour: de l’engagement cinématographique d’Henri Cartier-Bresson

Convaincu par l’idéologie humaniste, il a aussi été fortement choqué voire traumatisé par ce qu’il a vu en Afrique. Ce voyage l’a touché au plus au point. La famine, la pauvreté, la maladie et la soumission du peuple noir l’a encouragé à suivre l’inéraire des anti colonialiste.  Il ne pouvait supporté l’oppression de ses peuples colonisés par les pays européens.

Dans l’Espagne Vivra sorti en 1938   Cartier-Bresson  embrasse  l’idéologie républicaine contre le gouvernement de Franco.  Habité par une conscience politique et citoyenne, il y met toutes ses convictions.  Nourri d’idéologie cette production soutient  la démocratie espagnole malmenée par Franco. Cartier-Bresson y expose clairement  son opposition et s’insurge contre les milices envoyées par le pouvoir italien et allemand pour renverser la démocratie espagnole.  Ces contre pouvoirs cherche à déstabiliser le gouvernement en place. Le fascisme gagne de plus en plus de terrain dans la péninsule ibérique. Ce documentaire remet en cause cette réalité et exhorte les puissances européennes à intervenir.  Cette guerre n’intéresse pourtant pas le front populaire et la France se caractérise par son non interventionnisme. Il en va de même pour le Royaume-Uni. Cette passivité est critiqué par Cartier-Bresson. Elle va à l’encontre de l’engagement humaniste de cet homme du monde.

Dans ce documentaire, on retrouve toutes les armes de la propagande menée par le parti communisme. Comme l’avait compris Cartier Bresson, le cinéma s’adresse à un public plus important que la photographie. Conscient de cette force, il  l’a exploité pour dénoncer des causes qui lui tenaient à cœur. L’image imprègne les esprits. Elle devient une preuve matérielle des atrocités perpétrées par les régimes fascistes italien et allemand et surtout franquiste  durant la guerre d’Espagne. La musique contribue aussi à renforcer le message politique. Lancinante, elle permet de marteler l’idéologie républicaine.

Le retour est un film réalisé en 1946. Il traite du retour des camps de concentration.  Il révèle la vie difficile dans ces lieux de torture où l’humanité  a été malmenée. La mort a souvent été la seule issue pour ces victimes  de la violence des hommes. Il s’attache à montrer où a mené l’idéologie raciste défendue par les fascistes. L’horreur, la maladie est décriée. Il dévoile la libération des camps de concentration. Difficile et parfois improvisé cette libération a été pour les survivants le moment de recouvrer leur liberté perdue. Cet acte organisé par les armées alliées est pris en charge par l’armée russe d’un côté et américaine de l’autre. 2 400000 russes, 1 500 000 polonais, 330 000 tchèques, 1 750 000 déportés des pays baltes, 600 000 habitants des pays d’Europe Centrale, 400 000 hollandais, 420 000 italiens, 570 000 belges, 2 100 000 français ont ainsi tenté de regagner leur pays et recommencer une nouvelle vie. Ce film peut être considéré comme un document d’archives. Sa valeur historique  n’est pas à négliger. Gagné par la fièvre de la libération ce film fait la propagande des libérateurs. Il rappelle que le DDT a été utilisé pour éviter la prolifération des maladies. La musique traduit encore une fois l’idée de ce documentaire. Elle amène comme un vent de liberté.

La victoire de la vie est un documentaire réalisé par Cartier Bresson pour soutenir les républicains espagnols dans la guerre civile. « L’Espagne républicaine travaille pour l’avenir,  la santé et la  des enfants demeure  primordiale » Cette citation prouve que cette république veut protéger les jeunes enfants et sauvegarder sa jeunesse. La prime enfance devient une priorité politique. La monarchie les avait délaissée. L’Espagne apparaît solidaire à travers les dires de ce cinéaste. Chacun soutient l’effort de guerre  et contribuerait à la victoire.  La république espagnole est auréolée de succès. Elle forme des soldats à tours de bras. Cette propagande valorise ce gouvernement et montre que ses bienfaits.  La musique qui accompagne  ce discours est solennelle et s’apparente à un air militaire. Elle reste dans la thématique de la guerre. Elle est peu à peu remplacée par des bruits d’explosions, de coups de fusils de mitraillettes. Tout est fait pour soutenir le spectateur en attente. L’élocution est claire et distincte et martèle le message de propagande. Les commentaires sont dits comme s’il s’agissait d’un récit. Ce parti pris donne une vivacité aux mots parfois théoriques.« C’est la guerre contre la maladie, contre la mortalité infantile, cette lutte continue jusqu’au dessus des berceaux ».  Ici cette phrase est construite comme une proclamation, elle est écrite pour être dite. Chaque mot est choisi. Cette répétition sonne comme le martèlement de la vérité. Elle s’appuie sur une certaine musicalité. Pour que l’on se souvienne d’un message, il doit être bien construit. C’est le cas ici.  Le vocabulaire de la  guerre est utilisé, il renforce le ton revendicatif de ce commentaire. Toutes ces constructions linguistiques participe à la propagande.

Tous ces films épousent des thèmes chers aux communisme et rappelle l’attachement viscéral de Cartier-Bresson pour la liberté et la justice. Il a toujours assumé ses choix politiques et a toujours été guidé par des valeurs humanistes.

 Des changements politiques et  sociaux immortalisés par Cartier-Bresson et Magnum

Les photographies suivantes correspondent à la période Magnum Photos dans la vie artistique d’Henri cartier-Bresson. Ce choix non exhaustif propose des regards particuliers sur des réalités sociales, politiques et économiques  marquantes de l’époque contemporaines. Il a saisi des instants.  Certains paraissent intemporels et montre un temps où l’on savait vivre et chaque oeuvre inspire à la paix. Sans aucune violence, elles mettent en question des décisions politiques, des moment cruciaux de la lutte sociale mais aussi d’une sérénité religieuse qu’elle soit catholique ou musulmane.

Henri  Cartier-Bresson : l’itinéraire d’un artiste engagé et d’un professionnel convaincu

© Cartier-Bresson/Magnum photos – Cachemire, 1948 – Shrinagar.
Femmes musulmanes priant face au soleil levant et au Mont Hari Parbal, Himalaya

Ici Cartier- Bresson a voulu immortalisé un instant solennel. Des femmes musulmanes prient au Cachemire.   Ses terres sont connues dans le monde entier pour la laine de qualité qu’elle produit. A majorité musulmane, elle se trouve sur les terres de l’Inde. Au moment de l’indépendance de ce pays et sa partition en 1947, cette région est tiraillée entre l’Inde, le Pakistan et la Chine . Encore aujourd’hui, des tensions se ressentent.Des mouvements indépendantistes souhaitent aussi l’autonomie de cette  province. Cette photographie en noir et blanc révèle des femmes priant en toute simplicité. Aucun violence ne s’en dégage. Face à ce cliché, on ressent plutôt de la sérénité et du calme. Ce recueillement incite à la paix. Il présente la religion musulmane sous un jour positif et sans ambiguité. Il s’avère juste et humaniste.

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Henri Cartier-Bresson, L’Aquila, Abruzzo, Italy, 1951, © Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos

Les Abruzes, région centrale d’Italie est ainsi valorisé par le mouvement de l’objectif. . Cet escalier nous invite à descendre découvrir de coeur de cette cité italienne. Chaque marche nous rapproche de notre but. L’Eglise apparaît au centre de l’image. La présence  de la religion catholique est encore prégnante à cette époque. Ce lieu de culte agrandit le lien social et donne une identité sociale à chacun de ses paroissiens.  Chaque femme que l’on voit est habillé en tenue religieuse; Elles semblent dévouées à leur vie religieuse. Le calme règne. l’effervescence demeure absente; Elles sont les seules à s’affairer. Cartier-bresson pointe son objectif et se pose en observateur privilégié de cette vie locale représentative d’une époque.

© Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos - Meeting politique, Parc des expositions, Paris, 1952-1953.

© Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos – Meeting politique, Parc des expositions, Paris, 1952-1953.

Cette foule chère aux communiste est valorisée par Cartier-Bresson. Elle demeure calme et nombreuse. Ce meeting au parc des expositions rappelle que ces rassemblement ressemblaient à de grandes messe. L’homme politique déclame son discours  devant une foule en liesse. Il la domine. Il prêche ses idées ou son idéologie comme le ferait un prêtre. Elle propose une image que l’on pourrait voir dans les pages des manuels d’histoire. Document d’archives, elle est riche de sens. Elle reflète une situation révolu. Ce grand rendez-vous aujourd’hui ne serait pas organisé dans un tel lieu. A travers cette photo, la foule n’est pas associée à la violence mais à la paix. Elle écoute calmement sans folie. Des milliers de partisans ou de curieux sont massés dans  un des halls d’expositions.

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© Henri Cartier-Bresson, 1968, Rue de Vaugirard

Ces quelques clichés prouvent que la photographie de Cartier-Bresson est engagée et se soucie de l’humain. Cet axe a dirigé tout son travail. A chaque fois, il a cherché à donner un visage humain à toutes les transformations politiques, sociales et économiques. En mai 1968, il s’est intéressé aux révoltes étudiantes et au vent de révolution qui soufflait sur la France. Ces instants de vie font pour nous désormais de l’histoire contemporaine de la France. Il met en valeur un groupe social qui souhaite un changement politique radical. Il rappelle les idéaux politiques défendus par cet artiste.  a travers ce tag "Jouir sans entraves", tout est dit. Ce message expéditif révèle une  division entre la jeune génération et leurs parents.  Ils semblent irréconciliable. Cette photographie évoque une réalité changeante et une transformation sensible de la société. "Les Trentes Glorieuses" connaissent leurs première limites. La croissance commence à s’essouffler un peu. Le chômage longtemps inexistant réapparaît. Ces petites crispations économiques  amène à la jeunesse de nouvelles raisons de manifester leur mécontentement. Ils se sentent incompris par le vieux pouvoir incarné  par le Général de Gaulle.

L’exposition  Cartier-Bresson nous plonge dans l’univers de cet artiste aux multiples facettes. A travers cet itinéraire artistique et politique, on apprend à connaître en profondeur l’univers de l’un des plus fameux photo-reporter français.  Exhaustive, elle nous propose un voyage au coeur de l’oeuvre monumentale d’Henri  Cartier-Bresson. A découvrir sans modération mais avec curiosité en intérêt.


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