Magazine Culture

XXII. Au petit matin transi

Publié le 21 mars 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Litanie des jours passés en compagnie de Sébastien de Courtois, sur les rives du Golfe de Tadjourah, jusqu’aux cités soudanaises et de Malek Chebel.

Dimanche 16.03

Le Prophète eut cette réponse : « La foi consiste à faire des choses que ni la main ni la langue ne regrettent plus tard. » Déjà l’humanisme ! Et il ajouta aussitôt : « Nul ne devrait être musulman s’il ne désire pour son prochain ce qu’il désire pour lui-même. »

Réveillé à 4h30, plus vraiment envie de dormir, j’avais les pieds gelés et le cœur serré. Pourtant, la nuit était belle et promettait d’être longue, mais elle n’en a fait qu’à sa tête et a fini par me secouer. Alors je l’ai terminée sur le canapé, sous le plaid chaud, réchauffé par les mots de de Courtois et son soleil afar de Tadjourah. Si je lis et que j’ai encore du sommeil dans les pattes, lire est un bon moyen pour moi de retourner au combat. J’ai bien avancé dans le livre de Malek Chebel, un livre lumineux et simple, sans être simpliste, qui remet bien les choses à leur place et qui devrait être distribué partout où il y a de la haine pour cette religion, et partout aussi où cette religion est dévoyée pour en faire un instrument de torture.

Sakura

Benjamin Stora, l’historien de l’Algérie, est de tous les débats dès lors qu’il s’agit de l’Algérie. Il faut qu’il fasse attention : on a l’impression qu’il est le seul à pouvoir aborder ce vaste sujet. Cela dit, il est toujours passionnant. Ce jour-là, il rappelle le contexte de l’époque : « Il y avait 100 000 Maghrébins en France en 1939 ; ils n’étaient ni français ni immigrés, ils n’avaient pas de statut. C’étaient des silhouettes, des invisibles, considérés comme des indigènes, abandonnés. On sait juste qu’ils ont participé à la construction du Mur de l’Atlantique », explique-t-il.

J’ai dû ranger trop vite ce livre dont j’ai lu les dernières pages juste avant mon départ en Indonésie. L’étoile jaune et le croissant de Mohammed Aïssaoui.
Je suis frappé de voir que le sujet de la place des étrangers dans une société moderne pose encore question. Enfin non, il est toujours bon de reposer des questions lorsqu’on pressent que certaines choses ne sont pas claires et intégrées et c’est précisément ce qui fait question. Une partie de la population française d’aujourd’hui n’a toujours pas intégré que la présence d’étrangers en France, d’étrangers ou de personnes issues de l’immigration qui sont désormais des Français à part entière et que rien ne justifie qu’on puisse revenir dessus. J’ai l’impression d’énoncer une tautologie, mais si cela est évident pour moi, ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde et il est bon de le rappeler tant que ce n’est pas acquis, surtout en cette période pré-électorale.

On pourra s’interroger sur ce qui ressemble à une obsession, les choses restent claires en moi, je n’ai nullement l’intention de me convertir, mais je pars toujours du principe qu’il est préférable de comprendre une religion plutôt que de suivre ses préceptes. Je fais, de toute façon, partie du clan des hommes libres. Personne n’est au-dessus de moi pour me dicter mes actes ou les juger non conformes à une parole révélée. L’idée d’une chape de plomb au-dessus de ma tête est simplement insupportable.

Lundi 17.03

Je commence à tourner comme un lion en cage, transi par un froid venu de l’intérieur qui traduit mes manques. Mes désirs sont insufflés, exacerbés par la connaissance que j’en ai, me permettant de faire la distinction entre le trop et le pas assez. J’ai des rêves de Socotra, de mers arabes, de côtes africaines où le danger est inhérent à la vie quotidienne.
J’ai appris le voyage avec mes premiers atlas, puis plus tard avec la magie d’internet, une magie qui ne dit rien de plus que les cartes, qui donne l’illusion qu’on puisse voyager depuis son fauteuil, les livres aidant, mais l’illusion est toujours là. Je souris toujours à l’évocation du remplissage des carnets de voyage abondamment illustrés de photos de monuments devant lesquels on se fait photographier comme pour attester qu’on y était, de rapports de gendarmerie ou de conseils de voyages, de noms d’hôtels ou de restaurants dans lesquels il faut se rendre. Peu de place aux sourires, aux amitiés succinctes, aux regards échangés dans les allées d’un bazar, un moment de lâcher-prise inattendu… Le voyage se niche ici. Ce n’est peut-être qu’une illusion encore.

Mardi 18.03

Le voyage commence quand on se dit qu’on reviendra.

Jeudi 19.03

Ce matin j’ai appris la mort de Rimbaud par une lettre de sa sœur Isabelle, puis je suis allé au jardin cueillir une branche du lilas mauve. Sa petite âme odorante montait légère au ciel ouvert. Christian Bobin

Le matin se réveille avec le chant de l’oiseau qui martèle.
Quelques vertiges au lever, impossible à comprendre.
Le soleil revient au loin, la pollution disparue, en tout cas visiblement.
La lecture du livre de Sébastien de Courtois est un vrai plaisir. Son escapade en Éthiopie met en lumière une manière de voyager très particulière. En tout cas dans ce qu’il en dit. Même si ce recoin du monde n’a pas l’air très engageant, on imagine aisément la chaleur, la poussière, la pauvreté, les pas d’un Rimbaud agacé dans un pays hostile. A chaque instant, on se demande ce qu’il est allé faire là-bas. Rimbaud. Et de Courtois aussi.

Vendredi 20.03

Le vent s’est levé. Hier soir déjà. J’aime ces moments d’intimité avec les livres au petit matin lorsque le vent souffle derrière les volets et qu’il m’apostrophe pour savoir où vagabonde mon esprit. Il n’a pas encore l’ombre d’une idée de ce que je vais faire.
Demain, la course dans le Vexin, dimanche, les élections. Après ? Après, personne ne sait…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Romuald Le Peru 1135 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine