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De qui se moque-t-on ?

Publié le 07 avril 2014 par Hongkongfoufou

oddjob logo 2 Par Oddjob

On m’a souvent reproché (et on me le reproche encore, à juste titre) de n’être pas bon public pour le genre comique au cinéma… et surtout celui estampillé "français". Comme si on se méfiait de mon désintérêt pour le rire. (Et je ne parlerai pas ici des comédies américaines, anglaises ou bien encore italiennes tant leur niveau dépasse le genre pour relever du cinéma, tout simplement !)

Bref, je passe pour un gars pas (très) drôle !

C’est vrai que je n’ai jamais vu ni Les Visiteurs, ni Les Chtis, ni Les Campings et j’en oublie (l’histoire du cinéma aussi…)

Mais ce n’est pas le rire que je crains mais la vulgarité, le pipi-caca frelaté, la veulerie assumée, la beaufitude exaltée, le bling-bling de supermarché.

Le populeux a remplacé le populaire et les masses crasses se ruent béatement dans les multiplexes pour s’y voir, pour s’y retrouver et revivre leur vie médiocre.

Alors oui, encore une fois (et sans doute pas la dernière), je vais vous redire que c’était mieux avant (et au diable ce que l’on pense de moi). En vrac : Robert Dhéry et ses branquignols dans La Belle Américaine, Louis de Funès dans tous ses films, Pierre Etaix et sa poésie comique (ou son comique poétique, au choix), Jacques Tati et sa vision personnaliste des Trente Glorieuses ou encore Philippe de Broca héritier français de Tex Avery (selon Jacqueline Bisset)…

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Car à l’époque, on taquinait, on persiflait, on pastichait, on avait le verbe haut et fleuri et le culte du bon mot. Mais maintenant, ce n’est que moquerie facile, blagues d’ados attardés et insupportable humour cocaïné "made in Canal" !

Avant, un Bourvil était excellent en Français moyen chez Gérard Oury (La Grande Vadrouille et Le Corniaud), comme en commissaire tenace chez Jean-Pierre Melville (Le Cercle Rouge). Dans un autre registre, un Noiret se retrouvait juge féroce chez Bertrand Tavernier (Le Juge et l’Assassin) et professeur de grec vieux garçon chez Philippe de Broca (Tendre Poulet et sa suite On a volé la cuisse de Jupiter), avec le même talent.

Aujourd’hui… que dalle ! Et quand on voit un Luchini perdre son temps dans des comédies qui n’en ont que le nom (l’improbable Les Femmes du 6e étage), on n’est pas près de changer d’avis : du téléfilm sur grand écran, quand ce n’est pas plus digne que le film de vacances de tonton Marcel…

Et quand je dis "que dalle", je n’oublie pas, bien entendu, un beau spécimen, à l’image de notre époque, faussement charmant, d’une élégance douteuse, grande gueule devant les nains et veule devant les vrais acteurs : le playboy de lotissement, Jean Dujardin.

Car entre lui et moi, ça ne passe pas ! Qu’il ait commis Brice de Nice ou 99 Francs, je m’en fous et ce n’est pas le pire du cinéma français de ces dernières années.

Non, son "crime" : avoir endossé le rôle de OSS 117. Car là on n’est pas dans le pastiche, la parodie, le second (voire énième) degré bon teint… Ici c’est le mauvais goût fait roi, la suffisance des médiocres décrétée comme un noble art.

Il ne faut pas oublier que pour bien se moquer d’un genre, cinématographique ou littéraire, la règle d’or est avant tout d’aimer ce genre-là. De cette affection naît le détournement juste et précis, la volonté de préserver un état d’esprit. Les James Bond étant déjà en celà de parfaites parodies élégantes et racées du film d’espionnage. Alors que le pauvre Dujardin s’empêtre dans une reconstitution de pacotille et une histoire frôlant la débilité digne d’un Max Pecas (qui lui au moins ne se prenait pas au sérieux…) Et ce OSS-là n’a que faire de la France d’avant qu’il se complaît à mépriser sous le rire gras.

Un bel exemple de parodie ? C’est un film américain (je ne l’ai pas fait exprès !), Young Frankenstein (Frankenstein Junior) de Mel Brooks. Ici, tout y est, comme dans les classiques de la Universal, tics et manies, bande originale comprise, car si on rit, on frémit également. Et chaque plan est une déclaration d’amour au cinéma fantastique des années 40.

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Mais comme si cela ne suffisait pas, la même équipe d’OSS 117 va récidiver quelques années plus tard avec The Artist : du noir et blanc et du muet… Quelle audace ! A oublier d’urgence pour mieux se "replonger" dans l’insurpassable Singin’ in the rain de Donen.

Et voilà que ces jours-ci est sorti sur nos écrans, le dernier Clooney, The Monument Mens, avec Bill Murray, John Goodman et… Dujardin. Qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la tête du réalisateur de l’excellent Good Night, and Good Luck, pour engager un cabot pareil ? Pourtant le film est plus qu’honnête en renouant avec le rythme et le charme en vogue dans les 60s, le tout sans une once de vulgarité. Enfin presque puisqu’avec Dujardin, cela tient du sacerdoce !

Pour autant ne passez pas à côté de cette savoureuse pellicule, car non seulement il n’est, heureusement pas, de chaque plan, mais surtout il s’en prend "une", ce qui redonne du panache à la dernière partie du film…

Truffaut racontait à propos de de Broca : "Philippe sait que la vie est une blague, que les bureaux sont occupés par de faux adultes qui se prennent pour des ministres, des avocats, des critiques d’art, des anarchistes, des experts-comptables. Il a donc bien raison de ne jamais les filmer assis ou couchés mais cavalcadant à dix-huit images/seconde, toujours en poursuites, toujours en fuite pour échapper à la pesanteur du monde moderne."

tendre poulet

Si ces mots pouvaient servir de bréviaire à nos apprentis réalisateurs et comédiens français, à défaut d’épitaphe...


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