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Les Idiots, de Lars Von Trier

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Explicite, direct, le scandale, ou la provocation, est l’un des fruits du cinéma de Lars Von Trier.

© Les Films du Losange

Nombreux sont les réalisateurs, dans l’histoire du cinéma, à avoir créé la polémique ; nombreux aussi sont-ils à avoir subi les foudres de la censure. Pourtant, une nette distinction est à faire : la provocation, à travers la forme et le fond du film, peut être désirée par le cinéaste, l’intention peut donc être celle de façonner le scandale. Mais l’intention de se voir censurer, elle, n’existe pas. Cette différence nous amène à la principale interrogation : le cinéaste peut-il potentiellement désirer « le scandale » ?

Le défunt Resnais, en signant son documentaire anti-colonialisme Les statues meurent aussi, n’avait pas vu la censure venir, celle-ci l’entraînant, lui et son compère Chris Marker, à ne plus recevoir de proposition de travail pendant 3 ans. A la sortie de L’Année dernière à Marienbad, refusé à Cannes en 1961, la réception critique, face à une forme si surréaliste, s’indigne et crée le scandale en divisant le public entre anti et pro. Il est difficile de savoir si Resnais avait prévisualisé cela, mais il existe cependant des réalisateurs qui jouent de cette interrogation : le scandale présent à la fois autour du film et dans le film est-il encore une fois intentionnel ? Chaque réponse sera relative en fonction du metteur en scène. Penchons-nous alors sur l’un de ceux dont les intentions apparaissent claires, Lars Von Trier.

Si deux articles de l’édito du mois d’avril visent le cinéaste danois, c’est précisément parce qu’il amène le spectateur à se positionner sur cette question. Le cinéma de Lars von Trier est un cinéma psychique, de manipulation : de l’homme sur l’homme, du réalisateur sur les spectateurs, mais aussi sur son équipe technique et ses acteurs, allant jusqu’à utiliser l’hypnose pour mieux les diriger. « Un film doit être comme un caillou dans une chaussure » dira-t-il. Un film, ça dérange, et forcement, en dérangeant, on touche au scandale. Revenons alors sur l’une de ses œuvres majeures, celle qui a popularisé le fameux Dogme 95, où prime le réalisme. Ce film, qui crée une petite polémique à Cannes en 1998, s’intitule Les Idiots.

Devise 1 : « Vous êtes un complet idiot, et plus idiot que vous ne le pensez ».

Devise 2 : « Un film par des idiots, sur des idiots, pour des idiots ».

L’histoire est simple : elle conte celle d’une communauté de jeunes marginaux qui vivent dans un squat aux alentours de Copenhague où l’objectif est de profiter de la société en se faisant passer pour un groupe de jeunes atteints du syndrome de Trisomie 21. La règle au sein de cette bande, présidée par Stoffer, est la suivante : il faut trouver son « idiot intérieur », en s’entraînant régulièrement à jouer le retardé mental. Seulement, à force de jouer un personnage, on finit par le devenir peu à peu, et uniquement situer ses repères affectifs là-dedans.

© Les Films du Losange

© Les Films du Losange

Le film pose le problème suivant : jusqu’où ce « jeu » va-t-il prendre le dessus sur soi ?  Cette mise en abîme du jeu d’acteur pousse volontairement la problématique à l’extrême. D’une part l’extrême de l’histoire, de son ton cru et sadique, d’une scène particulière : c’est l’anniversaire de Stoffer. et celui-ci, dans la peau de son idiot, demande en cadeau un gang-bang, une partouze générale, tout en continuant de jouer aux idiots. Course-poursuite, scène de sexe non-simulée, bruit exagéré d’idiots, tous les ingrédients sont là pour taper l’oeil. Ces ingrédients, toujours extrêmes, qu’on retrouvera dans la quasi totalité de sa filmographie, de Dogville, au très récent Nymphomaniac (qui, contrairement aux autres, pose le problème du scandale, mais également de la censure : rappelons-le, le film débute par un court texte indiquant que le final cut s’étant vu censuré, le résultat ne représentera pas les intentions du metteur en scène) sont toujours utilisés avec maîtrise, car si ces types de scènes peuvent indigner, elles sont néanmoins toujours très enrichissantes sur la structure du récit, avec une prise de position fixe. Parfois ironiques, parfois crues, elles contribuent toujours au rythme et à la tonalité du film.

L’autre point, c’est qu’elles entrent en résonance avec la forme. Dans Les Idiots, le cadre se fait avec une caméra amateur. 4/3, grain, tremblement, colorimétrie hasardeuse, sont omniprésents, mais contribuent à amener l’action et la vie du film. En cassant les règles techniques propres à ceux des tournages de longs-métrages traditionnels, le spectateur se doit d’accepter ces défauts et de les identifier à la qualité du récit. Ce non-choix est brutal : il amène également à pouvoir s’indigner face à une structure si peu classique.

© Les Films du Losange

Les Idiots posent donc les bases du film chez Lars Von Trier à la fois sur la forme et sur le fond, par la façon d’aborder certains thèmes, de trancher un manichéisme très atypique, par la tonalité du récit et sa régulière cruauté, par sa façon de répartir et de jouer avec l’empathie du spectateur, et finalement, parfois, de le « choquer ». On ne dissimule pas le scandale, on le pointe du doigt.  
Il le fait très bien dans son cinéma. Le problème, c’est qu’il le fait aussi dans la vraie vie, littéralement : F-U-C-K, peut-on lire sur sa main. Alors, le cinéaste peut-il désirer le « scandale »? La réponse semble claire. Tant qu’il le maîtrise dans ses films sans débordement, on le soutient.

Thomas Olland

 


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