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Pourquoi a-t-on tant de mal à aimer (vraiment) The Grand Budapest Hotel?

Publié le 08 avril 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone
Pourquoi a-t-on tant de mal à aimer (vraiment) The Grand Budapest Hotel?

Ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas ici d’une critique à charge contre le dernier Wes Anderson mais bien une tentative de comprendre pourquoi The Grand Budapest , malgré toutes ses qualités, nous laisse un petit arrière-goût étrange.

Heureux qui comme Moonrise…

Avant toute chose, dissipons un éventuel malentendu. Oui, The Grand Budapest est une réussite que je vous invite à aller voir (et à revoir une fois qu’il sera disponible à l’achat), ne serait ce que pour son univers coloré et son casting. Mais force est de constater qu’il lui manque quelque chose. Ou que quelque chose gêne son émancipation. Ce quelque chose, c’est Moonrise Kingdom. D’aucuns s’indigneront de la méthode. Comparer deux films, si éloignés de par leur univers, ne tombe en effet pas sous le sens. Essayons quand même.

Dans l’œuvre du réalisateur, Moonrise Kingdom est un film à part. D’une délicatesse rare, cette aventure « tomsawyeresque », réunissant un couple d’ado en rébellion contre le microcosme de leur île natale, scintille. A sa sortie en 2012, le film n’a rien d’un OVNI (réalisateur déjà plébiscité, casting séduisant) mais son charme subjugue. Après Fantastic Mr. Fox, il semble bien qu’Anderson ait réussi à mettre en images son âme d’enfant sans être contraint de passer par l’animation. Enfant chéri, Moonrise Kingdom ? On n’en est pas très loin, tant le rendu est soigné et travaillé. Difficile de passer après un tel chef-d’œuvre.

Wes Anderson l’aura surement senti. Et pour « donner une chance » à son nouveau projet d’exister, il lui a offert un casting encore plus reluisant que son prédécesseur, comme on donnerait un plus gros jouet à un enfant pour ne pas qu’il se sente délaissé. Bill Murray, Edward Norton, Ralph Fiennes, Adrian Brody, Willem Dafoe, Tilda Swinton, Jude Law, Jeff Goldblum, Matthieu Amalric, Léa Seydoux, etc. La liste est considérable, réunissant les fidèles parmi les fidèles (Murray, Dafoe) et s’offrant un peu d’exotisme, entre starlette (Léa Seydoux) et revenant (Owen Wilson).

Pourquoi a-t-on tant de mal à aimer (vraiment) The Grand Budapest Hotel?

Enfant gâté ?

Trop gâté, le Grand Hotel ? Sans doute, car son grand déballage d’acteurs souffre toujours de la comparaison d’avec l’apparente simplicité de son aîné. Aux allures de film choral, on préférait les figures juvéniles des scouts de Moonrise Kingdom et la dégaine inimitable de son couple de héros. Le film osait des rôles un peu en dehors des clous pour leurs interprètes : Murray en pantoufle et pantalon de tweed en père de famille désabusé, Willis en flic péquenot bedonnant et amoureux transi, Norton en chef scout ringard et attachant. Même si l’acteur de Fight Club réussit encore parfaitement sa métamorphose (irrésistible chef de police à la moustache germanique), la pléthore de personnages empêche de s’attacher vraiment à eux et on est parfois déçu de n’en retrouver certains que dans de petits rôles (Bill Murray en tête dont la panoplie moustache-redingote promettait le meilleur).

Trop adulte, le Grand Hotel ? Il est certain que l’on ne s’attendait pas à une telle histoire. Là où Moonrise chantait « le temps des copains et de l’aventure », nous racontant finalement un récit fantasmé de nos jeunes années comme aurait pu l’écrire Mark Twain, ce nouveau film nous plonge dans une histoire d’héritage tragi-comique, où le destin de tous les protagonistes s’emberlificote allègrement. Un gros nœud bien maîtrisé mais dont le ton sous-jacent est étonnamment grave (la trahison, la guerre, la discrimination). Un changement radical déconcertant.

Au bonheur des orphelins

Mais peut être cette vision est-elle un peu naïve. Après tout, Moonrise Kingdom était un hymne à l’inconscience, à l’aventure (l’île perdue, la fugue, le scoutisme), romance comique objectivement peu réaliste. Son successeur s’ancre un peu plus dans une époque, confrontant parfois ses personnages à une réalité douloureuse, et donc nécessairement moins accommodante pour le spectateur. Anderson y clame à nouveau son goût pour les orphelins, dont Suzy Bishop chantait les louanges dans Moonrise Kingdom. Il y a un peu de Sam Shakusky et de son bonnet en peau de raton laveur dans le groom Zero (Tony Revolori). Mais le lobby-boy porte difficilement l’héritage du scout kaki, formant un duo déséquilibré avec l’omniprésent Ralph Fiennes là où les amoureux fugueurs fusionnaient à merveille. Dommage.

Pourquoi a-t-on tant de mal à aimer (vraiment) The Grand Budapest Hotel?

On touche là le cœur du principal reproche : en calquant une partie de son casting et de son schéma de narration, tout en conservant ses habitudes de cinéaste (ce qui est une excellente chose !), Wes Anderson a pu entretenir l’idée que The Grand Budapest Hotel serait une sorte de Moonrise Kingdom bis. Bien sûr, ce n’est absolument pas le cas. D’où un sentiment contrasté, entre plaisir et frustration.

A sa manière, The Grand Budapest Hotel conclut un cycle. Fantastic Mr. Fox, animé brillant, célébrait l’imaginaire infantile. Moonrise Kingdom contait l’enfance qui disparaît et la fuite en avant pour échapper au monde des adultes. Le grand hôtel rose bonbon suggère encore le goût d’Anderson pour les histoires charmantes. Une jolie histoire ici rattrapée par la guerre, la maladie, la jalousie, la vengeance. Peut être que ce petit goût étrange que nous laisse le film est celui du temps qui passe. Peut être que le cinéma de Wes Anderson a subitement grandi. Et nous avec.


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