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Echos du monde musulman n°219 - Yves Montenay- 10 avril 2014

Par Alaindependant

Un essai de synthèse sur la Syrie

L’actualité de ce pays est maintenant bien suivie par la presse française, mais les journalistes jonglent avec le nom des villes et celui des partis politiques, et le lecteur de base ne suit pas toujours. Voici un rappel s'appuyant notamment sur un article de The Economist du 22 mars.

Commençons par une carte qui permet de suivre le texte ci-après. Malheureusement, les noms des villes de cette carte sont transcrits en anglais. Vous reconnaîtrez néanmoins Alep (Aleppo), Damas (Damascus), le Liban (Lebanon) etc.

La guerre civile entre dans sa 4e année, et a fait environ 150 000 morts, 9 millions de sans-abri et 3 millions de réfugiés sur les 23 millions d'habitants. Mais Bachar El-Assad sera candidat aux présidentielles du mois de juin comme si de rien n'était.

La presse internationale amplifie les événements militaires : après avoir annoncé la défaite prochaine de Bachir El-Assad, elle évoque maintenant sa victoire. Certes il a repris des positions, notamment autour de Damas avec la prise de Yabroud et, le 9 avril de Rankous après celle de Qusayr, gênant l’approvisionnement des rebelles sunnites par le Liban et dégageant un peu la route de la capitale vers la côte, fief de sa communauté alaouite (une variante du chiisme, d’où son alliance avec l'Iran et le Hebzbollah (le parti de Dieu rassemblant une grande partie des chiites libanais). Mais il faut remarquer que malgré ces deux derniers appuis (au moins 8.000 hommes bien armés et organisés), le monopole de l'aviation et de l'artillerie, il n'arrive pas à progresser dans le nord du pays et y recule ponctuellement. Cela malgré la division de l'opposition déchirée par une guerre violente entre une coalition démocrate-islamiste d’une part et les djihadistes lié à El Qaïda d’autre part, « l’État Islamique d’Irak et de Syrie » dont nous avons parlé dans notre dernière lettre à propos de la révolte des sunnites d’Irak contre leur gouvernement chiite. Les djihadistes ont été refoulés vers Raqqa, à l’ouest par les « démocrates » et à l’est par les Kurdes.

On se demande maintenant si les évènements d’Ukraine vont gêner l’appui des Russes à Assad, par exemple en décidant les Américains à fournir des missiles anti-aériens aux « démocrates ». Ce que l’Arabie leur demande instamment, mais les Américains craignent de les voir utilisés contre des avions civils.

Les présidentielles afghanes et la démocratie en islam

Ces élections ont eu une participation nettement supérieure à 50 %, surtout dans les grandes villes, malgré les menaces des talibans. Les résultats ne seront connus que dans une dizaine de jours, car beaucoup de bureaux sont dans des campagnes très reculées, ce qui accroît les risques de fraude, déjà élevés.

Vous vous souvenez que si les talibans sont opposés aux élections, c'est parce qu'ils suivent une interprétation rigoriste de l'islam, en l'occurrence celle de l'école déobandie qui, comme les wahhabites par exemple, disent que les lois ayant été fixées par Dieu, des hommes ne peuvent en fixer d'autres, fussent-ils élus. Mais ces élections, comme dans les autres pays musulmans, montrent que le citoyen de base ne se préoccupe pas de ce discours théorique et a un comportement non pas « laïque » (terme compris comme « antireligieux ») mais « séculier » (un comportement ne se souciant pas de la religion ou, permis par l'interprétation personnelle de ladite religion). Cette aspiration à la démocratie est tellement forte que les mouvements islamistes l'ont reprise, tout en faisant le maximum pour la limiter (restriction de la liberté d'information, demande de faire figurer dans la constitution une référence à la charia etc.) 

Campagne pour les présidentielles en Kabylie

L'opposant le plus crédible au président sortant Bouteflika est l'ancien premier ministre Ali Benflis. Bien qu'étant un homme du système, il fait (un peu) figure d'espoir par contraste. Contrairement au sortant qui reste invisible et muet, il mène une campagne de terrain et l'on a notamment remarqué son passage en Kabylie où il s’est répandu en éloges au patriotisme des Kabyles, en amazigh, en arabe et en français.

Les Kabyles l'ont bien sûr interrogé sur l'officialisation de leur langue. Il s'est contenté de répondre qu’une fois président, il généralisera l’introduction de l’enseignement du tamazight (terme général pour les langues berbères, dont le kabyle est une variété) dans tous les cycles scolaires, ainsi que son inscription facultative au baccalauréat et l’ouverture de centres de formation de formateurs de cette langue. Vous vous souvenez que si le berbère est maintenant reconnu comme « national » (et non pas officiel), tout reste à faire en pratique.

La fin du modèle turc ?

Notre dernière lettre sur la situation en Turquie se terminait par « la fin du modèle turc ? ». Des lecteurs nous ont demandé ce signifiait cette expression.

Elle est assez ancienne, mais a repris de l'actualité pendant le printemps arabe et sa suite. L'idée originelle est que l'on pouvait se développer en imitant l'Occident, comme l'ont fait les Japonais. C'est ce qu'a fait Atatürk, mais le régime restait autoritaire à direction militaire, et avait accusé l'islam d'être une des causes du sous-développement. Avec l'arrivée de l’AKP au pouvoir, le « modèle » a pris une dimension supplémentaire : on pouvait devenir démocrate et se développer tout en étant musulman, voire islamiste. Cette idée s'est ensuite nuancée et affaiblie avec l'échec économique des islamistes hors de la Turquie, et leur oubli des principes démocratiques une fois au pouvoir, en Turquie comme ailleurs cette fois (« La démocratie réduite à l'élection », comme exposé dans notre dernière lettre).

Cette idée de « modèle turc » était surtout présente dans les pays arabes, car ce sont ces pays qui connaissent le mieux la Turquie à la fois pour des raisons historiques (la plupart ont fait partie de l'empire ottoman, donc Istanboul est leur ancienne métropole) et pour des raisons d'actualité, dont la vente de produits turcs dans le monde arabe (alimentaires, industriels, culturels, dont le succès des séries télévisées et du tourisme), qui donnent une image moderne de ce pays.

Bref, des musulmans pieux peuvent dire : « en allant en Turquie, nous restons chez nous, c'est-à-dire dans un décor physique et social musulman méditerranéen, tout en allant dans un pays moderne, et c'est moins cher qu'en Occident » ... quitte a maudire les Turcs d'avoir rejeté l'alphabet arabe et chois l’alphabet latin.


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