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Publié le 15 avril 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone
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L’amour est un sujet rare dans l’art et le cinéma, heureusement que Spike Jonze est là.

Ca se passe aux Etats-Unis, dans un futur lointain où tout est pareil. Theodore travaille chez beautifull-letters.com. Il est patraque et lonely (ça se voit il a une moustache), il demande à son ipod-du-futur de jouer une chanson mélancolique. Il voit une pub, mise en scène comme un film Terrence Malick et qui dit : nous vous posons une question simple : qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous pouvez être ? Où allez-vous ? Qu’est-ce qu’il y a là bas ? Quelles sont les possibilités ? Il trouve ces questions pertinentes et décide donc de devenir ami avec un téléphone qui s’appelle Samantha.

On apprend que Theodore a vécu une grande et belle histoire d’amour qui s’est mal finie (puisqu’il a une moustache). Il semble entretenir une vision cynique et pessimiste des relations humaines. On rencontre un couple dont il est proche, et on comprend vite que leur relation est foutue. C’est un écrivain public, qui compose avec émotion et enthousiasme des lettres d’amour magnifiques pour des étrangers. Il semble s’impliquer émotionnellement dans cette tâche, il pratique son métier comme il aurait une correspondance avec des gens dont il serait à chaque fois proche. Le romantisme peut s'inscrire dans une démarche solitaire, et ignorer tout besoin de réciprocité. Ces lettres viennent aussi entretenir l’amour qui unit les gens impliqués et ces sentiments apparaissent donc comme le décor d’une œuvre de fiction qui s’écrit dans leur esprit.

Jonze emploie dans une bonne part du film beaucoup d’énergie à mettre en scène l’impression que les relations humaines sont définies par l’inaptitude à communiquer et dans une certaine mesure vouées à l’échec. La dépression suit rapidement l’euphorie, de gens penchés sur le passé et obsédés par l’avenir, et qui mettent en scène leur propre existence. L’idée de couple est démantelée, définie comme le drame de deux solitudes confrontées par accident. C’est dans ce contexte qu’il nous devient possible d’envisager la relation amoureuse d’un homme avec une intelligence artificielle.

La théorie de l’amour comme prolongement de soi est poussée dans ses dernières limites. Samantha est façonnée à l’image de Theodore (cf. Pygmalion, Œdipe et compagnie). Ils entretiennent une relation de confiance absolue, l’autre n’existe que par soi et pour soi. Ce n’est pas la description d’une relation idéale mais de ce que la recherche de l’amour signifie, et finalement la démonstration logique d’un nécessaire échec perpétuel dans cette tâche. Le film réunit et confronte amour et narcissisme, et développe longtemps l’idée que la quête de l’autre c’est précisément la quête de soi.

La mise en scène est essentiellement simple et homogène mais néanmoins ponctuée de plans larges de la ville, rare variation dans l’utilisation de l’échelle de plans, qui ont comme fonction de faire respirer le récit, et bien sur mettre en relief le personnage. Cet homme postmoderne est fondamentalement individualiste, le monde semble ne pas exister à ses yeux, mais il porte le fardeau d’en faire part, d’exister à travers le regard des autres, et que l’être aimé en fasse partie (ambitions, jalousie). C’est évoqué aussi à travers l’un des jeux vidéo dans lequel il s’agit de devenir la maman parfaite, ou la honte du héros d’évoquer la nature de son idylle. On peut y voir la révélation d’une qualité absolue de Samantha : ce qu’elle perçoit construit son identité et ne s’oppose jamais à des principes, à sa personnalité. Pour Theodore, le souci c’est aussi soi à travers l’autre.

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Ressortent aussi les scènes de souvenirs de la relation passée, rares passages en lumière naturelle, des extérieurs, une surexposition parfois, une impression de blanc (qui contraste avec les couleurs chaudes du reste du film), et donnent le sentiment qu’il s’agirait de la seule trace de quelque chose de pur et de réel dans l’esprit du héros. « J’ai l’impression d’avoir déjà ressenti tout ce que j’allais ressentir, que la suite ne sera qu’une moindre version de tout ce que j’ai déjà ressenti. ». La rencontre avec l’ex, plus tard, est mise en scène de la même façon, comme en marge du reste de son existence, et décalée dans le temps (et c’est le seul personnage avec un regard contemporain et offusqué sur le sujet du film). Du point de vue du spectateur, c'est en effet la « vraie relation » de Theodore, sa réelle histoire d'amour. Mais Samantha apporte un point de vue contradictoire lors d’un dialogue central du film, qui finalement introduit l’idée que peut-être justement, l’amour s’extrait de la réalité. Elle explique pourquoi quelque chose l’a vexée et la nature de ce sentiment : se répéter une phrase, encore et encore, et s’en souvenir finalement comme d’une histoire qui raconte son infériorité – « le passé est une histoire qu’on se raconte ». Plus que l’évocation des souvenirs du héros, et d’une mise en parallèle des deux romances, cette réflexion fait écho à ce que raconte le film : l’amour est une histoire qu’on se raconte. Samantha est en dehors du temps, et c’est à la fois ce qui permet leur amour et bien sur les sépare le plus fondamentalement.

« her » c’est Scarlett. On reconnait tout de suite cette voix, et on lui attribue un visage précis. C’est une impression bizarre qui apporte à la nature poétique du film et donne vie à l’histoire et à certaines émotions (le désir, notamment). Mais ça perturbe aussi le sens du propos : en donnant une identité réelle à Samantha, Jonze dénature son scénario. Sur le papier c’était un concept philosophique, à l’écran c’est l'avatar d’une actrice sexy. Il peut s’agir d’une nécessité commerciale, du refus de l’auteur d’assumer radicalement son projet, ou peut-être plus simplement la volonté d’enrichir le récit, l’ancrer dans quelque chose de concret. Et il est difficile d'appeler ça un défaut, ça fonctionne trop bien, Scarlett est d'une grande justesse (révélation intéressante de constater que ça reste une superstar omniprésente à l’écran même en off). Et c’est aussi quelque chose de très rare qu’en face d’un scénario de cette richesse et d’un acteur de l’envergure de Joaquin Phoenix, un équilibre s’opère, et que jamais l’un ne semble réellement servir l’autre.

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Parce que s’il est de toute évidence tentant de traiter cette histoire de loin, d’en extraire des idées abstraites, et interpréter ce mythe à l’infini et dans tous les sens (et éventuellement expliquer que j’ai rien compris), her est aussi une expérience ludique. Jonze donne une grande importance à ce qui fait l’essence du cinéma : son pouvoir de suggestion et celui de cet univers insolite, et l’exploration la plus simple mais aussi la plus profonde de l’âme humaine à travers un très grand acteur. On ne nage pas dans des réflexions inertes, tout se joue à la surface, les enjeux sont palpables, développés avec finesse, en loucedé, mais rien n’est dissimulé. L’émotion sert les concepts, jamais l'inverse. C’est peut-être dans cet enthousiasme, cette générosité de l’auteur qu’il faut chercher l’optimisme, certes bien dissimulé, du film.


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