Magazine Cinéma

Le bleu de la nuit, le bouleversant travail de deuil de Joan Didion

Par Filou49 @blog_bazart
16 avril 2014

 bleu nuit

Décidément, il y a certaines personnes qui connaissent une terrible loi des séries question tragédie familiales. Car après le décès brutal de son mari qu'elle avait magnifiquement raconté dans L’Année de la pensée magique la romancière et scénariste américaine Joan Didion a peu de temps après perdu sa fille adoptive, Quintana, décédée peu après à l'âge de 39 ans d'une hémorragie cérébrale après plusieurs mois d'agonies.

Et comme pour l'année de la pensée magique, le seul moyen qu'elle a trouvé, c'est de consigner ce drame terrible dans un récit, le Bleu de la Nuit, paru au Livre de Poche en ce début 2014.

L'auteur y raconte Quintana dans sa globalité,  et surtout les souvenirs de sa vie avec Quintana, cette petite fille à la destinée et à la personnalité assez incroyable, particulièrement intelligente et précoce, qui a écrit un premier livre avant même ses 15 ans, et qu'une maladie va briser les ailes .

Le bleu de la nuit ne suit pas un fil chronologique classique, Joan Didon nous livre plutôt un patchwork, un kaléidoscope de  souvenirs et de réflexions qui nous entraine des difficultés  entourant de l'adoption à l'agonie en passant par la solitude et le si difficile travail de deuil.

"Le bleu de la nuit", comme l'était évidemment le précèdent livre de l'auteur, est donc un  magnifique carthasis, une antidote au chagrin et à la douleur en même tant qu'un très bel hommage à ceux qui nous quittent.   Joan Didon cultive le paradoxe de nous livrer des souvenirs, alors qu'elle deteste ce terme, car pour elle,«Les souvenirs, c'est ce qu'on ne veut plus se rappeler.»

Les thèmes abordés sont particulièrement éprouvants, mais l'auteur refute tout pathos et tout épanchement lacrymal. L'écriture est sèche sans être aride, et essaie de lutter contre la tristesse et la mélancolie, même si celles ci livrent une bataille particulièrement aride. Joan Didon veut à tout prix se rappeller les  souvenirs des jours heureux passés, le souvenir de ce qui a été comme garde fou salutaire pour croire à de nouveaux jours heureux.

Deux ans auparavant, cet éditeur avait publié un livre autobiographique bouleversant, L'Année de la pensée magique, où, avec une pudeur magnifique, Joan Didion parle du décès de son mari, le scénariste John Gregory Dunne, fauché par une attaque en décembre 2003. Malgré la douleur qui le galvanise, ce récit est l'histoire d'une victoire contre la mort : la "pensée magique", c'est celle qui donne à l'imagination assez de force pour que l'absence ne soit plus un vide funeste, comme si l'être aimé "pouvait revenir", comme s'il était toujours vivant. 

Au moment où Joan Didion achevait cet hommage funèbre, elle dut affronter une autre épreuve : la disparition de sa fille adoptive Quintana, fauchée le 26 août 2005 dans l'unité de soins intensifs du New York Cornell, après avoir subi cinq interventions chirurgicales. Ce drame, la romancière l'évoque dans Le Bleu de la nuit, un récit où les ténèbres sont transcendées par l'infinie douceur d'une mère qui se cramponne à l'espérance tout au long de l'agonie de sa fille, vingt mois au cours desquels elle fut victime d'une double pneumonie puis d'une hémorragie cérébrale qui lui fut fatale, à 39 ans. 

Après les obsèques de son père, Quintana était partie vers la Californie pour trouver à la fois un refuge et un apaisement, mais c'est en arrivant à Los Angeles qu'elle eut son premier malaise. Sa mère ne cessa alors de veiller à son chevet, avec une lucidité remarquable, cherchant à en savoir autant que les médecins parce que "l'information est synonyme de contrôle". 

Le Bleu de la nuit raconte ce combat de chaque instant mais c'est aussi un florilège de souvenirs qui forment un poignant reliquaire de l'enfant perdu. Et qui surgissent au fil de la plume, dans le désordre de l'émotion. Le mariage de Quintana, entourée de petites filles en robes d'anges, sous une pluie de fleurs. Le jour miraculeux où - en mars 1966 - elle sortit d'une maternité pour être adoptée par Joan Didion. Son enfance à Malibu, dans une villa donnant sur le Pacifique. La maison de poupée qu'elle avait construite sur une étagère de sa chambre. Son désir de devenir romancière, à 13 ans. Son journal intime, où elle dit avoir été rudement secouée par la lecture de John Keats. Mais, aussi, ses violentes crises d'angoisse, ses multiples dépressions, son penchant pour l'alcool afin de "lutter contre la peur", ses cauchemars où elle voyait apparaître un fantôme terrifiant surnommé "l'homme cassé". 

"Ces moments très clairs reviennent, par certains aspects me submergent de plaisir et, par d'autres, continuent de me briser le coeur", écrit Joan Didion qui raconte comment cette épreuve a révélé sa propre fragilité. Et qui ne cesse de se demander si elle a été une bonne mère, si elle a été assez attentive aux problèmes de Quintana. "Ce livre, explique-t-elle, s'appelle Le Bleu de la nuit parce que, à l'époque où j'ai commencé à l'écrire, j'avais l'esprit de plus en plus souvent tourné vers la maladie, vers la fin des promesses, le déclin des jours, l'inévitable assombrissement, l'agonie de la clarté. Le bleu de la nuit, c'est le contraire de l'agonie de la clarté, mais c'est également son avertissement." Aussi profondes que celles de L'Année de la pensée magique, ces pages montrent combien l'écriture est précieuse, dans de tels moments. Comme si les mots pouvaient repousser la mort, et presque la conjurer, en terrassant l'effroyable spectre du silence. 


En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/le-bleu-de-la-nuit-de-joan-didion_1211251.html#AT7PWUqFA6bv8tFx.99

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Filou49 15144 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines