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Nicole Serge-Rainer ou Nicole et Serge Rainer ?

Par Bernard Deson

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J’ai déjà évoqué dans un précédent chapitre [1] la relation électrique que j’ai entretenu avec la romancière Nicole Serge-Rainer aujourd’hui décédée.  En réfléchissant aux  nombreuses frictions que nous eûmes, je reste convaincu du rôle néfaste que joua son mari et pygmalion, Serge Rainer.  Une question me brûle depuis longtemps : Qui a réellement écrit  les romans « Le hasard et le coup de dés » et « La Samaritaine » ?   Elle ? Lui ? Tous les deux ? Comment ce couple s’était-il distribué les rôles ? Je ne suis pas loin de penser que le patronyme adopté pour signer ces livres n’est pas anodin. Et que la part de Serge Rainer dans leur écriture est allée bien au-delà d’une simple relecture. Leur signature aurait donc pu  être « Nicole et Serge Rainer » sans que nul ne s’en offensât.  Mais pour des raisons qui lui appartenaient Serge Rainer a préféré ne pas apparaître.  Obscur clerc de notaire, il avait mal vécu l’échec d’une procédure intentée à Jacques Tati au sujet du scénario du film « Mon oncle » dont il revendiquait la paternité.  Beaucoup plus âgé que Nicole – qu’il a littéralement tirée du ruisseau  et d’une dépendance aux drogues dures – a-t-il créé un personnage bicéphale afin de vivre par procuration une nouvelle carrière littéraire ?  Ce couple peu ordinaire  s’inscrit entre celui formé par Colette et Willy et celui plus insolite encore  où Romain Gary se dissimule derrière Emile Ajar. Si le succès ne fut pas au rendez-vous côté roman, le duo a produit quelques réussites indéniables côté théâtre avec « En chute libre » et « Le blé en herbe » montées par le théâtre d’Art Moderne.

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En avril 1989, lorsque j’ai publié le numéro d’Orage-Lagune-Express consacré à Jean Cocteau, j’ai été invité par le couple Rainer pour le leur présenter en avant-première. En début d’après-midi Nicole et moi nous étions retrouvés Place de Clichy car elle souhaitait me présenter un libraire prêt à accueillir quelques titres de mon catalogue. Comme à son habitude vêtue d’un ensemble veste et pantalon cuir et de son éternel béret rouge, elle semblait plutôt impatiente de voir le résultat. Voulant entretenir le suspense, j’inventai mille excuses pour différer le moment où elle pourrait en prendre connaissance. Vers 19H00 nous finîmes par regagner l’appartement minuscule qu’ils occupaient au rez-de-chaussée d’un immeuble ancien rue Marcadet. Un intérieur aménagé pour tirer tout le parti du moindre espace et au milieu duquel trônait un splendide piano de concert sur lequel je déposai un exemplaire de la revue. Serge avait réalisé un sans-faute pour un dîner presque parfait : foie gras d’oie entier aux truffes  et omelette aux cèpes venus tout droit d’Eymet et de la Maison Beyne. Vers la fin du repas je ne vis pas que Serge s’était absenté côté salon. Lorsqu’il revint il tenait la revue à la main et était livide : « Vous avez osé modifier l’article de Nicole sans rien demander à personne ! Sortez de chez moi et n’y remettez jamais les pieds ! »   J’eus beau lui expliquer qu’il s’agissait seulement d’un pré-tirage et que mes corrections n’étaient que des « suggestions » l’aspect « produit fini »  de cet exemplaire de travail ne plaidait pas en ma faveur.  Pris au piège je ne parvins pas me disculper et je dus faire contre mauvaise fortune bon cœur et quitter les lieux. Quelques semaines plus tard, Nicole me donna son accord pour que je publie l’article en conservant les modifications que j’y avais apportées. Je sentais néanmoins qu’elle m’en voulait et avait accepté à contrecœur mon ingérence. Le travail avec un auteur est parfois rendu difficile par une sensibilité à fleur de peau et surtout par sa difficulté à prendre de la distance avec ce qu’il a écrit. Les écrivains les plus ouverts à une remise en question sont très souvent les plus aguerris : Michel Butor par exemple s’en remets à ses éditeurs pour effectuer les « corrections nécessaires » rarissimes dans son cas.

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Mais les bonnes histoires se terminent toujours bien et trois mois après ces évènements, je recevais une correspondance apaisée de Nicole Serge-Rainer :

Bien cher Bernard,

Le facteur me transmet à l’instant ton Cocteau et je réagis donc sans calcul. C’est un évènement réjouissant et tu connais mon avis (le même que je communique à Robert Poudérou, l’auteur dramatique qui met en scène ma dernière pièce « La Mule du Pape » mais sur les planches d’un théâtre bien modeste) : il n’y a pas de tribune méprisable, de tribune mineure ou majeure, toutes les scènes on droit au miracle et le miracle peut descendre sur toute scène… même dans une étable (ça s’est vu n’est-ce pas ?)…

Plus extraordinaire encore, plus surprenante est ta lettre !!! Monsieur se fend d’une bonne bafouille !  Bon arrêtons là les effusions.

Rien de neuf, je veux dire d’assez tangible pour être mentionné. Mon itinéraire est extrêmement accidenté. D’ailleurs tu le sais bien… C’est le même que le tien.

En te souhaitant bonne chance, je souhaite bonne chance à ceux qui essaient de faire quelque chose qui les dépasse au moins un peu !

Serge te salue et te félicite aussi pour la qualité des illustrations qui émaillent ta revue.

Lors de ton prochain passage à Paris nous fêterons ça joyeusement.

Amitiés toutes.

Nicole S.R.

Malgré ces propos rassurants, il n’y eut pas d’autre dîner pour moi chez les Rainer. J’ai revu Nicole plusieurs fois après l’affaire Cocteau mais le cœur n’y était plus. Lorsque j’ai appris son décès, j’étais en train de boucler le premier numéro d’une nouvelle revue, « Instinct nomade » dirigée par ma fille Laurie. Pour lui rendre hommage j’y ai publié une version non expurgée de son article « C’est pas mon homme » avec le regret de ne pas l’avoir fait de son vivant.



[1] http://editionsgermesdebarbarie.hautetfort.com/archive/2012/10/19/nicole-serge-rainer-ma-meilleure-ennemie.html


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