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[anthologie permanente] Claire Malroux

Par Florence Trocmé

Claire Malroux publie Dits du cerf et de quelques biches, aux éditions L’Escampette.  
 
 
La biche chasseresse 
 
   And now We roam in Sov’reign woods 
   And now We hunt the Doe 
   E.D. 
 
 
La parole poétique fait feu : si une femme profère 
la biche en elle doit mourir 
Déjà dans son nom le son d’un glas s’étire d  o  e 
la biche, gibier du Chasseur et désormais de sa compagne 
 
My life has stood – a Loaded Gun – / In corner 
Immobile ma Vie – Fusil chargé 
Une arme d’un modèle ancien, oubliée 
dans des coins pendant des ans 
 
The Owner passed – identified – And carried Me away –  
Le Maître passe – m’identifia - / et M’emporta – 
Et maintenant nous hantons les bois royaux 
Et maintenant nous CHASSONS LA BICHE 
 
La Chasseresse exulte 
Soudainement le monde s’ouvre à elle 
forêts montagnes vallées gorgées d’échos et de lumières 
Une épopée, fantastique western 
 
Changée au vent de la poésie en machine à tuer 
Kill kill kill 
la biche traque d’autres biches 
comme pour les punir d’avoir été trop longtemps des proies 
 
Chasser pour tout détruire, y compris soi 
Elle ne voit pas le sang sur les feuilles 
sur la planète souillée   sur ses mains 
habiles à coudre et à panser 
 
Brève jubilation  elle ne peut se plaint-elle 
que tuer sans avoir le pouvoir de mourir 
Jamais ne pourra se substituer au Chasseur 
qui devra vivre après elle 
 
 
 
Qui est-il ? La biche poète lance ses flèches 
Veut-elle dire que la poésie n’est qu’un instrument, un pouvoir d’emprunt dépendant d’un souffle, des naseaux d’un cerf peut-être, d’une force émanant de la terre ou de l’eau, d’un hypothétique au-delà ?  
Que le langage, création humain, n’est bon qu’à tuer, arme redoutable, feu à la portée, à la merci, de chacun, et pourtant inextinguible ? 
Que s’il sait aussi chanter, il ne guérit pas ?  
Opaque est la forêt du sens et sans autre solution le mystère que de perpétuellement l’affronter 
Une seule certitude : to die, mourir, répond dans le poème à doe, la biche, et ouvre une brèche   Une voyelle, un son, diffère et de la mort sépare la vie   Telle est la force de la poésie : explorer toutes les voies du langage en le poussant dans ses derniers retranchements, par les associations sans cesse hasardées et renouvelées des 
mots et des sons 
S’il est un meurtrier, le langage n’est-il pas davantage un musicien, un chaman, un sorcier ? 
Mais aujourd’hui plus qu’hier, les flèches à nouveau remplacent le chant 
C’est pourquoi je me tourne d’abord vers le Moyen Age, et inaugure mon face à face avec le cerf par un retour à L’AGE D’OR ROUGE DE LA CHASSE… 
 
Claire Malroux, Dits du cerf et de quelques biches, éditions L’Escampette, 2014, p. 15.  
 
Claire Malroux dans Poezibao : 
bio-bibliographie Compte rendu du livre de Claire Malroux, autour d’Emily Dickinson, Chambre avec vue sur l’éternité, entretien avec Claire Malroux autour d’Emily Dickinson, extrait 1, extrait 2 + traduction Marilyn Hacker), rencontre avec Marilyn Hacker sur la traduction réciproque, extrait 3, extrait 4, La Femme sans paroles (fiche de lecture), extrait 5, extrait 6, extrait 7, extrait 8, note sur la poésie, Traces, sillons (par F. Trocmé) 


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