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437_ Le Blues, Oum Keltoum et moi

Publié le 03 mai 2014 par Ahmed Hanifi


Ne vous arrive-t-il jamais d’avoir ce qu’on nomme vulgairement le cafard, un coup de blues ? Comment y réagissez-vous ? « Cela dépend » me diriez-vous. Je suis parfaitement d’accord, cela dépend des circonstances. Récemment il m’est tombé dessus. Comme ça. Je n’ai rien demandé. Il est arrivé le blues, sans même demander mon avis. Toc, toc, « bonjour, je suis le cafard. Je viens t’accompagner un moment, pousse-toi. » Et je me suis poussé, obligé. Pas le choix. Le cafard s’est assis et m’a tenu les baskets pendant tout un après-midi. Je ne l’ai pas rejeté, je n’en avais pas les moyens. Instantanément, ça devait être son idée- car lorsque le cafard s’assoit, il ne le fait pas devant vous, devant tout le monde, non. Il est discret, il s’assoit en vous, dans votre esprit, mais ça vous le savez. Donc il m’a soufflé une idée, malgré lui. Instantanément je me suis dirigé vers ma discothèque, on dit cédéthèque aujourd’hui ? je ne sais pas. Bref j’ai pris un CD et je l’ai introduit dans la fente du lecteur de CD de la chaîne hifi. En quelques secondes j’ai été projeté en arrière. Un coup de poing n’aurait pas mieux fait. 45 ou 48 ans dans le rétroviseur. Fichtre tant que ça ? Hé oui mon gars, qu’est-ce-que tu crois ? Vous verrez. Une vie c’est comme une Agera sur le Dakar ou la 66, vous verrez, vous verrez. Qu’est-ce que je disais, flûte alors ? Ah oui, je disais que j’ai mis un CD dans la chaîne à l’insu du cafard. Un CD d’Oum Keltoum. Pourquoi Oum Keltoum ? Je n’en sais rien. J’ai pris un paquet de CD, et c’est elle que je cherchais. Je ne sais pourquoi. C’est Oum Keltoum que je voulais entendre. Et la salive qui salive, amère. Al Atlal (Les pyramides). Un geste. Et la voix. Un tremblement, des frissons. Et la mémoire qui s’agite, me secoue. Cocotier ou Orangina. Oran, Gambetta, avenue Gambetta, « e-Llidou ».  437_  Le Blues, Oum Keltoum et moi
video 437_  Le Blues, Oum Keltoum et moiAvec mes camarades j’attends le film. Les dix Commandements avec Yul Brynner et Anne Baxter, James Stewart et Jeff Chandler « La flèche brisée » (ah Debrat Paget !) ou John Wayne « La prisonnière du désert » (ah Natalie Wood !) Plus on tuait d’Indiens, plus on exultait ! C’était comme ça à l’époque. On nous a toujours fait croire que les hommes les plus vilains, les plus méchants étaient les Sioux, les Comanches, les Apaches, les Iroquois, les Cheyennes… Alors évidemment, nous souhaitions, comme tous les gamins du monde, que les Indiens soient exterminés jusqu’au dernier. C’était la Vérité venue du Nord et qu’il nous fallait la croire (comme aujourd’hui pour d’autres situations tout aussi dramatiques). En attendant le film, en attendant que la salle de cinéma se remplisse, c’est elle, Oum Keltoum, Qewqeb Echarq, l’Etoile de l’Orient, qui nous accompagne. 437_  Le Blues, Oum Keltoum et moi Quelle voix… « Aatini hourriyati atliq yadayya/ Innani outaytou Ma stabqaytou chaï’a… » Et les placeuses (oui, vous ne rêvez pas, dans ces années-là, à Oran il y avait des cinémas, beaux et propres avec des placeuses, je vous le jure) qui nous placent contre 0,50 centimes ou rien (je ne m’en souviens plus très bien à vrai dire). Et les placeuses disais-je, en blouse bleue, blanche et même rose, nous placent et nous font toujours la même recommandation. 437_  Le Blues, Oum Keltoum et moi« Ne jetez rien par terre s’il vous plaît » (elles étaient très polies). Les placeuses ne supportaient pas qu’on jette par terre les cosses de cacahuètes ou de pistache. Et cette voix divine, inimitable et inégalée à ce jour, « Hel raa el Hobbo soukara mithlana/ Kem Banaïna min khiyalin hawlana ». Lorsque le film nous plaisait on pouvait rester pour le revoir, car c’était souvent « permanent ». Une fois je suis resté voir un film trois fois. 437_  Le Blues, Oum Keltoum et moiC’était à L’Idéal sur la Place des Victoires, pas au Lido, « Spartacus » avec Kirk Douglas et Tony Curtis (ah Jean Simmons !) trois fois 184 minutes ! Nous étions heureux et, aux Actualités Ben-Bella ne squattait pas l’écran. Oui, nous étions heureux à quinze ans. « Wa dahakna dahka tiflayni maân/ Wa âdawna fassabaqna Dhillana ! »
Sapristi de saperlipopette, et voilà que monsieur cafard s’est fait discrètement la belle. J’écoute Oum Keltoum la Diva. Mes amis, mon quartier ont disparus.
A. H. Mai 2014
(ici : http://citylightscinema.wordpress.com/2012/06/12/oum-kalsoum-al-atlal-les-ruines-avec-la-traduction-1966/

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