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La phase de désespérance : une étape physiologique par Carine Phung

Publié le 16 mai 2008 par Terredefemme
Écrit par Terre de Femme    16-05-2008 La phase de désespérance : une étape physiologique par Carine Phung
Bien des mamans ont eu l’impression subite d’être en train de mourir ou bien la peur de ne jamais y arriver, juste avant la délivrance de leur enfant. Cette courte phase, nommée phase de désespérance, doit plutôt être vue comme un bon présage et non comme un prétexte pour
infliger à la future maman une péridurale qui, de toute façon, ne lui sera d’aucune utilité !
Juste avant la sortie du bébé, la femme éprouve souvent une très grande angoisse, et parfois même une peur panique de mourir. À ce moment-là, il ne sert à rien de proposer des interventions médicales (péridurale, forceps), ni même de chercher à raisonner la future maman. Cette phase se résoudra de toute façon d’elle-même, par la naissance du bébé. Mais comment expliquer cette phase ?
UNE PEUR TRANSITOIRELa phase de désespérance : une étape physiologique par Carine Phung
Dans son article sur Le réflexe d’éjection du foetus1, Michel Odent explique que ce réflexe peut être précédé d’une peur soudaine et éphémère exprimée de façon irrationnelle (“Laissez-moi mourir”, etc.) : “La pire des attitudes serait alors de rassurer avec des mots2. Cette peur transitoire est avant tout un symptôme. Elle traduit une intense sécrétion hormonale, et en particulier une décharge d’adrénaline.  Elle est vite suivie par une série de
contractions irrésistibles. La parturiente donne alors l’impression d’être pleine d’énergie, avec le besoin soudain d’agripper quelque chose et aussi de se verticaliser.”

L’ADRÉNALINE AURAIT SA RAISON D’ÊTRE EN FIN DE TRAVAIL

Voilà qui peut sembler contradictoire avec le discours habituel de cet auteur, qui incite généralement à accompagner la parturiente de manière à lui éviter toute décharge d’adrénaline. En effet, cette hormone est sensée bloquer la libération d’ocytocine et donc gêner, voire même empêcher le bon déroulement de l’accouchement. Michel Odent nous donne donc quelque précisions supplémentaires : “Dans les conditions physiologiques optimales, il y a une libération
explosive de catécholamines (hormones de la famille de l’adrénaline)3 durant les dernières contractions. En réalité, chez l’être humain, les hormones de la famille d'adrénaline ont des effets complexes pendant les minutes entourant la naissance. 
Dans l’uterus, il y a deux sortes de cellules sensibles à l’adrénaline. Quand les bêta récepteurs sont impliqués, les hormones de la famille de l’adrénaline
ont tendance à retenir ou entraver l’activité du muscle utérin. Au contraire, uand les alpha récepteurs sont impliqués, il se produit l’inverse. Cela semble
être le cas quand les catécholamines impliquées sont les noradrénalines. C’est de cette façon que l’on peut expliquer comment des hormones de la famille de
l’adrénaline peuvent aussi jouer un rôle passager dans le processus d’éjection du foetus. C’est aussi ce qui explique que, durant les années 1970, alors que j’exerçais à l’hôpital de Pithiviers, nous avions remarqué que le travail arrêtait de progresser lorsque la mère restait immergée dans l’eau chaude et que, spontanément, les femmes avaient tendance à sortir du bain à ce moment-là. En effet, le froid entraîne la sécrétion d’adrénaline et notre objectif premier avait été de réduire ce niveau d’adrénaline. Aussitôt que les femmes retournaient à une atmosphère plus fraîche, de fortes contractions arrivaient et la délivrance s’ensuivait rapidement. Ainsi nous avons compris que la chair de poule et tout autre symptôme d’une montée d’adrénaline (tel la peur) étaient compatibles avec des contractions fortes et efficaces. La peur a donc son rôle à jouer dans le processus de déclenchement de la naissance. Ces phénomènes
présentent d’indéniables avantages en terme d’évolution. En effet, une fois le point de non retour franchi, il est intéressant de pouvoir donner naissance
aussi rapidement que possible en cas de menace3.”
La phase de désespérance : une étape physiologique par Carine Phung
ACCOMPAGNER CE PROCESSUS
Que faire alors devant une femme qui crie qu’elle va mourir et/ou qui supplie de lui donner la péridurale ou encore qu’on lui ouvre le ventre ? Bernard Bel,
membre du CIANE4, raconte : “Suzanne de Béarn, sage-femme aujourd’hui décédée, me disait que beaucoup de femmes ont la sensation qu'elles vont mourir, juste avant l'expulsion, et qu'il ne faut surtout pas chercher à les rassurer ! À son avis, à la lumière de son expérience de plus de 2 000 accouchements, il fallait laisser se faire le processus. Les réactions de peur, ou parfois d'une extrême agressivité, sont plutôt "bon signe". Une amie
me racontait qu'elle a commencé par désespérer, certaine que sa dernière heure était venue, puis qu’elle s'est mise en colère et a mordu son compagnon jusqu'au sang...”
Sandra-Laure B., enceinte de son deuxième enfant, nous raconte comment sa réaction a été reçue lors de la naissance de son premier enfant en clinique :
“Alors que j’étais dans ma bulle, je me suis sentie en train de mourir. Tout naturellement, je l'ai dit à Franck, mon compagnon, ce qui a eu l’effet de les paniquer (d’autant plus que la sage-femme lui avait dit que je n’allais jamais tenir le coup), lui et la sage-femme. Du coup, ils m'ont fait une péridurale d'urgence, pour se rendre compte tout de suite après que mon col était dilaté à 9... Je ne me souviens alors pas de grand-chose car la péridurale
m’a fait perdre connaissance. Je me suis évanouie parce que je ne supporte pas les anesthésies et que le médecin n’a pas lu mon dossier avant de me
piquer… Toujours est-il que mon fils est né 15 minutes après la pose de la péridurale.”
Une intervention qui aurait été inutile si la sage-femme avait laissé les choses se faire et avait rassuré le futur papa… C’est pourquoi il faudrait que les
formations des personnes accompagnant la naissance leur permettent d’être informées de cette phase de désespérance, pour pouvoir réagir sereinement.
QUAND L’ACCOMPAGNANTE EST FORMÉE
Chloé R.-C., accompagnante à la naissance au Québec, connaît bien cette phase. Elle raconte : “ce que vous appelez la « phase de désespérance », nous l'appelons la « période de transition » (un peu moins décourageant n'est-ce pas ?).  Effectivement, cette phase survient au maximum 20 minutes avant la venue du réflexe de poussée. C'est le moment le plus intense de l'accouchement, mais le plus court. C'est le moment où l’on peut dire : « Tu a l'impression que ça ne peut pas être pire ? Je te garantis que ça ne le sera pas, tu es arrivée, tu vas bientôt te préparer à pousser... » Le bébé termine sa descente, le col termine sa dilatation.  Habituellement, à ce moment, les respirations profondes n'arrivent plus à détendre et les respirations légères deviennent plus appropriées pour dégager l'utérus en gardant le diaphragme en hauteur. Enfin, c'est le moment de recentrer la mère sur son bébé, pour qu'elle reprenne contact avec les raisons de cette douleur. Souvent elle est aveuglée par ce qui se passe et oublie qu'au bout de ce tunnel viendra au monde son enfant qui travaille présentement aussi fort qu'elle.”
Ce type d'accompagnement serein, par une personne qui connaît bien cette phase, ne peut qu'être une aide précieuse pour la future mère, et appréciée par le
futur père. ■
CARINE PHUNG
Article extrait de Grandir Autrement Numéro 10 - Mars Avril 2008
1 - Traduction de “The second stage as a disruption of the fetus ejection reflex”, Midwifery Today Int Midwife (2000, Autumn).
2 - Ces catécholamines sont également importantes pour le bébé car elles l'aident à supporter les derniers moments du travail, très intenses, et le mettent dans un état d'éveil intense à sa naissance. Le nouveau-né est alors prêt à entrer en contact avec sa mère, et à commencer son chemin vers le sein.
3 - Lire aussi “Fear of death during labour”, Michel Odent, Journal of Reproductive and Infant Psychology (1991; 9: 43-47).
4 - Collectif Interassociatif Autour de la Naissance

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