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[note de lecture] Marie-Claire Bancquart, "Mots de passe", par Florence Trocmé

Par Florence Trocmé

Une présence éclatée 
 

Bancquart, mots de passe
Livre après livre, c’est un peu comme si l’œuvre de Marie-Claire Bancquart assumait une double fonction : épouser le  passage de la vie, du temps et des jours tout en attestant de quelque chose d’intemporel.  
Les poèmes qui composent Mots de passe traduisent bien cette double orientation laquelle est, elle-même, habitée par une opposition entre une tonalité très sombre, âpre et un élan sans cesse réarmé vers le monde. 
Plusieurs courants traversent le livre et emportent le lecteur, le tenant sans cesse en haleine, l’incitant à passer d’un poème à l’autre sans aucun sentiment de monotonie.  
Bien révélateurs à cet égard, les titres des six séquences du livre : « Ainsi ce paysage », « Fragiles », « Nous espérons, nous implorons », « Vivre n’est jamais pauvre », « C’est en travaux », « A fleur de sel ».  
 
À fleur de peau, de sensations venues de l’extérieur mais aussi de l’intérieur du corps, une veine très typique chez Marie-Claire Bancquart, une signature presque de sa poésie…. Face interne du visage, autre côté de la peau, organes, cellules : « j’arrêterai de vivre à la périphérie de mes chairs // j’en ferais boniment profond, tous les jours. (49) 
Mais avec la conviction que vivre n’est jamais pauvre et que même si les épreuves ne sont pas épargnées, il y a toujours ce mouvement en avant. Qui est recherche avant tout : « ma recherche / constante, elle / désaccordée,/ressemble à une ascèse offerte à quelque dieu / dont on proclame fermement l’inexistence » (69).  
 
La référence à l’enfance, comme à la mort, semblent de plus en plus présentes, comme s’il s’agissait d’embrasser les deux extrémités du chemin. Enfance dure, douloureuse, rien ici d’un Éden enluminé pour les besoins du poème ! « D’autres paroles / tracent une chirurgie express jusqu’au cœur // l’écorchent / sans qu’on ose le dire/ ainsi pour moi le mot : enfance / racle et pénètre. »  (71).  
Dissonance longtemps tue mais qui se dit, désormais, un peu éloignée des choristes…. 
 
Il y a dans ce livre un côté presque panthéiste et malgré la douleur un jaillissement sans cesse renouvelé des forces créatrices. Comme si la lutte pour une illusoire unité avait cédé le pas à l’acceptation pleine d’une présence éclatée, en anticipation du probable éparpillement ces cellules, plus tard… 
 
« À manifeste ouvert 
je louerai la poussière 
haïe des hommes 
 
Je ne la mettrai pas du côté de la mort 
mais d’une présence éclatée, diverse 
 
proche d’une transmission par le pollen » (77) 
 
Non pas fusion, mais dispersion fécondante.  
Toutefois si l’on peut envisager presque sereinement la mort pour soi, la pensée de celle de l’autre est insupportable tout comme la peur de finir sa vie comme on l’a commencée, dans une terrible solitude. Un abandon. Écho de celui de l’enfance, dans la maladie. Chiasme presque de ces mots.  
Mais toujours le mouvement de balancier. Il n’y a pas de stase, ni dans le désespoir, ni dans la contemplation.  
 
« On marche 
le cœur serré comme dans la solitaire enfance » 
 
dit un poème qui se termine pourtant par 
 
« Vivre n’est jamais pauvre. » (96) 
 
On citera pour terminer un poème qui ressemble à un autoportrait et qui fait aussi songer à ce long compagnonnage de toute une vie avec un compositeur : 
  
« une grande partition touffue, déchirée par endroits 
où l’on discerner mal des abois, des éclats 
 
parfois une note tenue, 
et ces reprises incessantes 
à petites variations 
que l’on dissimule 
pour échapper au ressac des énigmes. «  (107) 
 
 
[Florence Trocmé] 
 
 
Marie-Claire Bancquart, Mots de passe, Le Castor astral, 2014, 15€ 


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