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L’impressionnisme et l’art moderne aux enchères

Publié le 17 mai 2008 par Savatier

 Le marché international de l’art (impressionnisme et art moderne confondus) semble afficher une santé florissante en dépit d’une conjoncture économique donnant de multiples signes de crise, c’est à tout le moins ce qui ressort d’un rapport (en anglais) publié par The Art Market monitor pour la maison de vente Sotheby’s. Les observateurs du marché s’inquiétaient du désengagement brutal des acheteurs japonais et craignaient que la faiblesse du dollar américain n’apporte une touche de morosité, mais l’examen des résultats des grandes ventes du mois de mai suggère qu’il n’en est rien. L’arrivée de nouveaux acheteurs, originaires notamment de l’Inde, de Chine et de Russie, et de nouveaux collectionneurs américains et européens venus rejoindre et concurrencer les acteurs traditionnels, a contribué à maintenir les cours de l’art à un niveau très élevé.

L’étude du Art Market monitor met en lumière une augmentation de la valeur moyenne des lots dispersés au cours des ventes organisées par Sotherby’s et Christie’s (les plus belles pièces figurant traditionnellement au catalogue des ventes nocturnes) : 5,7 millions $ (contre 5 millions en mai 2007) pour l’un, 6,3 millions $ pour l’autre.

Parmi les 10 adjudications les plus élevées, on notera Le Pont du chemin de fer à Argenteuil peint en 1873 par Claude Monet (41,48M$, Christie’s), l’Etude pour la Femme en bleu de Fernand Léger (39,24M$, Sotheby’s), Girls on a bridge d’Edvard Munch (30,84M$, Sotheby’s), Grande femme debout II, d’Alberto Giacometti (27,48M$, Christie’s), Le Portrait au manteau bleu de Matisse (22,44M$, Christie’s), La Grue de Picasso (19,19M$, Sotheby’s), Eve, d’Auguste Rodin (18,97M$, Christie’s), Le Baiser de Picasso (17,40M$, Sotheby’s), La caresse des étoiles de Juan Miró (17,07M$, Christie’s), Le Portrait de Caroline, de Giacometti (14,6M$, Sotheby’s), enfin, du même artiste, La Place II (14,6M$, Christie’s).

Il convient de souligner que les niveaux de prix atteints au cours de ces ventes ont

largement dépassé celui des estimations. Ainsi, le Pont de chemin de fer à Argenteuil, qui avait été estimé aux alentours de 35M$ a-t-il trouvé preneur à plus de 41 millions ; même estimation pour la toile de Fernand Léger, adjugée finalement à plus de 39 millions ; la Grande femme debout II, évaluée 18M$, a de son côté atteint près de 27,5M.

A travers ce palmarès, on constate un net regain d’intérêt pour les sculptures qui occupent quatre des dix premières places, ainsi qu’un réel attrait, par ailleurs tout à fait justifié, pour les œuvres d’Alberto Giacometti. Si 54% des acheteurs sont américains (contre 23% de Britanniques, 11% d’autres Européens et 11% de pays tiers), il faut toutefois noter qu’ils ne représentent que 36% de la valeur totale des ventes, ce qui laisse à penser qu’ils n’ont pas remporté les enchères les plus élevées. On peut très certainement voir dans ce paramètre une influence de la dépréciation du dollar, l’Europe et le Royaume-Uni dominant largement en termes de valeur, avec respectivement 41% et 16%.

Le fort intérêt porté en priorité aux œuvres majeures ou exceptionnelles témoigne du niveau d’exigence, mais aussi de la capacité financière des enchérisseurs, même s’il reste difficile de faire la part des passionnés et des purs investisseurs. Déjà au XIXe siècle, certains financiers et industriels avaient compris qu’un beau tableau pouvait, sur un marché porteur, devenir un excellent placement spéculatif, au même titre qu’un portefeuille d’actions des sociétés de chemin de fer… Rares étaient ceux qui possédaient le flair et le goût nécessaire, ils s’en remettaient donc prudemment à des experts et des marchands comme Bernheim ou Duran-Ruel afin d’éviter le pire. La palme en ce domaine (le pire) revient sans doute à l’agent de change Lepel-Cointet qui, en 1866, acheta à Gustave Courbet une toile – Vénus poursuivant Psyché de sa jalousie – et lui demanda de couvrir d’un voile pudique les corps trop dénudés des deux femmes…

Il semble que le nombre de lots offert aux enchères soit en diminution, phénomène toutefois compensée par une qualité croissante des œuvres proposées. On remarquera en outre que le marché reste attaché aux artistes classiques qui représentent des valeurs

sûres. Il faudra attendre les prochaines grandes ventes de novembre pour vérifier si cette tendance se renforce. On peut toutefois penser que se dessine dans le paysage une sorte de dédoublement du marché : d’une part celui, florissant, des œuvres exceptionnelles réservées finalement à une élite d’acheteurs, grandes fortunes mondiales ou grandes entreprises désireuses de se créer une image ; de l’autre celui des œuvres moyennes, accessibles à un public aisé, qui présente de facto quelques signes d’essoufflement.

Les deux grandes maisons anglo-saxonnes profitent actuellement de la tendance ; aux dernières nocturnes de mai, elles ont affiché un taux de vente de 76 à 78%, une belle réussite, comparée aux taux atteints par deux leaders français, Artcurial et Cornette de Saint-Cyr, qui ne dépassaient pas 58%. La qualité des maisons de vente françaises n’est en rien mise en cause, il faut chercher ailleurs la perte de vitesse (depuis déjà de nombreuses années) de Paris en tant que place forte mondiale du marché de l’art, notamment dans une réglementation fiscale et administrative contraignante qui rend les acheteurs hésitants et pénalise les transactions, ainsi que dans la réglementation des maisons de ventes elles-mêmes, beaucoup moins souple que celle à laquelle sont soumises leurs concurrentes étrangères.

Illustrations : Claude Monet, Le Pont du chemin de fer à Argenteuil - Edvard Munch, Girls on a bridge - Alberto Giacometti, Grande femme debout II


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