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Godzilla

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Godzilla

Monsters avait impressionné. Avec son budget minimal pour une réussite maximale, le métrage se posait directement comme l’un des objets les plus poétiques et les plus émouvants que les salles de cinéma avaient pu distribuer en 2010. Et quand son réalisateur, Gareth Edwards, s’était vu proposer de reprendre en main l’un des monstres les plus emblématiques du Septième Art, tout le monde ne pouvait que se réjouir d’un tel choix.

La mise en place d’un second projet est toujours difficile, d’autant plus lorsque le premier objet avait su séduire une belle partie de la critique et du public (plus de 4 millions de dollars de recette pour un budget d’environ 200 000 dollars) et que l’on vous demande de remettre Godzilla au goût du jour. Comment faire ? Dans quelle direction partir ? Faire un reboot ? Un remake ? Une suite ? S’affranchir ? Autant d’interrogations auxquelles le réalisateur a du se poser tant Godzilla possède sa cohorte d’admirateurs et fait figure de franchise culte parmi les cultes. Heureusement, le cinéaste britannique a eu un soutien, ou plutôt un avantage, de poids en la personne de Roland Emmerich. Cela pourrait paraître incongru, cela n’en demeure pas moins évident. Difficile, en effet, de faire plus mauvais – ou du moins plus con-con, Roland Emmerich étant reconnu, et aimé par certains, pour sa subtilité pachydermique – que la version sortie en 1998 du réalisateur allemand qui a plus voulu lorgner vers Jurassic Park (Alien également, non ?) qu’en direction d’une réelle proposition quant à une représentation moderne du Godzilla. Ici se situe le premier avantage du métrage de Gareth Edwards car le spectateur va pouvoir sentir un intérêt, une fidélité voire même une sincérité du cinéaste envers la bête. Godzilla ressemble à Godzilla. Tout simplement. Et c’est tant mieux.

Bien entendu, et malgré une direction qui ne va appartenir qu’à lui, le spectateur pourrait penser qu’un cinéaste aussi jeune et aussi inexpérimenté que Gareth Edwards ne peut pas cacher ses propres influences et les références qu’il souhaite mettre en image. Certes, Godzilla pourrait faire penser, notamment, à La Guerre des mondes de Steven Spielberg dans sa description d’un monde sinistré par des monstres et où un héros tente de retrouver sa famille. Des clins d’oeil trop visibles à la saga initiale ne seraient pas, non plus, une aberration. Néanmoins, s’il faut reconnaître une force à l’artiste, c’est de passer aux travers de ces pièges qui peuvent être mesquins. Ces réflexions ne font, au final, que traverser un esprit du spectateur qui va s’atteler à être davantage conquis par un monde nouveau que les écrans de cinéma ont rarement l’occasion de montrer. Gareth Edwards possède, en effet, une véritable patte cinématographique, sans doute encore en rodage mais dont on sent les immenses possibilités, que le spectateur a la chance de voir naitre devant ses yeux, quasiment en temps réel. Il faut, indéniablement, en profiter sous peine de passer à côté d’un réalisateur aux ambitions formelles évidentes.

Monsters est une superbe introduction au monde cinématographique de Gareth Edwards. Et comme son titre ne l’indique pas, ce n’est pas seulement la monstruosité qui intéresse le cinéaste. Ce sont les conditions à son avènement. Celui-ci aime donc s’attarder sur un territoire en perdition où ses idées en production design font merveille. Ce n’est pas tant la mise en espace qui importe mais plutôt la profusion de détails qui appelle au chaos. Si le plan large apparaît essentiel dans cette logique, jamais le réalisateur ne va en abuser. Il va préférer arpenter des chemins et rester sur un point de vue à hauteur humaine. Voitures, intérieurs de maisons (chambres, couloirs), voilà des éléments qui font sens chaotique tant le spectateur peut ressentir une certaine dramaturgie personnelle inhérente au personnage. Ce refus du spectaculaire, car c’est bien de cela dont il s’agit, est salvateur car il brouille les pistes habituelles. Godzilla, dans un même esprit – le titre / le territoire – ne fait donc pas autre chose. Et de remarquer avec beaucoup de plaisir qu’Edwards ne s’est pas fourvoyé dans les méandres d’une industrie hollywoodienne qui peut parfois briser des talents en plein envol. Avec un budget plus conséquent (160 millions de dollars – quand même !), le réalisateur arrive pleinement à donner corps à ses idées décoratives. Ainsi, l’arrivée dans la ville en quarantaine est d’une belle maitrise dans son caractère essentiel quand ce ne sont pas la volonté de montrer l’émeute public qui impressionne. Pas besoin de longs discours, ni de séquences trop pompeuses. Il suffit d’un plan, un seul (ici, un superbe raccord entre un animal et la foule ; là, une contre-plongée à la perpendicularité et à la symétrie parfaites), pour que l’évocation soit des plus efficaces.

Gareth Edwards n’a que faire des beaux discours. Les mauvaises langues pourront toujours tirer à boulets rouges sur la supposée pauvreté du scénario, elles auront, d’une certaine manière, raisons. Alors oui, les personnages ne sont pas traités de la meilleure des façons, surtout au regard du très beau casting dont le réalisateur disposé. Très peu caractérisés, n’ayant pas une présence folle à l’écran sur la durée du métrage, jouant les faire-valoir et ne proposant aucune empathie, les protagonistes ne pourraient être que des fantômes. Néanmoins, ce qu’il faut remarquer, c’est que le réalisateur essaie, avant tout, de brouiller et de s’affranchir des pistes narratives habituelles. Quelque part, il sait que le spectateur se trouve devant un blockbuster américain et que les stéréotypes d’écriture vont être de sortis. Et s’il avait voulu nous épargner cela ? La question mérite d’être posée. A la vision de Monsrters, on sait que Gareth Edwards sait construire une relation humaine passionnante et passionnée. Pourquoi ne l’aurait-il pas fait ici ? Godzilla apparaît alors comme une espèce de contrepied à la machinerie cinématographique industrielle et se trouve, ainsi, une véritable raison d’exister. En se démarquant d’une production lambda, le métrage affiche sa vitalité. Pourtant, et malgré tout, le cinéaste n’abandonne pas les hommes. Si l’individualité ne l’intéresse pas, c’est parce que le cinéaste ne fait pas de démarcation. Cette attitude lui permet de ne pas hésiter à rendre l’humanité responsable de la destruction qu’elle est en train de vivre. C’est tout une collectivité qui ne fait plus qu’une dans la prise de mauvaise choix. Godzilla affiche clairement son humanisme pessimiste qui corrobore une filmographie mélancolique.

Si l’humanité n’est pas la matrice du métrage, il ne faut pas crier au blasphème. Juste, rappelons-nous du titre. Ce qui intéresse réellement le cinéaste est de filmer les monstres. Et à ce niveau, son point de vue s’avère particulièrement intéressant. Alors que la bête est généralement une entité malveillante que l’homme doit détruire pour assurer sa survie, chez Gareth Edwards, il n’y pas de mauvaises ou de bonnes bêtes. Le manichéisme primaire, très peu pour lui. Il sait que les possibilités poétiques sont trop importantes pour se faire ranger dans des cases. Ainsi, alors que le postulat scénaristique du film agit pour un combat entre deux types de monstres, le réalisateur ne peut s’empêcher de passer outre et de poser des séquences proches du sublime. Il y a, tel un point d’orgue, cet accouplement des deux Mutos d’une simplicité toute limpide qui n’est pas sans rappeler la sublime danse à la fin de Monsters. Là-aussi, un plan est bien suffisant pour faire échapper un sentiment. Mieux encore, même dans la violence, Gareth Edwards ne peut s’empêcher de se la jouer romantique, comme si cette notion ne pouvait faire lien qu’avec celle de beauté triste. Si l’on retrouve, à ce niveau, la volonté de ne pas jouer sur les archétypes monstrueux (le spectateur veut-il, alors, un vainqueur dans ces combats où chacun lutte pour la vie et où une défaite sera pourtant inéluctable ?), la forme joue pleinement son rôle. La photographie y est donc pour beaucoup. La musique également même si Alexandre Desplat aurait pu, par moment, proposer une partition plus subtile. Le spectateur souhaite que Godzilla « déclare sa flamme ». Il va le faire de la plus belle des manières. Il y a, également, ces séquences absolument fantastiques du pont et du saut en parachute qui ne peuvent qu’émouvoir alors que s’engage sur le papier la catastrophe. Grâce à un montage sonore terrible et à une recherche constante dans l’angle de vue, le cinéaste permet une immersion convaincante qui ne peut que créer sensation et sentiment palpables.

Derrière ces oripeaux, c’est bel et bien une certaine beauté de l’univers présente à tous les instants que Gareth Edwards veut cerner. Si la contre-plongée était initialement présente, c’était simplement pour rapidement iconiser ses bestioles et entrer dans la peau et l’oeil du protagoniste. Il n’en fera pas plus et passera rapidement à un autre choix de représentation. Le plan large, de face, est davantage adéquat pour montrer ce qu’il veut et faire passer son message poétique. Le spectateur ne peut alors que prendre frontalement cette supposée altérité du monde. Pourtant, cette dernière ne devrait pas exister. Ces monstres ne demandent qu’une seule chose : être une pièce de la nature comme il y en a des milliards sur Terre qui ne demande qu’à exister. Et si altérité il y a, c’est bien l’homme qui la personnifie. A cause de sa quête horrifique pour asseoir sa domination, il met à mal le fragile équilibre commun. Il est donc bien cette fameuse figure monstrueuse qui fait n’importe quoi. Difficile de ne pas penser à la récente catastrophe de Fukushima. Mais facile de comprendre l’absence de traitement humain en profondeur. Il ne le mérite pas et la fin ne viendra que souligner ce propos. En filmant donc cette beauté que l’on croit monstrueuse alors qu’elle sauve l’humanité, Gareth Edwards rend hommage, donne vie et remet quelques éléments essentiels à leur juste place. Dont l’homme.

Godzilla se positionne comme un blockbuster doté d’une réelle et belle âme et vient confirmer Gareth Edwards comme un cinéaste a la touche cinématographique certaine. On a rarement vu une aussi belle déclaration à la poésie d’une image d’un Septième Art qui trouve ici un digne représentant.


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