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DEUTSCHE OPER BERLIN 2013-2014: TRISTAN UND ISOLDE de Richard WAGNER le 18 MAI 2014 (Dir.mus: Donald RUNNICLES; Ms en scène: Graham VICK) avec Nina STEMME et Stephen GOULD.

Publié le 23 mai 2014 par Wanderer
Acte II(en 2011) © Matthias Horn

Acte II(en 2011) © Matthias Horn

Tels Alberich et Wotan rodant autour de l’antre de Fafner au 2ème acte de Siegfried, beaucoup de français wagnériens se sont retrouvés à Berlin en ce dimanche 18 mai pour un Tristan und Isolde alléchant affiché à la Deutsche Oper : Nina Stemme, Stephen Gould, Donald Runnicles dans la reprise du Tristan de 2011 mis en scène par Graham Vick, cela vous donne des ailes pour accourir humer l’air berlinois. Mais l’air berlinois joue quelquefois des tours, comme cette fois-ci à Nina Stemme, qui a fait annoncer devant la salle désolée qu’elle avait pris froid, qu’elle allait chanter sans savoir si elle terminerait, puisqu’une Isolde de substitution était en route. Le même porteur de mauvaises nouvelles annonça que pour une raison technique inexpliquée, une partie du décor (une lampe immense se balançant au dessus de Tristan et Isolde) n’avait pas pu être mise en place…Il y a des jours néfastes. Après ce prélude qui avait quelque peu refroidi notre attente, on commença d’entendre le fameux accord initial… La mise en scène de Graham Vick est, dirait-on, moderne : le couple ne boit pas le philtre mais se pique à l’héroïne, il nous est lourdement asséné qu’Eros et Thanatos vont ensemble : couple nu qui apparaît à l’acte II (Adam et Eve ? Si c’est le cas, Adam va passer une partie du temps à creuser sa tombe), femme enceinte qui surgit périodiquement, bébé apporté à Isolde : le cycle de vie va de conserve avec le cycle d’amour et surtout présence obsessionnelle d’un cercueil au milieu du décor, un décor de Paul Brown représentant une sorte d’immense salon d’une maison dans le style de Frank Lloyd Wright, mur percé de portes et de baies vitrées qui change de position selon les actes, revu années 50, à cause des meubles, divan, fauteuils, chaises et table métalliques sur lequel débouchent des portes donnant vers salle de bains ou chambres, ou réduit dans lequel loge Kurwenal derrière un comptoir.

Acte I (2011) © Matthias Horn

Acte I (2011) © Matthias Horn

Le cercueil au milieu fait table de salon au premier acte, sorte d’armoire au second (au salon se sont ajoutés deux sortes de Menhirs entourant une tombe que l’Adam du coin, nu comme un ver, est en train de creuser, comme je l'ai écrit plus haut). Une grande baie vitrée sépare deux mondes qui au troisième acte sont monde des vivants au premier plan et des morts au second plan: Tristan sort appeler Isolde…et en passant ce seuil, il est donc mort. Quant aux morts, ce sont des silhouettes multiples qui traversent l’espace dans une brume bienvenue. Je n’ose dire un fatras, mais il y a beaucoup d’objets et de petits détails qui envahissent la scène sans grande utilité, sinon  celle de disperser l’attention, et au milieu de cette abondance de biens nuisible, une idée intéressante : la marque du temps; d’acte en acte les héros vieillissent, ce qui donne à la fin un côté retrouvailles à l’asile de vieillards : Tristan est en pyjama robe de chambre, ffligé de mouvements convulsifs des mains, Isolde arrive pour le retrouver vêtue en ménagère de bien plus de cinquante ans. Mais soyons justes, l’idée n’est pas mauvaise, non plus que celle de l’héroïne dont on a parlé plus haut. Sauf que Vick n’en tire rien. Et donc cela fait une idée de plus, un signe de plus, mais comme disent les italiens, a che pro?

Final Acte I (2011) © Matthias Horn

Final Acte I (2011) © Matthias Horn

Notons également les beaux éclairages (Acte II) de Wolfgang Göbbel et l’idée d’un premier acte où Isolde est perdue, voire agressée dans un monde d’hommes, ou plutôt au milieu de la soldatesque installée dans l’espace commun, on est torse nu, on sort de la salle de bains, on se rapproche dangereusement de la reine et tout se beau monde se transforme en cour du roi au final portant les fleurs du mariage alors qu’Isolde se refuse obstinément à considérer la robe de mariée que Brangäne retouche, la rejette violemment…(merci Marthaler à Bayreuth…auquel par certains côtés l’ambiance se réfère (je soupçonne le lampion qui n'était pas là pour la représentation de ce jour de rappeler le jeu des lumières de Marthaler à Bayreuth) ; mais Marthaler a le sens de l’épure, mais Marthaler produit du sens. Graham Vick est bien plus fouillis. Le lecteur aura compris que je n’ai pas été convaincu par ce travail,  dispersif, mais au total pas très gênant, parce qu’en ce qui concerne la direction d’acteurs et les interactions entre les personnages, cela pourrait se passer dans le haut moyen âge ou en 2055, chez Wolfgang Wagner ou August Everding voire Otto Schenk : les gestes et les mouvements sont convenus, traditionnels et ce ne sont pas les costumes modernes qui y changent quoi que ce soit, c’est du faux moderne, un habillage complexe sans intérêt majeur.

Nina Stemme, Donal Runnicles, Stephen Gould le 18 mai 2014

Nina Stemme, Donal Runnicles, Stephen Gould le 18 mai 2014

Musicalement, c’est incontestablement Donald Runnicles qui porte de bout en bout la représentation. Le chef écossais, directeur musical de la Deutsche Oper propose rarement des interprétations médiocres. Et dans Wagner, c’est une figure reconnue. Son Tristan le confirme pleinement. C’est une version théâtrale, dynamique, passionnée, au tempo assez rapide, mais révélant la partition dans son épaisseur et ses détails, avec des moments vraiment exceptionnels (le duo du deuxième acte, le début du troisième acte)... Ce regard très lyrique produit un orchestre vivant, chatoyant, qui accompagne les chanteurs en les couvrant rarement (sauf quand Nina Stemme, fatiguée, ne peut pousser sa voix). Un orchestre très en forme si l’on excepte quelques scories aux cors du début de l’acte II, mais on a entendu plus catastrophique naguère dans des lieux bien plus wagnériens. Ce qui frappe dans ce travail c’est en même temps un engagement très fort dans le théâtre, mais aussi une lecture très dynamique d’une partition sans vraiment se complaire dans des effets inutiles, ou dans une polissure extrême qui confinerait au maniérisme. Il y a une  honnêteté, une franchise dans la manière d’affronter le tissu wagnérien qui à mon avis renvoie dans les cordes ceux qui lui reprocheraient une absence de style : c’est au contraire un vrai point de vue qui est affiché ici, convaincant, parfaitement au point, et qui veille à suivre le texte et l’intrigue avec clarté, sans autre dessein que de travailler à mettre en lumière, illuminer dirais-je, la musique de Wagner. Il est accompagné par un chœur efficace (direction Thomas Richter), spectaculaire même au final de l’acte I. La distribution fait honneur à l’entreprise : si l’on excepte les accidents vocaux de Peter Maus « ein Hirt» à la voix vacillante (ce qui se comprend dans un troisième acte marqué par l’usure du temps et le vieillissement), chacun reste très honorable, aussi bien Clemens Bieber (ein junger Seemann) que Ben Wager (ein Steuermann), très correct aussi le Melot de Jörg Schörner. Egils Silins en Kurwenal trouve là un de ses meilleurs rôles : une voix chaude, engagée, moins neutre que dans ses Wotan, une belle présence malgré une mise en scène qui ne le favorise pas. La Brangäne de Tania Ariane Baumgartner défend bien le rôle au premier et au troisième acte. Les appels dans le duo du second acte, où en général on attend Brangäne, restent en revanche bien pâles et bien éteints : on les entend mal, sans doute aussi parce que, dissimulée derrière le décor, la voix ne projette pas. Li Liang a une voix de basse profonde qui au contraire est très sonore et projette parfaitement. Il est un König Marke plutôt jeune au premier acte (ce qui surprend par rapport à la tradition : il a l’âge de Tristan). Une voix bien posée, mais une diction moins claire que celle des autres personnages principaux et surtout un manque d’expressivité très gênant au deuxième acte. Il chante, mais ne nous dit rien, cela reste neutre et plat ; cette absence est d’autant plus gênante que la voix, elle, est bien présente. Stephen Gould est considéré comme l’un des Tristan de référence aujourd’hui, sinon LE Tristan du jour. On comprend bien pourquoi : timbre chaleureux et juvénile, voix claire, qui projette bien, et un certain engagement scénique. S’il reste un peu en retrait au premier acte (mais c’est l’acte d’Isolde), le duo est particulièrement réussi, lyrisme, suavité, douceur, tout y est. Le troisième acte (l’acte de Tristan) est d’une extraordinaire vaillance (même avec de menus accidents ou quelques sons rauques dans les passages, qu’on peut intégrer volens nolens dans la couleur voulue pour le personnage). Il est non seulement convaincant, mais vraiment bouleversant. Grand moment, grande interprétation.

Nina Stemme le 18 mai 2014 (Berlin, Deutsche Oper)

Nina Stemme le 18 mai 2014 (Berlin, Deutsche Oper)

Nina Stemme n’était pas dans sa meilleure soirée, mais a eu le cran de mener la représentation à son terme. Son premier acte était difficile, la voix portait mal, les graves très affectés par la fatigue, sons rauques, menus accidents. L’aigu n’avait évidemment ni l’éclat ni la force auxquels elle nous a habitué et dont elle a gratifié paraît-il les spectateurs de la représentation précédente, sans parler de sa Salomé de Zürich des semaines passées (mais peut-on comparer l’endurance nécessaire à Isolde au sprint explosif qu’est Salomé ?). Il reste que, même avec ses faiblesses, on sent que le rôle aujourd’hui est complètement dominé, mature, réfléchi : elle réussit à produire une Isolde émouvante, engagée, présente : au deuxième acte, elle s'allie au Trsitan de Gould avec une retenue et un lyrisme saisissants, au troisième acte, s’étant reposée un peu, elle est vraiment bien meilleure vocalement et elle bouleverse, aidée par un orchestre merveilleux. Elle reste donc convaincante, elle reste une très grande Isolde, et elle finit donc par triompher. On peut rêver à ce qu’elle aurait donné si elle avait été en pleine forme. Malgré les accidents, ce fut donc une très belle représentation  finie dans un immense triomphe d’un public enthousiaste. Stemme a pu chanter malgré la fatigue perceptible : c’est la chance du répertoire wagnérien : elle n’aurait jamais pu chanter Verdi ou Puccini dans cet état. Et une confirmation: ne manquez pas une représentation dirigée par Donald Runnicles, c'est un grand chef d'opéra. Ah, j‘oubliais…c’était une représentation de répertoire : j’étais au 18ème rang d’orchestre, parfaite vision, parfaite audition, à une place payée 66€.  À Paris, bien plus subventionné que Berlin, (c’est pareil à la Scala ou à Vienne) pour le même type de place, j’aurais payé le triple, cherchez l’erreur…

Les rôles principaux Tristan und Isolde 18 mai 2014 Deutsche Oper Berlin

Les rôles principaux Tristan und Isolde 18 mai 2014 Deutsche Oper Berlin


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