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Deux jours, une nuit, de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 4/5 

Sandra sort d’une dépression et s’apprête à reprendre le travail au moment où elle apprend son licenciement pour raison budgétaire. La société où elle travaillait a demandé à ses collègues de choisir entre la suppression de son poste et l’obtention de leur prime. Les ambassadeurs du cinéma social belge racontent son combat, le temps d’un week-end, pour conserver son emploi.

Depuis quinze ans, Jean-Pierre et Luc Dardenne sont des invités réguliers du Festival de Cannes et de sérieux concurrents pour la palme. Ils se l’ont vu attribuer en 1999 pour Rosetta, puis en 2005 pour L’Enfant ; leurs six derniers films y ont à chaque fois concouru. Cette année ils sont repartis les mains vides, ce qui confirme la drôle de tendance d’un film sur deux récompensé (Le Gamin au vélo a remporté le Grand Prix en 2011). Sans contester les récompenses attribuées par le jury de Jane Campion, nous sommes surpris qu’un si beau film rentre bredouille.

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© Christine Plenus

En cette période de crise en Europe et en France, les frères réalisateurs nourrissent leur récit d’espoir, de courage et d’humanité. Sandra mène son combat pour exister dans la société et dans l’entreprise : absente plusieurs mois elle revient chez ses collègues pour faire face à leur décision, pour s’affirmer dans leur groupe, pour ne pas retrouver la solitude du chômeur en marge de la société. Les Dardenne s’attachent entièrement à leur personnage, c’est un combat qu’elle mène seule malgré le soutien de quelques proches. Sandra est donc seule et sans défense face à ses collègues dotés du pouvoir décisionnel. Chaque entrevue est une entité propre, principalement filmée en plan unique pour signifier la sincérité des échanges par un cinéma-vérité. Ils ne coupent pas pour ne pas mentir, nous restons dans une continuité réaliste.

Si ces rencontres sont pour elle autant d’épreuves à surmonter en un week-end, elles ne sont pas tant un combat pour son poste que les pièces du puzzle de sa lutte contre l’entreprise et son choix immoral. Sandra ne critique pas le choix de ses collègues, elle aussi aurait du mal à refuser 1000€, mais tente de les rattacher à sa cause. Elle puise sa force dans sa lutte, dans l’enthousiasme qu’elle retrouve en échangeant honnêtement avec ses collègues. Elle renoue ainsi leurs liens humains et ceux de son mariage ; même si elle ne parvient pas ensuite à conserver son emploi elle ressort enrichie de son combat car fière et heureuse de s’être battu et d’avoir existé. 

Ces différentes saynètes permettent aussi aux réalisateurs de travailler plusieurs tableaux de notre société : le travail au noir, la femme soumise à son mari, la femme divorcée, une certaine jeunesse violente… Ces portes ouvertes sur plusieurs contextes participent au réalisme revendiqué du film et des frères Dardenne.

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© Christine Plenus

Leur patte se retrouve également dans leur direction d’acteur. Marion Cotillard est totalement réinventée et la star internationale s’efface devant cette femme fragilisée. Nous étions déjà surpris de sa prestation en 2012 dans De Rouille et d’os de Jacques Audiard (elle y interprétait une femme handicapée suite à un accident), et ce rôle aujourd’hui d’une intensité nouvelle sublime l’actrice. Elle y mène un jeu d’une intense sincérité, bouleversante dans ses élans de courage et de force. Le film repose entièrement sur elle et lui doit son succès unanime. Marion Cotillard avait essuyé les critiques et moqueries depuis son interprétation très brouillon dans The Dark Knight Rises de Christopher Nolan, elle retrouve désormais son statut d’actrice exceptionnelle aux yeux des cinéphiles. Les comédiens, comme tous les matériaux d’un film, nécessitent la direction talentueuse des réalisateurs pour briller, et Deux jours, une nuit en constitue une preuve supplémentaire dans la filmographie des Dardenne.

On regrette que la prestation de Marion Cotillard n’ait pas eu plus d’écho dans les résultats du festival ; mais pour les réalisateurs, arrivés à leur niveau, nul besoin d’un prix pour reconnaître le talent et la force de leur film.

Marianne Knecht

Film en salles depuis le 21 mai 2014


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