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Taxes sur les transactions financières : la taxe européenne va-t-elle avoir raison de la taxe française ?

Publié le 01 juillet 2014 par Sia Conseil

Taxes sur les transactions financières : la taxe européenne va-t-elle avoir raison de la taxe française ? La crise financière des années 2000, a été l’occasion de voir réapparaitre au premier plan un serpent de mer né dans les années 1970, garant d’une « finance équitable » et régulièrement évoqué durant ces 30 dernières années : la taxe sur les transactions financières.

Initialement imaginée par le Prix Nobel d’Economie James Tobin, cette « Taxe Tobin » est déjà appliquée plus ou moins fidèlement par quelques Etats (voir plus bas).

En France, sous l’impulsion de l’ancien chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, elle est entrée en vigueur depuis le 1er aoĂťt 2012. Critiquée aussi bien par les professionnels de la finance que par les ONG, elle n’a jamais été imaginée autrement que comme un signal symbolique fort à destination des autres pays de l’Union Européenne, en attendant un projet de plus grande envergure mené par la Commission Européenne.

Aujourd’hui, après bientôt deux ans de mise en place, quel bilan peut-on tirer de cette taxe française promise à disparaître le plus tôt possible et que peut-on attendre du projet européen ?

1. La taxe française sur les transactions financières, source de recettes supplémentaires mais surtout premier pas vers une taxe européenne

Un caractère dissuasif symbolique pour un périmètre d’opérations restreint

Bien que devant concerner 80 à 85% des échanges sur la place financière française, la 1ère version de la taxe imaginée par le gouvernement Sarkozy était déjà perçue comme symbolique. En effet, les transactions les plus controversées s’effectuant à Londres, des opérations comme les CDS souverains à nu auraient échappés à la taxe.

Le texte de loi des finances rectificative du 31 juillet 2012, à l’initiative de l’actuel gouvernement a conservé dans les grandes lignes le projet initial mais a durci la taxe en doublant le taux de taxation de certaines opérations.

La taxe vise principalement l’achat de titres d’entreprises ayant leur siège social en France et une capitalisation boursière supérieure à 1md d’â‚Ź. Ces achats[1] sont taxés à hauteur de 0.2% sur la valeur d’acquisition et ce qu’importe le lieu de la transaction du moment que le produit est coté sur le marché français ou un marché règlementé[2]. A ce jour, 109 valeurs boursières correspondent à ces critères.

Les titres[3] représentants les actions de ces 109 entreprises (ex : certificats d’investissement) sont également concernés afin de ne pas exclure les entreprises françaises cotées à l’étranger, notamment à New York. L’entrée en vigueur de cette mesure avait initialement été décalée au 1er décembre 2012  afin de mettre en place ses modalités, plus complexes, et de vaincre le scepticisme des professionnels de la finance Américains.

La taxe est payée par l’intermédiaire financier ou à défaut par l’établissement assurant la fonction de tenue de compte-conservation quelque soit leur lieu d’établissement.

Le très polémique trading à haute fréquence est également taxé. Il s’agit d’opérations qui utilisent à grande vitesse les outils du trading algorithmique : 25 microsecondes suffisent pour émettre un ordre et l’annuler. La loi a retenu un seuil de 0,5s.

Les opérations de cette nature, lorsqu’elles sont fermes, sont taxées à 0,01% tandis que les annulations ou modifications d’ordre sont taxées eux au-delà du seuil de 80% de transactions annulées ou modifiées.

Tous les titres de capital sont éligibles et contrairement à la taxe sur les titres financiers, le lieu du siège de l’entreprise émettrice du titre et le volume de la capitalisation sont indifférents. La taxe est à acquitter par toute entreprise réalisant ce type d’opérations sur le territoire français (les succursales de sociétés étrangères exerçant en France rentrent dans le périmètre). Par ailleurs, les activités de tenue de marché sont exonérées.

Enfin, le texte prévoyait également la taxation à hauteur de 0.01% du montant notionnel des ventes à nu de Credit Default Swaps (CDS) souverains d’états de l’Union Européenne, réalisées sur le territoire français. Ce type d’opération est désormais interdit depuis le 1er Novembre 2012.

Une taxe fraichement accueillie malgré des conséquences qui restent modestes sur le secteur

Tandis que les ONG et partisans d’une finance plus responsable ont dénoncé le manque d’ambition du texte, son inefficacité pour lutter contre la spéculation et le flou relatif à l’affectation des recettes, les professionnels du secteur ont, eux, mis en exergue son inutilité tant qu’elle ne serait pas appliquée au niveau européen et qu’elle n’inclurait pas La City.

Ils ont également dénoncé un poids sur les investissements en action ainsi qu’une pénalisation des petits épargnants par rapport aux professionnels mieux à même de contourner la taxe.

Les opérateurs critiquent également la lourdeur du dispositif : acquittement de la taxe par les intermédiaires puis recouvrement auprès de leurs clients.

Malgré ces critiques, force est de constater que les conséquences de la taxe sur le secteur sont à relativiser. Tout d’abord, le taux de prélèvement est faible (0.2%), la liste des exonérations du périmètre produit est longue[4] et les petites valeurs ont été exclues du périmètre.

De nombreux autres pays[5] appliquent déjà une taxe similaire avec parfois des taux de taxation plus élevés. Le Royaume-Uni taxe à hauteur de 0.5% les actions de nationalité britannique, lui permettant de collecter chaque année entre 4 et 6 milliards d’euros.

Alors qu’il était attendu 1.6mds d’â‚Ź de recette en année pleine, la taxe a seulement rapporté 250mâ‚Ź en 2012 (aoĂťt à décembre) et entre 600 et 800mâ‚Ź en 2013, des sommes à relativiser pour le secteur. Les impacts ont néanmoins été visibles selon deux économistes de la BCE qui évaluent une baisse des échanges d’actions françaises de l’ordre de 10% traitées sur Euronext (environ 1/3 des actions françaises échangées quotidiennement), qui matérialise certainement l’accueil réservé à la taxe par les investisseurs.

2. La taxe européenne sur les transactions financières attendue prochainement mais de façon limitée

Une contribution du secteur financier jugée légitime par la commission Européenne et 64% des citoyens européens

La commission Européenne considère le principe d’une taxe sur les transactions financières comme un juste retour des choses car selon elle, les services financiers sont actuellement sous imposés car bien souvent exonérés de TVA (en raison des difficultés à déterminer la base imposable) et enregistre des marges bénéficiaires très élevées. Une taxe sur les transactions financières européennes poursuivrait plusieurs objectifs distincts :

  • Faire participer le secteur financier au coĂťt de la crise actuelle, après avoir bénéficié d’un soutien massif de la part des pouvoirs publics au début de celle-ci
  • Renforcer le marché intérieur des services financiers, éviter les phénomènes de double imposition ou de double non-imposition et décourager certaines transactions
  • Il s’agirait également d’un signal fort en faveur de l’introduction d’une taxe de ce type au niveau mondial

Selon ses calculs, la taxe européenne pourrait rapporter 30 à35 Mds d’â‚Ź mais la question de l’affectation des recettes, comme la TTF française, reste à trancher même si l’on évoque une réduction des contributions nationales au budget de l’UE.

Des modalités définies et quasi figées

La taxe serait fondée sur le principe de la résidence fiscale de l’établissement financier ou du trader. L’imposition aurait alors lieu dans l’État membre où l’établissement financier participant à la transaction est réputé situé. Cette manière de procéder contribuerait à réduire le risque de délocalisation, car toute transaction financière à laquelle participe un résident de l’UE serait taxée, même si elle est réalisée en dehors de l’Union.

Par ailleurs, la transaction financière visée, est dans ce texte, définie comme l’échange d’instruments financiers[6] entre établissements financiers[7]. Le taux minimal prévu est de 0,1 % pour les obligations et actions, et de 0,01 % pour les produits dérivés, mais les États membres auraient la liberté d’appliquer des taux plus élevés (lorsque des pays de l’UE appliquent déjà une taxe sur les transactions financières nationales, celle-ci devra être conforme aux règles de l’UE).

Enfin, la taxe serait payée par chacune des parties à la transaction avec chacune des deux parties payant sa part de la taxe dans le pays où elle réside ou est réputée résider. Par exemple, une banque anglaise et sa contrepartie française s’échangeant un titre sur une place londonienne seraient l’une et l’autre redevables au fisc français. En l’état, la taxe couvrirait 85 % des transactions entre établissements financiers indifféremment effectuées sur des marchés organisés ou de gré à gré.

De nombreuses exemptions sont cependant à relever : toutes les transactions impliquant les ménages privés ou les PME (ex : emprunts hypothécaires, les prêts souscrits par les PME ou les primes d’assurance) ou les opérations de change au comptant etc.[8]

Une mise en Ĺ“uvre imminente mais partielle

Le Parlement Européen a approuvé le 23 mai 2012 la proposition de la Commission Européenne présentée en septembre 2011.  Consciente de la réticence de certains de ses états membres, la Commission a approuvé en février 2013, qu’en cas de blocage, la taxe puisse être mise en Ĺ“uvre dans une partie seulement de l’UE, suivant le mécanisme de la coopération renforcée. 11 Etats[9] membres ont donc pour le moment décidé d’y participer et eux seuls auront le droit de voter et de se mettre d’accord sur la directive. Celle-ci en cours d’élaboration devra ensuite être transposée dans leurs législations nationales.

Bien que toujours en discussion auprès des 11 Etats membres et des instances européennes, pour notamment définir son assiette et son affectation, la taxe sur les transactions européennes semble en bonne voie après des avancées significatives. Les jours de la très polémique taxe française sont donc comptés et l’on parle d’un accord avant les prochaines élections européennes de mai 2014.

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[1] : L’acte d’achat s’entend comme la position nette des échanges en fin journée (Ex : achat de 20 titres L’Oréal le matin et revente de ces 20 titres avant la clôture, la position nette est nulle et le montant de la taxe sera 0â‚Ź). Par ailleurs, l’exercice d’un produit dérivé entraînant le transfert de propriété du titre sous-jacent est considéré comme une acquisition et les titres pouvant donner accès au capital ou aux droits de vote entrent également dans le périmètre de la taxe (après conversion).

[2] : Au sens de l’article L.423-1 du COMOFI (ex : Nyse, LSE n’en font pas partie).

[3] : Le nouveau texte étend le champ de la taxe aux titres représentant les actions des 109 entreprises concernées émis par une société, quel que soit le lieu d’établissement de son siège social, ce qui désigne les certificats d’investissement et de droit de vote et les certificats représentatifs d’actions. En réalité cette mesure vise le cas des entreprises françaises cotées à New York via des certificats négociables appelés « ADR » ou « EDR ». Ce reporti a privé l’Etat français d’une centaine de millions d’euros en 2012.

[4] : Sont notamment exemptées de taxe,  les émissions primaires, les opérations intragroupes et de restructuration, les acquisitions réalisées dans le cadre de contrat de liquidité, les cessions temporaires de titres, les opérations réalisées par une chambre de compensation ou un dépositaire central. Par ailleurs les opérations de tenue de marché (« market making »), les  transactions réalisées dans le cadre de l’épargne salariale, les échanges de parts d’OPCVM, les obligations d’entreprises et les titres souverains, les obligations échangeables ou convertibles en action (avant échange ou conversion) sont également hors périmètre.

[5] : C’est le cas de la Corée du Sud, de Hong Kong ou du Royaume-Uni. L’Inde ou Taiwan, eux, appliquent une taxe sur les produits dérivés tandis que les taxes appliquées par la Suisse ou le Brésil visent les obligations.

[6] : Titres, obligations, actions, produits dérivés et produits structurés).

[7] :  Banques, entreprises d’investissement, autres établissements financiers tels que les entreprises d’assurance, les sociétés de bourse, les fonds de pension, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les fonds d’investissement alternatifs tels que les fonds spéculatifs, etc.

[8] : Sont également exemptés : les rassemblements de capitaux réalisés par les entreprises ou les organismes publics, dont les banques publiques de développement, au moyen de l’émission d’obligations et de titres sur le marché primaire.

[9] : Portugal, Espagne, France, Italie, Grèce, Allemagne, Belgique, Autriche, Slovénie, Estonie, Slovaquie.


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