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Économie mondiale deboussolée

Publié le 14 juillet 2014 par Laurentarturduplessis

Brûlot de la Banque des Règlements Internationaux

Les grands médias n’évoquent que très discrètement la publication du 84e rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI) le 29 juin dernier. Pour cause : le caractère très inquiétant de ce rapport sur la situation économique mondiale en 2013-2014 tranche avec le ronron habituel des organisations économiques et financières internationales. La BRI n’est pas n’importe laquelle d’entre elles : née en 1930, basée à Bâle (Suisse) est la plus ancienne organisation financière internationale au monde. Elle encourage la coopération monétaire et financière internationale et elle est une banque centrale pour les banques centrales.
Ce 84e rapport est un brûlot. La BRI constate que l’économie mondiale a montré en 2013 des signes « encourageants ». Mais, loin d’être solide, ce redressement est une « précieuse opportunité qu’il ne faut pas manquer ». La BRI avoue que « l’économie mondiale peine à sortir de l’ombre projetée par la grande crise financière » de 2007-2009 : l’investissement reste déprimé ; la dette, publique et privée, continue d’augmenter ; la croissance de la productivité poursuit sa baisse tendancielle à long terme.

Les planches à billets sur la sellette

La BRI constate la « sensibilité extrême » des marchés financiers à la politique monétaire, tant effective qu’anticipée. L’année écoulée, dit le rapport, laisse une « impression déconcertante de découplage entre le dynamisme des marchés et l’évolution sous-jacente de l’économie mondiale ». La BRI illustre son propos avec l’évolution de l’indice Standard & Poor’s 500 aux États-Unis, qui a gagné près de 20% de mai 2013 à mai 2014, alors que les bénéfices anticipés des sociétés ont, eux, crû de moins de 8% dans le même temps. La politique monétaire est « trop sollicitée depuis trop longtemps », s’alarme la BRI. En clair, ça veut dire que les masses sans précédent de liquidités déversées par la Fed (la banque centrale américaine), n’ont que très peu relancé l’économie réelle aux États-Unis. La banque centrale japonaise a fait de même sans pouvoir vaincre l’atonie de l’économie japonaise depuis plus de 20 ans. La banque centrale chinoise verse dans les mêmes excès, sans empêcher la croissance de son PIB de ralentir ces derniers temps. La Banque centrale européenne s’engage, quoique plus modérément, sur la même voie.

Surendettement généralisé

La BRI avertit que le surendettement ne concerne pas seulement les économies touchées par la crise financière de 2007 à 2009 mais aussi celles qui lui avaient échappé. Dans le chapitre du rapport consacré à la dette et au cycle financier, la BRI évalue le risque de crise financière au moyen d’une série d’indicateurs avancés : ratio crédit/PIB (déviation du ratio crédit/PIB par rapport à sa tendance à long terme), écarts des prix de l’immobilier, aussi par rapport à leur moyenne de long terme. Il s’agit de voir dans quelle mesure les ménages et les entreprises doivent réduire leur endettement par rapport au PIB pour éviter des catastrophes. « Dans de nombreuses économies émergentes ainsi qu’en Suisse, l’écart du ratio crédit/PIB se situe largement au-dessus du seuil annonçant d’éventuels problèmes », dit la BRI.

La BRI préconise une « nouvelle boussole »

La BRI exhorte les pouvoirs publics à utiliser une « nouvelle boussole » pour sortir définitivement l’économie mondiale de la grande crise financière de 2008. Elle conseille de moins miser sur la stimulation traditionnelle de la demande globale et plus sur l’assainissement des bilans et les réformes structurelles. Elle exhorte les gouvernants à s’attaquer de front aux carences structurelles et à la mauvaise affectation des ressources.

Pertinence de l’École autrichienne

Par ce rapport, la BRI se met sur la voie des théories économiques de l’École autrichienne (nommée ainsi à cause de la nationalité de son fondateur, Carl Menger, 1840-1921) : elles s’opposent au keynésianisme débridé et au monétarisme qui en est un avatar. Parmi ses grands penseurs de cette école, Ludwig von Mises (1881-1973), auteur de la « Théorie de la monnaie et du crédit » (1912) et Friedrich Hayek (1889-1992), né sous le nom de Friedrich von Hayek, auteur de « La route de la servitude » (1944) et prix Nobel d’économie 1974. Tous deux étaient d’origine autrichienne et acquirent la nationalité américaine. En France, les économistes Jacques Garello, Pascal Salin, Henri Lepage, Gérard Bramoullé, Jean-Louis Caccomo, appartiennent à cette école de pensée économique.

États faux-monnayeurs et « malinvestissement »

L’École autrichienne estime que les prix doivent résulter du libre jeu du marché, faute de quoi ils ne peuvent fournir aux acteurs économiques – consommateurs, investisseurs – les informations nécessaires pour guider leurs choix. La doctrine de l’École autrichienne, qui fait confiance aux capacités d’adaptation des individus, est aux antipodes de celle des banques centrales, des gouvernements et les organismes internationaux, centrée sur les équilibres économiques qu’ils prétendent régir d’en haut. En fait, ils créent des déséquilibres. C’est pourquoi le revirement doctrinal de la BRI est stupéfiant.
L’École autrichienne accorde une importance primordiale au bon usage de la monnaie et du crédit. Elle critique leur manipulation par les États, qui fausse l’activité économique. Les banques centrales maintiennent des taux d’intérêt artificiellement bas, fabriquent de la monnaie en quantité trop abondante et engendrent des booms artificiels, des bulles spéculatives. Et du « malinvestissement » : l’argent se fourvoie dans des investissements inutiles, improductifs, qui ne correspondent pas à une demande véritable.

Bulles spéculatives et catastrophe finale

Ludwig von Mises avait analysé les dangers de la politique monétaire laxiste : « Le mouvement de vagues affectant le système économique, la récurrence de périodes de boom suivis par des périodes de dépression-récession, est le résultat inévitable des tentatives, répétées encore et encore, de baisser les taux d’intérêts au moyen d’une expansion du crédit. Il n’y a aucun moyen d’éviter l’effondrement final d’une expansion provoquée par une expansion du crédit. L’alternative est seulement de savoir si la crise doit venir plus tôt, après un abandon volontaire de l’expansion du crédit, ou plus tard avec une catastrophe finale et totale du système monétaire impliqué. »
Les États doivent renoncer à manipuler les taux d’intérêt, donc la monnaie, et laisser le marché les fixer librement. En créant des quantités pharamineuses de monnaie déconnectée de l’économie réelle, ils se comportent comme des faux-monnayeurs. Ils provoquent des booms artificiels suivis d’effondrements.
Il faut les en empêcher. Pour cela, certains économistes de l’École autrichienne recommandent d’arrimer les monnaies à un étalon-or. D’autres adeptes de cette école de pensée économique préconisent un système de banques libres, concurrentes entre elles pour l’émission et la circulation de monnaie, sans recours à une banque centrale : cette institution serait purement et simplement supprimée. Ces banques, subissant la pression de leurs clients et de leurs concurrentes, seraient obligées de maintenir un taux de réserve (taux de capitaux détenus par rapports aux montants des prêts) élevé qui les garantirait contre le risque.

Folie de l’État providence

La création monétaire débridée, déconnectée de celle de richesses réelles, a permis l’essor pharamineux des États providence au XXe siècle. L’illusion que les richesses sont infinies dominait alors la psychologie collective. Ludwig von Mises dénonçait cette perte du sens des réalités : « Les fables de Père Noël de l’école du Welfare, sont caractérisées par leur incompréhension totale des problèmes du capital. C’est précisément ce fait qui rend indispensable de refuser l’appellation de welfare economic, d’économies de sécurité, dont ses partisans prétendent décorer leurs théories. »
Von Mises ne mâchait pas ses mots : « Quelqu’un qui ne prend pas en considération le fait que les capitaux matériels disponibles (les richesses réelles) existent en quantité limitée, n’est pas un économiste, mais un fabuliste. Il ne travaille pas dans le réel, mais dans un monde mythique de surabondance. Toutes les générosités verbales de cette école contemporaine de la sécurité sociale reposent, comme celle des écrivains socialistes, sur l’hypothèse implicite d’une abondance de capitaux matériels (économie réelle). Cela supposé, il est évidemment facile de trouver un remède à tous les maux, de donner à chacun « selon ses besoins », et de rendre tout le monde parfaitement heureux. »

Répercussions géopolitiques de la crise économique

Les alarmes de la BRI sont bien tardives. C’est il y a 30 ans qu’il aurait fallu corriger les politiques monétaires laxistes, de surendettement, le "malinvestissement".  Le point de non-retour a été largement dépassé. La récente décélération du "quantitative easing" de la Fed (passé de 85 milliards de dollars/an à 65 milliards) créé d’énormes remous : des capitaux ont déserté en masse les pays "émergents", dont la croissance ralentit. L’économie réelle américaine est anémique. Les bulles spéculatives se sont reconstituées (Bourses, immobilier…). Elles éclateront. La mondialisation a supprimé les cloisons étanches qui auraient pu ralentir la propagation des ondes de choc. Cette fois-ci, les Etats ne pourront pas éteindre l’incendie. Les répercussions géopolitiques seront terribles : flambée des fanatismes, prolifération des guerres…



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