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"Les Braises" de Sándor Márai

Par Alexandra Bourdin @bouteillemer

Embers/Les Braises de Sandor Marai (Version anglaise)

"Es-tu aussi d’avis que ce qui donne un sens à notre vie c’est uniquement la passion, qui s’empare un jour de notre corps et, quoi qu’il arrive entre-temps, le brûle jusqu’à la mort ? Crois-tu aussi que notre vie n’aura pas été inutile, si nous avons ressenti, l’un et l’autre, cette passion ? (…) Sommes-nous ridicules si nous pensons, l’un et l’autre, que, malgré tout, la passion s’adresse à une seule personne… éternellement à quelque énigmatique personne, bien définie, qui peut-être bonne ou mauvaise, indifféremment, puisque l’intensité de notre passion ne dépend aucunement de ses actes ni de ses qualités ?

Synopsis

Les Braises raconte l’histoire de la mort d’une passion et d’une amitié mourante entre deux amis d’enfance aussi opposés de condition que de caractère, arrivés à la fin de leur vie  Si le Général, l’hôte, est riche, généreux et patriotique, Conrad, l’invité, est désargenté, cynique et individualiste. Sur fond de Seconde guerre mondiale, leurs retrouvailles, qui ne dureront que vingt-quatre heures dans un huit-clos, retracent leurs deux vies au long de l’espèce d’interrogatoire auquel Conrad est soumis sous la pression du Général. Ce long dialogue pleins de non-dits et de coups de théâtre devient psychologique et philosophique, laissant les vieux sages s’interroger sur l’amitié, l’amour, le destin mais aussi la trahison pour mieux cacher les vraies questions de leur histoire personnelle. Le feu de leur amitié est-il vraiment éteint ? Quels secrets se cachent derrière les braises ?

Ce roman fait partie de mes coups de coeur cette année alors faute d’avoir pu le chroniquer, j’en profite pour le mettre à l’honneur avec ce nouveau Un mois, un extrait après des mois d’absence sur ce blog de ce rendez-vous.

Qu’est-ce qu’"Un mois, un extrait" ?

Logo – Un mois, un etrait

C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ». Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !
"Dans les épisodes précédents", "Un mois, un extrait" a fait découvrir
#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI #2: Le Problème de la souffrance. de C.S LEWIS #3: La triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires de Tim BURTON. #4: "Éclaircie en hiver" in Pièces de Francis PONGE #5: "Un plaisant" in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE  #6: Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST  #7: De profundis d’Oscar Wilde #8: Look Back in Anger de John Osborne  #9: Poésie d’Anne, Charlotte, Emily & Branwell Brontë   Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique "Un mois, un extrait" en haut de page. Si vous voulez participer avec moi à ce rendez-vous de partage ou si  vous avez un conseil de lecture particulier, contactez-moi à l’adresse bottleinasea[at]gmail.com ou à l’aide des commentaires ci-dessous.

Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész

J’ai découvert avec ce roman la littérature hongroise et je crois vraiment que c’est une merveilleuse façon de commencer. L’an dernier, j’ai acheté beaucoup de romans hongrois d’après les conseils d’une amie d’origine hongroise et ancienne prof d’anglais de mon lycée. Si ma première expérience avec Imre Kertész a été assez éprouvante quant au sujet du livre, mais aussi le style très philosophique, Les Braises est un roman très abordable qui, à sa manière, m’a beaucoup fait penser à Mrs Dalloway à cause du temps de l’action très bref, qui ne retrace qu’un jour dans la vie de deux hommes vieillissants tout en revenant sur leur passé.

Ma PAL hongroise

Sandor Marai

Comme vous le voyez, j’ai encore un autre Márai à lire, L’Héritage d’Esther dont j’ai lu plusieurs critiques plus que positives ce mois-ci comme chez  Shelbylee. Avant de lire Les Braises, je ne connaissais pas cet auteur, même de nom. Traducteur de Kafka en hongrois, témoin de l’Histoire et de la montée des totalitarismes, exilé en Italie et aux Etats-Unis à cause de ses idées incompatibles avec le régime communiste hongrois d’après-guerre, il finira par se suicider en 1989 après la mort tragique de ses proches. Son destin, même triste, me semble intéressant littérairement car son expérience et sa vie lui ont inspiré une oeuvre profonde, pleine de questionnements qui m’ont touchés dans Les Braises. Je ne sais pas à quel point ses romans sont autobiographiques ou non mais j’y ai senti beaucoup de personnalité et beaucoup d’âme.

C’est dommage que cet auteur soit resté inconnu de son vivant en France et seulement traduit dans les années 90 mais je pense qu’il gagne vraiment à être connu et lu. Comparé à Stefan Sweig et Arthur Schnitzler, j’ai personnellement hâte de continuer à connaitre son oeuvre; Sans être foncièrement novateur, son style est tellement fluide que la lecture vous emporte. C’est bien simple, je n’ai pas pu lâcher Les Braises. Les personnages semblent si proches grâce à une psychologie très développée et en même représentatifs d’une société mourante, de la fin d’une ère à la manière du Guépard de Lampedusa.

Mais c’est surtout le style et le thème de la vengeance, de la nostalgie et de l’amitié qui m’ont vraiment transportés. Même si on est invité à suivre principalement le point de vue du Général, le personnage de Conrad, très ambigu moralement, ne vous laissera pas indifférent. C’est d’ailleurs le passage qui suit que je vous invite à lire qui me l’a fait aimé. On y découvre pendant un flashback sur la naissance de leur amitié sa passion pour la musique et pour Chopin. Les mots sont très justes alors forcément, j’étais perdue.

Les Braises de Sándor Márai, extrait du Chapitre VI

Traduction (de l’hongrois) : Marcelle & Georges Regnier
Edition : Livre de Poche, p. 48-49.

« Pourtant, Conrad disposait d’un refuge, d’une retraite cachée, où le monde ne pouvait l’atteindre : la musique. (…) Toute musique le touchait comme un coup porté à son corps. Elle lui communiquait des émotions dont les autres ne pouvaient avoir la moindre idée. Sans doute ne s’adressait-elle pas seulement à son cerveau. L’existence de Conrad s’écoulait selon les règles sévères de son éducation, règles qu’il avait acceptées librement, comme un croyant accepte de faire pénitence et, au prix de cette discipline, il avait atteint un certain rang dans le monde. Mais, dès qu’il entendait de la musique, son attitude raide et crispée paraissait se détendre, comme lorsque dans l’armée, après une longue et fatigante parade, retentit soudain le commandement : repos. À ce moment-là, il oubliait son entourage. Le regard fixe, brillant, il ne voyait plus ses supérieurs ni ses condisciples, ni les jolies femmes autour de lui.

La musique il l’écoutait avec son corps. Il l’absorbait, comme assoiffé. Il l’écoutait comme le prisonnier écoute le bruit des pas qui approchent et apportent, peut-être, la nouvelle de la délivrance. Il n’entendait plus rien d’autre, tout disparaissait, absorbé par la musique. Dans cet état, Conrad n’était plus militaire.

Un soir d’été, la mère d’Henri et Conrad exécutaient un morceau à quatre mains. (…) La comtesse et Conrad jouaient avec passion. Ils interprétaient Chopin avec un tel feu que, dans la pièce, tout paraissait vibrer. Tandis  que dans leur fauteuil le père et le fils attendaient avec courtoisie et résignation la fin du morceau, ils comprenaient qu’une véritable métamorphose s’était opérée chez les deux pianistes. De ces sonorités, une force magique s’échappait, capable d’ébranler les objets, en même temps qu’elle réveillait ce qui était enfoui au plus profond des coeurs. Dans leur coin, les auditeurs polis découvraient que la musique pouvait être dangereuse en libérant un jour les aspirations secrètes de l’âme humaine. Mais les pianistes ne se souciaient pas du danger. La "polonaise" n’était plus que le prétexte à l’explosion des forces qui ébranlent et font crouler tout ce que l’ordre établi par les hommes cherche à dissimuler si soigneusement. Un accord plaqué avait brusquement terminé leur jeu. Ils restèrent assis devant le piano, le buste tendu et quelque peu rejeté en arrière. Il semblait que tous deux, après avoir lancé dans l’espace les coursiers fougueux d’un fabuleux attelage, tenaient d’une main ferme, au milieu d’un déchaînement tumultueux, les rênes des puissances libérées. Par la croisée, un rayon de soleil couchant pénétra dans la pièce et, dans ce faisceau lumineux, une poussière dorée se mit à tournoyer comme soulevée par ce galop vers l’infini.
Comment lire Les Braises

Les Braises de Sandor Marai

Les Braises de Sandor Marai

Lu en Livre de Poche

EUR 6, 10

J’espère que cet extrait vous donnera envie de lire ce beau roman ou de (re)découvrir  Sandor Marai. Rendez-vous à la mi-août pour lire un nouveau Un mois, un extrait ! En attendant, n’hésitez pas à me soumettre des idées d’extraits à lire !

Lu pour le challenge "Autour du monde" chez Matilda


Classé dans:Les Braises, Littérature hongroise, Sándor Márai, Un mois un extrait Tagged: amitié, Braises, Hongrie, Les Braises, littérature hongroise, rendez-vous littéraire, Sandor Marai, Seconde guerre mondiale, totalitarisme, trahison, triangle amoureux, un mois un extrait, vengeance

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