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"Pas du tout Venise" de Virgile Elias Gehrig

Publié le 29 juillet 2014 par Francisrichard @francisrichard

Qui n'est jamais allé à Venise ne sait pas que c'est le paradis sur Terre:

"Une telle lumière , la mer, une telle odeur qui monte du ventre de la terre, la vue toute dégagée qui s'ouvre sur de tels paysages, stoppée par rien du tout, sur les trois cent soixante degrés tout alentour, et la pureté de l'air, la transparence royale du ciel, vraiment génial, enfin un lieu, un vrai chez-soi, une authentique patrie, un territoire où le bonheur paraît encore possible, comme à portée de main, extraordinaire vraiment!"

Le roman de Virgile Elias Gehrig, pseudo de Virgile Pitteloud, en hommage à sa mère née Gehrig, ne se passe pas du tout dans ce paradis.

A peine rentré de là-bas, un jour de novembre, Tristan a reçu un appel téléphonique et a dû se rendre aussitôt à la Clinique Hospitalière des derniers jours, où sa mère, Vive de son prénom, Hoffmann de son patronyme, est agonisante et où l'attendent son père, sa soeur, son frère aîné et son frère cadet:

"C'est pas du tout Venise, ni le coeur de l'été. Il fait nuit, il fait froid, il pleut, le vent rugit. On est ici tout seul et c'est bientôt l'hiver."

Tristan a séjourné une semaine à Venise avec Laetitia qu'il a rencontrée en hiver:

"La figue charnue et juteuse de sa bouche, la lavande de ses yeux, le blé flottant de ses cheveux, son corps, tout son corps chaud a dispersé en un instant l'hiver, le mauvais vent."

Laetitia, à qui il ne s'est pas adressé quand elle est partie...

Pour se rendre sur place, il a pris un taxi et emporté une "sacoche, remplie de livres, de mots ", comme est rempli de mots ce livre au souffle lyrique.

Quels livres?

"Les Mots, Les Mouches, Voyage au bout de la nuit  et La Promesse de l'aube"

En outre sa sacoche est remplie de feuilles et de stylos...

Car, s'il aime lire, s'il aime les mots, Tristan écrit à son tour, de tout son être, corps et âme, pour être lu sans doute un jour par d'autres:

La phrase qu'on tresse précède de loin la main, elle monte du ventre, du coeur, de la mémoire, franchit l'épaule, dépasse le coude, descend jusqu'au poignet, passe par les doigts qui la recousent, l'apprêtent, avant d'être confiée à d'autres coeurs, d'autres yeux et poignets, d'autres mains."

Une fois arrivé à l'entrée de l'hôpital un voyage initiatique commence pour Tristan à travers les couloirs sans fin de l'établissement, au cours duquel les anciens mythes ressuscitent, Sisyphe, Oedipe, Thésée:

"On accoste la terre, royaume et palais de Minos, on visite le parc et les jardins du labyrinthe, on fait la connaissance d'Ariane, on joue Thésée qui s'amourache, on marche dans le dédale à la rencontre du monstre."

Quand sa mère meurt, elle est Eurydice et lui Orphée, qui renaît après son dernier chant:

"On naît une première fois en sortant de sa mère. Une seconde fois lorsque c'est elle qui sort du monde. On ne devient peut-être un homme, un vrai, achevé et vivant, qu'à cette seconde précise."

Tout au long de ce voyage, conscient de l'impossibilité des retours et empreint de leur nostalgie, il se souvient:

"Se souvenir, se souvenir, ce n'est certainement pas le meilleur de nos biens, mais c'est tout de même un bien. Une béquille pour boiteux, un palliatif pour incurables."

Et il s'en veut de préférer à la tendresse d'une mère "le tapage de la féminité, le clinquant éphémère des dentelles, du mascara, du rouge à lèvres, le tape-à-l'oeil de la passion qui se répand, s'étale, se précipite, gonflée comme une baudruche de silicone, un parasite dévastateur, une tumeur qui grossit, les flashs, les feux follets, les étincelles qui s'éteignent aussi vite qu'elles s'allument"... N'est-ce pas la trahir?

Dans Pas du tout Venise, il est donc question de l'amour et de la mort, qui ne diffèrent que par une seule lettre, de commencement et de fin, qui se rejoignent, d'émerveillement et de désespoir, qui sont l'un comme l'autre déchirure.

Aussi ce roman, édité en 2008, réécrit pour la présente édition de 2014, ne raconte-t-il pas vraiment une histoire. L'auteur en prévient le lecteur dès les premières pages:

"C'est l'histoire d'une histoire qui n'a pu commencer, d'une histoire qui s'achève."

C'est plutôt, à sa façon, à la fois antique et moderne, un hymne à la mort, à la vie, dont il faudrait, pour bien faire, cueillir dès aujourd'hui les roses, comme le conseillait Pierre Ronsard à son Hélène:

"S'il existe un seul péché contre la vie, c'est bien moins d'en désespérer que d'espérer une autre vie et le vice capital, l'unique blasphème serait alors peut-être de se dérober à sa précieuse fragilité, à sa grandeur."

Francis Richard

Pas du tout Venise, Virgile Elias Gehrig, 248 pages, Poche Suisse - L'Age d'Homme


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