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Médicaments : à quand un juste prix ?

Publié le 30 juillet 2014 par Blanchemanche
JEAN-PIERRE VERNANT PROFESSEUR ÉMÉRITE D'HÉMATOLOGIE HÔPITAL DE LA PITIÉ-SALPÊTRIÈRE
 24 JUILLET 2014
Photo illustrant des médicaments dans un caddy, décembre 2013.
Photo illustrant des médicaments dans un caddy, décembre 2013. (Photo : JOEL SAGET.AFP)
En France, on estime à plus de 230 000 les porteurs chroniques du virus de l’hépatite C responsable chez certains d’entre eux de cirrhoses et de cancers du foie. Le meilleur traitement jusqu’alors disponible, combinant interféron et ribavirine, est mal toléré et surtout au terme d’au moins six mois de traitement n’offre que chez moins de la moitié des patients traités des résultats satisfaisants. Compte tenu de cela et en se basant sur le rapport bénéfice/risque, seuls les malades les plus gravement atteints sont sélectionnés pour bénéficier de ce traitement.Récemment de nouvelles molécules très efficaces sont apparues, notamment le sofosbuvir, autorisé en France depuis quelques mois. On peut espérer que ce produit permettra la disparition du virus de l’hépatite C chez plus de 95% des malades en moins de trois mois et avec, a priori, une bonne tolérance. Malheureusement, les exigences du laboratoire Gilead, qui produit le sofosbuvir, laissent prévoir un prix de 50 000 à 70 000 euros pour la cure. On peut donc craindre que, compte tenu du rapport coût/bénéfice, les critères de sélection des malades qui bénéficieront de ce nouveau traitement soient les mêmes que ceux retenus pour l’ancien traitement pourtant beaucoup moins efficace. En conséquence, les malades moins gravement touchés par le virus devraient attendre de voir leur état s’aggraver pour être traités.Pour la première fois en France, un traitement efficace pourrait ne pas être prescrit à certains malades pour des raisons uniquement financières. Heureusement, des initiatives d’associations de malades et une offensive des pouvoirs publics français, rejoints par 14 partenaires européens mobilisés contre ces prix jugés excessifs par les budgets de santé, laissent espérer une diminution des prix et la possibilité de traiter rapidement un plus grand nombre de malades.Les mêmes prix exorbitants sont demandés par l’industrie pharmaceutique pour la plupart des nouveaux traitements du cancer. Ainsi en est-il de l’imatinib, utilisé depuis plus de treize ans pour traiter la leucémie myéloïde chronique, affection qui touche environ 1 000 nouveaux malades par an en France. Ce traitement très efficace coûte annuellement à l’assurance maladie 27 000 à 40 000 euros par malade selon la dose utilisée. Les plus grandes revues de médecine internationales se sont offusquées du prix excessif de ces innovations thérapeutiques. Une publication dans la revue américaine Blood, signée en avril 2013 par une centaine d’onco-hématologues d’une quinzaine de pays, rappelait que sur douze nouveaux médicaments du cancer mis sur le marché aux Etats-Unis, en 2012, onze coûtaient plus de 100 000 dollars par malade et par an. Le risque est grand que dans les années à venir les progrès de la thérapeutique soient tels que nous soyons capables de guérir la plupart des malades mais que nous ne puissions assumer les coûts des traitements.Comment l’industrie pharmaceutique justifie-t-elle de tels prix ? Elle argue des coûts de la recherche et du développement de ces nouvelles molécules. Or, on sait que la recherche ne représente en moyenne que 5% du chiffre d’affaires des firmes pharmaceutiques et que le développement nécessaire pour parvenir à l’obtention des mises sur le marché s’élève à 10% de ce même chiffre d’affaires. En outre, précisons qu’une partie de plus en plus importante de la recherche de ces nouvelles molécules destinées au cancer est, en réalité, prise en charge par la recherche académique qui met en évidence et fournit aux industriels les cibles à atteindre par ces nouvelles molécules. Si la recherche et le développement représentent au maximum 15% du chiffre d’affaires des firmes pharmaceutiques, ce sont 20% à 25% qui sont consacrés à la publicité et au marketing. De toutes les industries, c’est l’industrie pharmaceutique qui dégage les marges bénéficiaires les plus importantes. Ainsi, en France, en 2012, la marge bénéficiaire de l’industrie pétrolière (Total) était de 7%, celle de l’industrie du luxe (LVMH) de 12% et celle du plus important laboratoire pharmaceutique (Sanofi) de 23%. On peut se poser la question de savoir s’il est normal que le consommateur malgré lui qu’est le malade génère plus de bénéfices que le consommateur des produits de luxe.Le juste prix d’un médicament devrait être déterminé au terme de négociations entre les pouvoirs publics et les industriels producteurs, négociations qui devraient tenir compte des dépenses de recherche et développement effectivement engagées et d’une marge bénéficiaire raisonnable, déterminée par avance. L’industriel pourrait conserver, jusqu’à son terme légal, le brevet du produit mais, une fois les sommes convenues engrangées, devrait poursuivre la commercialisation du produit avec les marges dont disposent habituellement les producteurs de génériques. Accepter, ainsi, un juste prix des innovations thérapeutiques témoignerait que l’objectif principal de l’industrie pharmaceutique est bien prioritairement l’amélioration de la santé des populations et non l’amélioration des retours sur investissements à ses actionnaires.Jean-Pierre VERNANT Professeur émérite d'hématologie hôpital de la Pitié-Salpêtrière

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