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JAURÈS : Pour le repos hebdomadaire

Publié le 03 août 2014 par Despasperdus

Mes amis blogcheviks et d'autres ont dénoncé la récupération de Jaurès par l'extrême droite (et déjà sous l'occupation), la droite (avec Sarkozy dès 2007) et le PS. Les "socialistes" ont opéré un complet retournement de veste sur la question du repos dominical, de sa défense quand ils étaient dans l'opposition au désir de le détruire depuis qu'ils sont au pouvoir, ce qui ne les a pas empêché de défiler au café du croissant, cette semaine, chacun citant une phrase de Jaurès retirée de son contexte et du texte d'origine...

La manœuvre est particulièrement grossière de faire croire que Jaurès aurait soutenu la politique de régression sociale de Hollande, comme si les principes idéologiques étaient dotés d'une souplesse et d'un relativisme leur permettant d'évoluer jusqu'à combattre aujourd'hui ce qu'ils revendiquaient hier !

S'agissant du repos hebdomadaire pour tous le même jour, voici l'article intégral de Jean Jaurès, publié dans L'Humanité du 28 octobre 1906, qui est à l'opposé de la position du "PS" d'aujourd'hui [1] :

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« Pour le repos hebdomadaire » [2]

« La loi sur le repos hebdomadaire a deux sortes d'ennemis, les uns qui lui livrent un assaut direct et qui en demandent la révision, les autres qui cherchent à la perdre par des interprétations et des atténuations qui lui enlèveraient toute efficacité. Quelques radicaux se livrent à ce jeu dangereux. Pourront-ils le soutenir devant le Parlement ? Prendront-ils la responsabilité d'une manœuvre contre une modeste conquête des salariés de tout ordre ? »

« Ils invoquent que la loi prévoit la possibilité de substituer au repos collectif, le repos par roulement. Cela est certain, et les ouvriers boulangers ont su le rappeler au patronat. Mais la loi n'a prévu le repos par roulement que là où le repos collectif était rendu impossible par la nature même de l'industrie ou du commerce en. question. En principe et comme règle, la loi établit le repos simultané, en un même jour qui est le dimanche. Elle n'a pas voulu par la consacrer « le jour du Seigneur » ; et M. de Lanessan aura beau, répéter que celle disposition est due à la coalition des cléricaux et des collectivistes, il ne trompera personne. Tous les républicains se sont préoccupés d'assurer à la classe des salariés, ouvriers et employés, un jour de repos fixe par semaine, dans les conditions qui répondaient le mieux aux habitudes de la classe ouvrière elle-même. Il y a un double intérêt pour les travailleurs à ce que ce repos soit, le plus possible, simultané. D'abord, les ouvriers trouvent plus de joie dans le repos goûté en commun, quand un même jour de relâche ou de fête permet à la famille et aux amis de se réunir. En second lieu, le contrôle est plus facile. »

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« Ce n'est donc qu'à titre tout à fait exceptionnel que la loi prévoit ou que, le repos sera fixé à un autre jour que le dimanche ou qu'il sera assuré par roulement. Elargir cette exception, en faire la règle, c'est aller contre l’esprit et la lettre de la loi, c’est en détruire l’essence même ; c'est morceler et disperser à l’infini le repos des salariés ; c'est le dépouiller de toutes les joies de la vie commune et des garanties d'un contrôle aisément exercé. Ceux des radicaux et même des radicaux-socialistes qui veulent nous entraîner dans cette voie, sous prétexte d'aider les petits détaillants, font œuvre funeste et rétrograde. Le Parlement ne les suivra pas, et les salariés de l'industrie et du commerce ne se laisseront pas arracher une loi équitable et nécessaire, conquise après de longs efforts. »

« Les plaintes du « petit commerce », devenu le pseudonyme commode de M. Marguery, sont vaines. La loi ne lèse en rien ses intérêts. On a bien vu par 1'exemple des boulangers combien cette opposition à la loi est injustifié et factice. A entendre le patronat de la boulangerie, il ne pouvait pas la supporter, et il condamnerait Paris au pain rassis plutôt que de se prêter au repos par roulement qui était demandé par les ouvriers, vu la nature spéciale de l’industrie du pain. Or, après une tentative d’une semaine, le patronat a cédé. Il a prétexté la visite du lord-maire pour masquer sa retraite ; il paraît que le pain rassis était bon pour les Parisiens, mais qu'il n'était point convenable pour nos hôtes de Londres ; et ce ne sera point un des moindres bienfaits de l’entente cordiale de nous avoir rendu le pain frais. Mais ce que les patrons boulangers déclaraient impossible, ils le pratiquent maintenant ; qui prendrait au tragique et même au sérieux des doléances si vite abandonnées ? Il n’est que d'appliquer fermement la loi. Toute cette agitation de surface tombera. »

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« Au demeurant, si les prétendus amis du petit commerce veulent vraiment le servir, ce n’est point par une abolition ou un affaiblissement de la loi du repos hebdomadaire qu’ils le pourront. S'ils veulent accroître encore les facilités d'achat de la classe ouvrière chez les petits commerçants, ils n’ont qu'à saisir l’occasion prochaine du débat sur la journée de dix heures étendue à tous les ateliers pour demander « la semaine anglaise » c'est-à-dire le demi-repos du samedi pour les ouvriers industriels. Dans l'après-midi du samedi, les ouvriers et ouvrières feront leurs achats, et la journée du dimanche sera un jour de pleine liberté pour tous.»

« En vérité, on dirait que les promoteurs radicaux de cette campagne veulent compromettre le nouveau ministère du Travail, dès ses débuts, aux yeux de la classe ouvrière. Si celui-ci inaugurait sa vie par une capitulation devant la plus injustifiable résistance, s'il livrait à des égoïsmes à courte vue une loi de protection ouvrière, il perdrait tout crédit pour l’œuvre future de législation sociale. »

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« Il est moralement et politiquement impossible qu'il commette cette faute. Les socialistes sont énergiquement résolus à maintenir, et en face du gouvernement et en face des autres partis de gauche, l’autonomie de leur doctrine, de leur propagande, de leur action. Mais ils ne s'enfermeront point dans un parti-pris d'intransigeance stérile ; ils ne se prêteront à aucune manœuvre sournoise. Ils aideront la majorité républicaine et le gouvernement, avec une bonne foie absolue, dans l’œuvre de réforme. On n'a à redouter de leur part ni taquinerie ni intrigue ni surenchère stérilisante. Mais comment ceux des radicaux qui essaient d'entraîner la Chambre et le gouvernement à déchirer une loi nécessaire ne voient-ils pas que le premier effet de leur campagne sera de mettre violemment aux prises, sur le terrain des questions sociales, socialistes et radicaux ? Ce sont eux qui, en essayant d'imposer à la majorité républicaine un mouvement de recul, menacent toute l’œuvre de demain. S'ils réussissaient à persuader le gros du parti radical et le ministère, ils rendraient impossible cette libre coopération de tous les républicains démocrates qui peut seule assurer la victoire d’une politique de réforme et la fécondité de la législature. Est-ce à nous, socialistes, qui nous bornons à demander le maintien intégral d’une loi votée par la presque unanimité des deux Chambres, qu'incomberait la responsabilité de ce premier conflit ? »

JEAN JAURÈS

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Alors militant-e-s et sympathisant-e-s "socialistes" qu'en dites-vous ? Il me semble que les idées de Jaurès sont à des années-lumière des déclarations des camarades Hollande le 14 juillet, Fabius et Pellerin...

Notes

[1] Le texte original est disponible sur Gallica

[2] j'ai souligné certains passages en caractères gras


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