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"Le Soir, Lilith": interview de l'écrivain Philippe Pratx

Publié le 07 août 2014 par Olivier Walmacq

Certes, Naveton Cinéma, le blog ciné le plus nul du net est un blog qui se consacre exclusivement au cinéma. Pourtant, aujourd'hui, c'est un livre qui nous intéresse, à savoir Le soir, Lilith de Philippe Pratx, qui est aussi le premier roman de cet auteur de talent. Philippe Pratx a bien voulu nous parler de son roman et nous livre donc une interview particulièrement intéressante.

Naveton Cinéma: Bonjour Monsieur Philippe Pratx, pouvez-vous nous présenter votre premier roman, intitulé Le Soir, Lilith ?

Philippe Pratx: Ce premier roman, qui est publié sept ans après un double recueil de nouvelles et poésies - Lettres de Shandili, suivies du Devîsadangeï -, est le fruit d'une très longue gestation. Lentement mûri dans les laboratoires imaginatifs, il est conçu comme une sorte de puzzle dont le lecteur courageux ne pourra reconstituer le dessin qu'au terme d'un parcours difficile et tortueux.
Roman inclassable, entre noirceur, psychologie, fantastique et poésie, 
Le Soir Lilith est - peut-être - à la fois une réflexion sur la misère de la condition humaine, une enquête et une quête à la recherche de la figure emblématique de Lilith, un hommage à l'art et, singulièrement, au cinéma muet... Bien d'autres choses encore, sans pourtant jamais devenir fourre-tout... Si l'intrigue se dérobe, l'ambiance qui enveloppe et envoûte le lecteur, elle, invite au contraire celui-ci à s'attarder en ses territoires déroutants... Une expérience...

Naveton Cinéma: Même si vous nous avez décrit en grande partie l'ambiance du livre, pouvez-nous résumer en quelques lignes l'histoire ?

Philippe Pratx: Il est ardu de résumer une "histoire" dont la conception n'est en rien linéaire. Disons, pour faire simple, que le roman met en scène un narrateur, écrivain vieillissant, qui, dans les années '60, entreprend d'écrire une biographie de Lilth Hevesi. Celle-ci, star du cinéma muet américain au début des Années Folles, est décédée dans sa Hongrie natale quarante an plus tôt, jeune encore, dans des circonstances quelque peu étranges. Le narrateur a été un intime de la vedette. Une singulière journaliste vient également à la rencontre de l'écrivain dans le cadre d'une enquête qu'elle mène de son côté sur Lilith, dans le dessein de rédiger un article à l'occasion des quarante ans de sa disparition... 
Le lecteur est donc amené à d'incessants allers-retours entre les deux époques, tout en se trouvant confronté à des documents divers : extraits du journal intime de Lilith, lettres, évocation des films dont elle a été la vedette, coupures de presse...

Naveton Cinéma: Quelles ont été vos sources d'inspiration pour écrire ce roman ?

Philippe Pratx: Bien sûr, la question est incontournable... Un roman étrange tel que Le Soir, Lilith est de ceux qui font naître chez nombre de lecteurs l'hypothèse - évidente à leurs yeux - qu'il ne peut-être que le fruit de délires artificiels. Je suis enseignant, professeur de Lettres... Face à de telles pages, les élèves portent généralement un jugement aussi goguenard que définitif : "L'auteur a fumé !" De Baudelaire à la Bit Generation, de Michaux à Andrés Caicedo (un écrivain colombien que je viens de découvrir), la pratique est bien sûr depuis longtemps "officialisée"...
Pourtant, le recours à de telles pratiques dans le but d'y puiser une inspiration originale m'a toujours paru n'être qu'un surprenant aveu de faiblesse, un manque de clairvoyance, et de confiance dans les extraordinaire capacités e la créativité humaine... L'observation, active ou passive, des mondes qui nous entourent et nous habitent, la richesse démesurée de notre vie mentale et spirituelle... N'est-ce pas largement suffisant pour alimenter et réalimenter sans cesse l'inspiration d'un artiste ? 
Pour ce roman, ma plume s'est nourrie, entre cent autres, du cinéma muet, bien sûr, notamment le cinéma expressionniste, des tableaux de Paul Delvaux, de surréalisme, de fantastique et de psychanalyse, d'un vécu personnel, "réel" ou "imaginaire"... La remise en cause des frontières entre ces deux notions ou univers est, du reste, une des clés probables du livre...


Naveton Cinéma:
Puisque vous évoquez le cinéma muet, l'expressionnisme ou encore le surréalisme parmi vos références, quels sont les films qui vont ont marqué et pourquoi ?

Philippe Pratx: Je me contenterai d'évoquer les films muets, même si, bien sûr, mes pratiques de cinéphile peu expert sont loin de se limiter à ce modèle. Du cinéma muet, le grand public d’aujourd’hui sait peu de choses, et si quelques figures surnagent encore, il s'agit le plus souvent de comiques, avec bien évidemment le grand Chaplin en figure de proue... The Artist et son succès mondial ont bien su momentanément redonner une certaine visibilité au Septième Art des années 20, mais de façon finalement un peu convenue, un peu trop sage et un peu pâle, encore que très plaisante. Ce n'est pas vers ces directions que vont mes préférences. Certes j'évoque le film Charlot et le Masque de Fer dans mon roman, mais le reste de la filmographie de Lilith est purement fictif.
Je parlais d'expressionnisme, oui... Un film tel que le Nosferatu de Murnau est un modèle du genre à mes yeux. Werner Herzog ne s'y est pas trompé lorsqu'il a décidé de le reprendre plan par plan dans un hommage plein de dévotion. On pourrait bien sûr aussi citer des films de Fritz Lang, ou encore le très beau Cabinet du docteur Caligari, de Robert Wiene. 
L'art nait de contraintes, disait Gide... Le cinéma muet, avec ses limites techniques - un matériel de tournage peu performant et très incommode d'utilisation, l'absence de couleurs et de son, etc. - a été par la force des choses extrêmement contraignant. Les réalisateurs et les techniciens ont tout inventé, se sont joué des obstacles avec souvent des trésors d'inventivité... Toute la production de l'époque n'est pas constituée de chefs-d’œuvre, loin de là, mais les meilleurs ont su atteindre des sommets de poésie, de beauté, avec quelque chose d'envoûtant dont le charme ne sera jamais retrouvé par tous les effets spéciaux si magnifiquement mais froidement proposés par les grosses productions d'aujourd'hui. Le cinéma expressionniste avait cet immense avantage artistique de pratiquer, d'assumer et de revendiquer une artificialité que l'on cherche de nos jours à masquer comme une tare, alors qu'elle est finalement l'essence de l'art... Le jeu des acteurs, à ce propos, est emblématique : l'outrance des mimiques et de la gestuelle ne sont plus de mise et feraient immédiatement crier au ridicule... Ils peuvent l'être. Mais chez les plus grands comédiens du muet, ou chez ceux que la direction d'acteur a su transcender, cela devient une pure merveille. Le clip que je propose sur le site officiel du roman (et sur Youtubehttps://www.youtube.com/watch?v=gkP4N7q-DtQ), conçu à partir de plans tirés de la filmographie de Greta Garbo, peut en donner une toute petite idée.
Puisque je parlais de Garbo, il faudrait aussi citer l'école suédoise. La Charrette fantôme de Sjöström et aussi un grand moment. Quant au surréalisme, n'oublions pas qu'il a lui aussi forcément touché au cinéma. Un Chien andalou est très connu et, c'est vrai, très marquant... Mais il existe d'autres courts-métrages expérimentaux tels que ceux de Man Ray ou La Coquille et le Clergyman, de Germaine Dulac sur un scénario d'Artaud, qui nous réservent de belles et étonnantes surprises. La rencontre des contraintes que j'évoquais et de l'esprit de liberté propre aux surréalistes donne forcément des résultats singuliers.


Naveton Cinéma:
 Puisque vous évoquez le surréalisme dans le cinéma ainsi que plusieurs exemples (notamment Le cabinet du Dr Caligari), que pensez-vous de films tels qu'Un Chien Andalou de Luis Bunuel ou encore de Viva La muerte et J'irai comme un cheval fou d'Arrabal ?
Etes-vous sensibles à des films ésotériques et surréalistes tels que La montagne sacrée et Santa Sangre d'Alejandro Jodorowsky ? Vous évoquez Fritz Lang qui était aussi un cinéaste engagé, que pensez-vous d'un réalisateur tel que Pier Paolo Pasolini et notamment de Salo ou les 120 journées de Sodome ? Enfin, tous les films cités dans ma question sont-ils des références voire même des influences à vos yeux ?

Philippe Pratx: Je n'ai pas forcément eu l'occasion de voir certains de ces films... Ma réponse sera donc partielle et sans doute décevante. Le côté délibérément provocateur d'Arrabal, des 120 journées ou d'Un Chien Andalou par exemple a bien sûr quelque chose de séduisant, ou pour le moins intrigant, tant sur le plan de la créativité artistique que sur celui de la démarche humaine. J'ai toutefois envie de dire qu'il y a, chez les surréalistes, ou encore dans le groupe Panique, parfois une systématisation de l'audace qui finit par lui enlever de son pouvoir. L'expressionnisme et - au delà de son côté excessif - ses réticences, ses pudeurs, me touche plus que l'exhibitionnisme dans lequel versent parfois certains (je n'associe pas le mot exhibitionnisme à des connotations totalement négatives cependant)...
Les films que vous citez sont donc très certainement des moments forts du cinéma, de l'art en général, mais ils ne constituent pas forcément pour moi des références que je revendiquerais spontanément. Quant à la question de l'influence... Les surréalistes et leur connaissance de la psychanalyse et de l’inconscient nous rappelleraient qu'elle doit forcément exister d'une manière ou d'une autre, à un degré ou à un autre, même si elle ne se déclare pas ouvertement.


Naveton Cinéma:
 A travers vos différentes réponses, notamment sur le cinéma, vous parlez du cinéma muet et aussi d'une certaine liberté artistique. A ce sujet, que pensez-vous des productions hollywoodiennes actuelles, des blockbusters et de tous ces remakes et adaptations qui semblent obéir à une certaine standardisation du cinéma ?

Philippe Pratx: Il n'y rien d'étonnant à ce que la dimension commerciale et industrielle du 7ème art impose sa logique économique. Après tout, le cinéma n'est justement pas seulement un art... Hollywood ou Bollywood imposent en effet, de façon plus ou moins tacite, des standards... Une contrainte supplémentaire finalement, mais souvent plus difficile à dépasser, artistiquement, que les contraintes purement techniques. La standardisation est issue des études de marché, et vise évidemment à ratisser large... La créativité en paie les conséquences. Je ne porte pas de jugement sur le phénomène... Mais il est sûr que cela pourrait faire du bien d'avoir un accès plus facile à des créations plus originales, souvent cantonnées d'ailleurs au domaine du court-métrage. Un roman comme Le Soir, Lilith est d'ailleurs propice à une adaptation cinématographique qui pourrait être très originale... Ou servir de ferment à diverses créations cinématographiques.

Naveton Cinéma: D'ailleurs, pour revenir sur votre livre, quel sera votre nouveau projet ? Aimeriez-vous un jour passer derrière la caméra et réaliser un film ?

Philippe Pratx: Les projets ne manquent pas, mais loin de moi l'idée de me transformer en réalisateur. Je n'en ai pas les capacités. Cependant la perspective de collaborer avec le milieu cinématographique pour tirer quelque chose de mon roman, comme je le disais précédemment, me tente beaucoup. Je suis très motivé par tout projet transartistique, et travailler avec des musiciens des dessinateurs ou graphistes, donner une vie multiforme à "ma" Lilith et à son univers serait pour moi une sorte d'aboutissement. 
Je travaille également sur un autre projet de roman, où le cinéma des années '20 sera encore très présent... Mais je me donne dix ans.

Naveton Cinéma: Et enfin, la question qui ne sert à rien: Pourquoi avoir fait appel à Naveton Cinéma qui est, je le rappelle, le blog ciné le plus nul du net, pour promouvoir votre premier roman ? N'avez-vous pas peur que cela puisse nuire à votre carrière ?

Philippe Pratx: Oui, je ne comprends pas moi-même ! Le risque est énorme ! Mon roman est un chef-d’œuvre et ma carrière de quinquagénaire est plus que prometteuse... Pourquoi les sacrifier ainsi ?! Le cinéma avait Ed Wood. La blogosphère a Naveton ! Il faut que Tim Burton passe par là peut-être aussi. 
Un peu d'humour ne fait pas de mal, et, même s'il est peu apparent dans mon roman, il ne manque jamais de m'insuffler un certain esprit quand j'écris. Et puis, qu'un blog consacré au cinéma accorde une place à un littéraire, est-il possible de le refuser ?


Interview réalisée par Alice In Oliver

Quelques liens utiles concernant Le soir, Lilith:

http://livropathe.wordpress.com/2014/08/01/le-soir-lilith/

http://www.indereunion.net/Lilith/


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