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Roger Frison-Roche – Premier de cordée (1941)

Publié le 11 décembre 2013 par Ellettres @Ellettres
Roger Frison-Roche – Premier de cordée (1941)
Roger Frison-Roche

Ah, Roger Frison-Roche… Quel homme ! Tout un roman, et d’ailleurs, il a souvent mis de sa vie trépidante dans ses écrits.

On reste ébahi devant sa biographie : ce petit Parisien d’origine savoyarde, orphelin de père, qui tombe tant amoureux de la montagne qu’il s’installe à Chamonix à 17 ans en 1923. Il devient un si bon connaisseur du massif du Mont-Blanc qu’il est fait guide de Chamonix (une première pour un non-Chamoniard) et crée une école d’escalade. Il est aussi journaliste. Non content d’en rester là, il parcourt le Hoggar et conquiert les sommets, il traverse le désert à dos de chameau. Juste avant la guerre, il part s’installer avec sa famille à Alger. Il est correspondant de guerre auprès des Alliés en Tunisie, est fait prisonnier par les Allemands. Il combat dans les FFI puis dans les Chasseurs Alpins. Il retraverse le désert en 2CV d’Alger à Niamey, il parcourt le Grand Nord en Laponie, au Canada et en Amérique du Nord. Il revient à Chamonix. Il participe à des documentaires, des films et des conférences et il écrit des romans… Il a traversé le XXe siècle : 1906-1999.

Avec tout ça, il est resté fidèle à la femme qu’il aimait ! La jolie skieuse Marguerite Landot, qu’il a épousée en 1930. Ils ont eu trois enfants. Moi je dis : chapeau !

La famille Frison-Roche
La famille Frison-Roche

Pour en revenir au roman Premier de Cordée est évidemment le livre qui le rend célèbre. Il sera lu par plusieurs générations successives (j’ai retrouvé deux éditions, une de 1946 lue par ma grand’mère et une de 1971 lue par mon père).

C’est une histoire qui érige la noblesse des guides montagnards à la hauteur des sommets majestueux qu’ils défient. Elle a été rédigée en plusieurs parties, publiées dans la Dépêche algérienne en 1941. Un premier film en est tiré en 1943, un deuxième en 1952. Le livre est traduit en plusieurs langues. C’est devenu LE classique de la littérature de montagne.

Frison-Roche sur l'Aiguille Rouge
Frison-Roche sur l’Aiguille Rouge

De quelle montagne s’agit-il ? Eh bien, du massif du Mont-Blanc que Frison-Roche connaît par cœur, de ses nombreux pics et aiguilles que l’on confond tant il y en a, et des habitants de la vallée de Chamonix, fidèles aux traits de certains camarades de l’auteur. On s’attache à Pierre Servettaz, un jeune homme ardent, passionné de montagne, contraint par son père de se former à l’hôtellerie. Lui aimerait devenir guide, comme son père, Jean.

Jusqu’au jour où… 

En réalité, le récit commence avec le drame qui bouleverse la vie de Pierre, de sa famille et de ses amis guides.

Je préfère ne pas en dire plus mais m’étendre sur les sentiments inspirés par la lecture de Premier de Cordée.

Il y a d’abord la découverte de la montagne. Ce livre a été le déclencheur de vocations d’alpinistes chez certains jeunes. Grandiose, dentelée, couronnée de nuages, ornées de périlleux séracs (la traîne des glaciers qui peut se détacher à tout moment sous la poussée de la glace), la montagne est au centre du récit, elle culmine dans les moments les plus intenses des courses et peut se montrer fatale même au guide le plus expérimenté. Qu’à cela ne tienne. Elle est aussi refuge pour ses habitants et leurs bêtes qui paissent dans les alpages, féerie pour les yeux, récompense du marcheur et évocation romantique de la vie des guides-paysans savoyards. J’aime égrener les noms de pics, de glaciers et de hameaux : les grands Montets, le glacier d’Argentière, l’Aiguille verte, les Drus, les Praz, le dôme du Goûter, l’Aiguille du Midi, la Dent du Géant, le Mont-Blanc du Tacul… Ils ont une musicalité rude comme le tintement des cloches des vaches.

Il y a aussi que Frison-Roche ne dédaigne pas de magnifier les grandes vertus : courage, fraternité, persévérance, abnégation, un brin d’audace, solidarité, bonté. Les personnages traversent des passes difficiles, parfois dangereuses ou tristes, mais ils s’en sortent grâce au soutien de leur entourage.

Le combat des reines, une scène marquante

Le combat des reines, une scène marquante

Il ne faut pas oublier que ce livre a été publié sous l’Occupation alors que les fondement de la "France éternelle" semblent menacés d’extinction… Le livre n’échappe pas à la morale de l’époque qui encourageait l’action et la pratique des vertus pour construire des lendemains meilleurs. Mais malgré cet aspect un peu daté et idéaliste, on vibre à l’unisson des personnages et de leurs aventures. On pleure quand Pierre pleure, on sourit quand il est en compagnie de ses amis et de sa mie, la douce Aline, on rêve quand il contemple avec nous le panorama qui s’étend à 360° et on retient son souffle quand il se mesure à la paroi glissante de la "rimaye" (coulée de neige sur un versant).

Le roman prend son rythme, lent mais sans temps mort, avec quelques dénouements inattendus, autour d’une progression du héros qui en fait une sorte de roman d’apprentissage. Je me plais à imaginer que Frison-Roche s’est identifié au jeune Pierre : même envie d’en découdre malgré les obstacles, il fut choisi comme porteur par le célèbre guide Joseph Ravanel en 1925, dont il fait l’oncle de Pierre sous le nom de Ravanat dit "le Rouge" dans le roman.

Alors oui, Premier de Cordée, avec ses cordées justement, ses cordées d’hommes (et une femme quand même)*, la simplicité de sa narration, sa puissance d’évocation, est une vraie bouffée d’air frais et un modèle assez enthousiasmant, notamment pour les "moins de vingt ans qui n’ont pas connu ce temps gna gna gna". Au lieu de pleurer avec Aznavour, planez dans les hauteurs avec Frison-Roche !

Effet post-lecture : donne une furieuse envie de prendre un aller-simple pour Chamonix.

Si vous voulez en savoir plus sur le vrai personnage de l’histoire, vous pouvez lire son autobiographie, Le Versant du soleil, et regarder le documentaire réalisé par deux jeunes Chamoniards en compagnie des proches de l’auteur : La Piste Frison-Roche (je n’ai ni lu l’un, ni vu l’autre, donc je ne peux pas en dire plus).

La Piste Frison-Roche

La Piste Frison-Roche

* N’oublions pas que les femmes furent au cœur des odyssées alpines des deux derniers siècles ; elles sont d’ailleurs au centre du roman qui fait suite à Premier de Cordée : La Grande Crevasse. 



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