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Autoédition : la comparaison USA/France est-elle pertinente ?

Publié le 23 août 2014 par Thibaultdelavaud @t_delavaud

Cet article est en partie un complément à mes articles L’autoédition a-t-elle de l’avenir ? où l’on m’a reproché de ne pas m’inspirer suffisamment de l’exemple américain. Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que je pense que cette comparaison est dangereuse : je ne suis pas vraiment certain que l’on compare ce qui est vraiment comparable.

Lorsqu’on essaye de prédire la situation future de l’autoédition en France, beaucoup s’appuient sur l’exemple sur les États-Unis. Il est en effet très tentant de penser que la France devrait « rattraper son retard » compte tenu de la situation enviable de l’autoédition aux États-Unis, puisque celle-ci est beaucoup plus développée outre-Atlantique.

Je risque d’être encore accusé de pessimisme mais je crains que cette prédiction soit erronée pour un certain nombre de raisons.

Des traditions littéraires différentes

En France, la littérature occupe une place particulière au sein de la culture : elle est admirée et sacralisée. Les prix littéraires, l’Académie Française et les maisons d’édition prestigieuses sont autant de preuves du statut privilégié de la littérature en France. Un livre n’est pas un produit (culturel) comme un autre pour beaucoup de Français et un livre se doit d’être noble et d’une qualité irréprochable. Cette conception, hautement respectable, est un frein majeur au développement du numérique et de l’autoédition (voir également mon article Pourquoi l’autoédition ne décolle pas en France ?).

« La conception française de la littérature est un frein majeur au développement du numérique et de l’autoédition »

Frères Goncourt

Les frères Goncourt

En revanche, aux États-Unis, la littérature, loin d’être méprisée, se veut beaucoup moins élitiste et on accorde plus d’importance à l’expérience de la lecture qu’en France (de manière un peu caricaturale, en France, c’est le livre qui est important, pas la lecture, aux États-Unis, c’est l’inverse). Pour les Américains, le confort du lecteur est très important (ce n’est pas pour rien que la liseuse Kindle a été inventée aux États-Unis et que ses perfectionnements au fil des années n’ont fait que rendre la lecture la plus agréable possible). Plus important, il y a beaucoup moins de réticence aux États-Unis à associer la littérature à une démarche commerciale. Le livre est un produit comme un autre et donc on peut le vendre comme n’importe quel produit. Dans ces conditions, le numérique et l’autoédition peuvent facilement prospérer. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a davantage de gens qui lisent aux États-Unis qu’en France : cet article souligne le dynamisme de la lecture aux États-Unis alors que les données de l’INSEE indiquent qu’en 2012, seuls 57% des Français avaient lu au moins un livre ces douze derniers mois.

« Le marché américain est un terreau fertile pour le développement de l’autoédition et son essor »

Des marchés non comparables et une relation différente avec Amazon

Évidemment, le marché américain est bien plus important que le marché français. Avec une population de 300 millions d’habitants et le renfort des Britanniques, des Canadiens et de tous les anglophones, le marché anglophone du livre (dominé par les États-Unis) est sans commune mesure avec le marché francophone. Dès lors, il existe un dynamisme très important en termes d’offre, de demande, d’innovation et d’échanges (forum, blogs etc.). Il y a donc là un terreau fertile pour le développement de l’autoédition et de son essor, un développement plus important et plus rapide qu’en France. Car il ne s’agit pas d’un simple retard de la France dans ce domaine : l’autoédition française peut se développer et grandir mais ce sera avec un dynamisme bien moindre et surtout elle sera probablement toujours tributaire de l’autoédition américaine, condamnée à tenter de l’imiter, avec succès ou pas.

La législation et le cadre juridique jouent également un rôle essentiel. En France, la loi sur le prix unique du livre ou loi Lang (voir page Wikipédia) contribue à figer le secteur de l’édition et à le rendre moins dynamique (les ebooks sont également concernés par ce dispositif) alors qu’une telle loi n’existe pas aux États-Unis. De plus, Amazon, à la pointe du développement des ebooks et de l’autoédition, est perçu en France comme un ennemi, un danger. On se méfie grandement du géant américain, à tel point que l’on vote des lois « anti-Amazon » à l’Assemblée Nationale. L’actuelle guerre entre Hachette et Amazon n’est qu’un nouvel épisode des relations tendues entre Amazon et l’Hexagone. Amazon est également critiqué aux États-Unis, notamment à cause de son optimisation fiscale et de ses penchants monopolistiques mais Amazon n’est pas entravé ni sous la surveillance des pouvoirs publics, comme l’entreprise l’est en France (la ministre de la Culture en personne, Aurélie Filippetti, prend position contre Amazon de manière quasi-systématique).

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Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et anti-Amazon convaincue

La figure du self-made-man compatible avec celle de l’écrivain autoédité

La dernière différence, et qui n’est pas la moindre, réside dans le statut même de l’auteur autoédité. Aux États-Unis, l’auteur autoédité est vu comme un self-made-man, c’est-à-dire quelqu’un qui s’est construit et qui a appris tout seul, qui est parti de rien et qui parvient à gagner sa vie (voire être millionnaire). Or, le self-made-man est le symbole de la réussite pour les Américains alors qu’en France, si les self-made-men sont reconnus, on reste méfiant à leur égard et entrepreneuriat n’est pas autant encouragé et valorisé qu’aux États-Unis. La réussite se juge davantage en France sur les diplômes et la profession exercée. C’est pourquoi l’auteur indépendant est perçu par les Français comme un écrivain raté ou un « sous-écrivain ». Pour beaucoup, un auteur indépendant n’est pas suffisamment bon pour être publié par une maison d’édition et il essaye de refourguer coûte que coûte son manuscrit sur Internet. Un vrai écrivain se doit d’écrire seulement de la littérature noble et de ne pas gagner d’argent. Il n’y a qu’à voir comment sont moqués les auteurs comme Marc Lévy, Guillaume Musso, Anna Gavalda et autres…

Portrait Hugh Howey

Hugh Howey, auteur de Silo, immense succès d’autoédition aux États-Unis

Au final, il n’est donc à mon sens pas tout à fait pertinent de comparer la France et les États-Unis dans le domaine de l’autoédition. Si l’on peut s’attendre à une évolution similaire et de manière mécanique sur certains points (augmentation du nombre d’ebooks vendus, hausse du nombre d’auteurs indés etc.), il est très difficile d’affirmer que l’autoédition en France sera aussi mature, structurée et reconnue qu’aux États-Unis. Cela sera peut-être le cas (et je l’espère !) et seul l’avenir nous le dira.


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