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Dans ma cabane une platine # 29

Publié le 26 août 2014 par Euphonies @euphoniesleblog

 

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Dans ma cabane une platine # 29

« Faire une bonne compilation de rupture, c'est pas évident. Faut du temps. Faut ouvrir avec un titre de folie pour accrocher. Puis faut monter d'un cran, mais faut pas s'essouffler, donc faut baisser d'un cran. Y a plein de règles. »

Tous ceux qui ont lu Hornby et qui se sont trouvés dans son univers auront reconnu l’une des citations les plus populaires d’High Fidelity. Faire une compil, à l’époque de Rob, c’était d’abord grâce à l’invention miraculeuse de la cassette audio. Un petit boitier renfermant une bande vierge enregistrable, promesse d’infinis mélanges musicaux, pour soi-même ou pour une personne, une occasion particulière. Pour des passionnés de Pink Floyd, des Cramps, de Supertramp ou d’Higelin, chaque nouvelle cassette pas encore déballée devenait ainsi l’univers illimité de désirs, de perfection organisée, avec parfois une angoisse comparable à celle de la page blanche. Mais contrairement à l’écriture, le support se limitait à 60 ou 90 mns. Comme si pour un entretien d’embauche, un CDI (Compilation Désirable Immédiatement) on vous disait : voilà, tu as une heure / une heure et demi pour faire tes preuves. Impressionne-nous. Bien sûr certains qui achetaient des BASF ou des SONY Ferro-Chrome par paquets de dix au supermarché du coin s’en foutaient complétement. Pour eux, entassement, duplication, mais pas de compilation au sens de Rob Gordon, le disquaire précité. Et qui pourrait les blâmer ? Le papier servait aussi de liste de courses, non ?

Après le support a changé, passant du cd à la dématérialisation, facilitant les suppressions, les interversions, les replacements. Offrant un boulevard aux névrosés de l’ultime alchimie, de l’absolue perfection du crime en 12, 50 ou 200 morceaux. (« Top 5 des meilleures chansons pour un enterrement !!! » ou la preuve par l’obsession décalée, toujours dans High Fidelity). Certains regardent ces compilateurs fêlés comme des ados attardés sans hésiter par ailleurs à lever les bras sur David Guetta. Alors que finalement il n’y a qu’un pas entre compositions maison et sets nocturnes. Pour parler de vrais artistes, je ne peux imaginer que les 2 Many Dj’s ou anciennement Jive Bunny (vous vous souvenez ?) n’ont jamais eu les yeux qui piquent à structurer tard dans la nuit une compil qui leur plaise. 

Et puis si la page a changé, le principe reste le même pour les aficionados : comme le dit Rob, il y a plein de règles. Sauf que les règles varient d’un auditeur à l’autre, d’un sujet de compil à l’autre. Lui parle d’une réunion de titres pour une rupture ( et cette folle idée que quinze chansons peuvent faire revenir quelqu’un. Enfin oui pourquoi pas après tout ? ) Et dans ces cas-là il y a des règles, personnelles, intimes, de connivence. Le sens du titre, le texte, l’émotion du morceau, les interactions implicites. Consécution et conséquence. On ne fait pas une compil à un ami, une amie, une cousine ou un amoureux de la même façon. Mais une chose est sûre, quelque soit le destinataire, on n’enchaîne pas le Te Deum avec la Zoubida,  On choisit la meilleure qualité de son possible. On percute au début, on temporise, on laisse croire au naturel des successions, et on termine par une chute. On suit une ligne directrice, et on ne se précipite pas. Comme tout poème, tout est question de choix, de rythme, de sonorités, de signification. Et de temps. Trop vite fait c’est source de regrets. Trop tardif, ça ne communique plus rien.

 L’art de la compilation, c’est aussi une affaire de correspondances. Entre les chansons certes. La fin d’un la mineur embrassé par un do majeur. Mais aussi entre celui qui compose et celui qui reçoit. Entre le temps où elle se fait et où elle s’écoute. La compilation qu’on fait pour quelqu’un, désolé pour le cliché, c’est un peu une bouteille à la mer, ou plus pragmatique, un C.V, une lettre d’amitié, d’amour, un message qui passe par la poésie inouïe de la vibration sonore.

Et comme toute affaire de communication, il peut y avoir beaucoup de malentendus, de parasitage. Ne rêvons pas, la compilation voulue parfaite bien souvent échoue. Trop courte ou trop longue, une anomalie, un titre paria et voilà que votre architecture s’écroule, ne tient plus la route, échappe à son but : l’harmonie. Le vouloir-dire.  Et puis comme l’esprit d’escaliers, on se dit trop tard que c’était CE morceau qu’il fallait mettre. Parce qu’on a gagné trois jours de vie, et que sans cesse on réinjecte nos nouveaux gradés dans les interstices fantasmés. Là, entre celui-ci et celui-là. Mais parfois c’est le chemin qui compte davantage que le résultat.

Le mois prochain, je vous proposerai une 30ème cabane. Avec toujours les mêmes réécoutes préalables, les prises de distances, les doutes, les réajustements. Parce que c’est toujours super dur de fédérer par le discours, l’écrit ou la musique devant autant d’oreilles différentes. Mais pour autant je ne placerai jamais un morceau, une succession qui ne me touche pas. Plutôt diviser que de feindre l’universel contentement. Souvent je rate dans le mois, et je me rattrape par ce rendez-vous qui me tient à cœur depuis déjà deux ans et demi. Et cela veut aussi dire que je ne serai satisfait que de deux ou trois compilations dans ce même espace-temps. Alors que certains aimeront la 3ème ou la 18ème, moi je leur trouverais plein de défauts. C’est comme ça. Une compilation c’est l’éphémère qui galère ou postule pour le titre du meilleur à propos. Mais aussi la magie du truc : donner à entendre, à partager. Tu prends, tu laisses. Et c’est tout.


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