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"Canicule Parano" de Frédéric Vallotton

Publié le 09 septembre 2014 par Francisrichard @francisrichard

Toutes les grandes métropoles européennes ont une âme qui nous fait les aimer, de par leur histoire, leur architecture et leurs habitants, quelle que soit la couleur du ciel. Toutes différentes qu'elles puissent être, ces villes capitales sont toutes cosmopolites, ce qui signifie ouverture au monde, laquelle nous fait nous sentir bien quand nous arpentons les artères qui les irriguent.

Frédéric Vallotton, dans Canicule Parano, titre de roman qui pourrait être aussi bien celui d'un film, nous emmène à Berlin, qu'il doit bien connaître pour la décrire avec autant de précision. En fait, il nous invite à suivre Maxence, qui déambule sans but dans l'ancienne ville impériale, sous un air pesant, par un dominical après-midi d'été couvert, Ein wolkiger Sommernachmittag, la canicule y sévissant depuis une semaine. Le va-et-vient, sur les dalles de béton, des filles, "juchées sur des chaussures trop hautes", du bordel situé au rez-de-chaussée de son logement précaire, en a chassé Maxence...   

Maxence, qui porte "un prénom de vieux", n'en finit pas de venir à Berlin et d'en repartir pour Lausanne. Il en est à son quatrième aller-retour au cours des sept dernières années et, peut-être, n'est-ce pas l'ultime voyage d'une ville l'autre. Certes, le lendemain de ce lourd après-midi d'été, il va retourner dans la capitale vaudoise, aux plus modestes dimensions que la capitale prussienne, pour être hébergé chez Jacques, mais n'y reviendra-t-il pas, condamné, semble-t-il à l'errance, aussi bien physique que mentale, incapable de se poser définitivement ici ou là-bas?

Car, quand il est à Lausanne, ville morte le dimanche, il s'imagine ailleurs et s'invente une vie à Berlin qui n'est "pas une ville où faire", mais "un séjour où être", et, inversement, par cet après-midi dominical berlinois, lourd et couvert, il rêve au buffet 1er classe de la gare de Lausanne, "cette antichambre de l'ennui infini", alors qu'il est assis sur le parvis de l'ex-Glaubenskirche, ou à la tour Bel-Air, alors qu'il se trouve dans la station du U à l'Alexanderplatz.

Au milieu des destructions de guerre, Berlin a conservé nombre de boulevards et d'immeubles wilhelminiens, c'est-à-dire datant des règnes des empereurs allemands et rois de Prusse, Guillaume 1er et Guillaume II. Ces vestiges sont à l'image de l'idéal de Maxence d'une "solide existence allemande aux traditions séculaires sans complexe face au progrès", que son errance empêche d'atteindre:

"Maxence ne cherche jamais qu'à vivre une vie allemande, l'une de ces bonnes vies qui s'écoulent dans un bel appartement à parquets, portes à doubles battants, une vie à lire du Thomas Mann et à écouter de la musique de chambre du début du XXème."

Mais Berlin présente un autre visage depuis la chute du mur, séduisant, mais qui ne saurait retenir ceux qui, comme Maxence, "ne croient plus en rien, pas même en leur disgrâce":

"Elle n'est pas devenue immorale ou amorale; elle a cessé de s'intéresser aux discours, ne prêtant du crédit qu'aux sentiments, aux émotions. Elle offre une commisération molle et une sincère affection à tous les chiens perdus, les cabossés de la vie, ceux qui ne nourrissent plus aucun projet au-delà de la prochaine bière."

Ce ne sont pas non plus des amours qui peuvent retenir Maxence à Berlin. Sa vie "intime" n'y est ni riche ni mouvementée. Lui et Françoise, sa maîtresse, s'aiment bien, mais ne s'aiment pas. Bien sûr, il y a ses amies, Andrée ou Ivona, mais ce sont justement "des amies, des complices, des membres de sa famille chez qui on va déjeuner à l'improviste", et qu'il a connues à... Lausanne:

"Il y a, dans la relation de Max à ses deux amies berlinoises, la présence prégnante de lieux, d'un habitat bourgeois et élégant, de cette atmosphère surannée des maisons correctes, façon comme une autre de se tricoter une histoire familiale et une dignité sociale."

Canicule Parano n'est donc pas qu'une simple visite guidée de Berlin. La balade de Maxence, un après-midi d'été, dans une ville, où le bitume ne réussit pas à refroidir pendant la nuit, permet bien sûr au lecteur de connaître son histoire à lui, bien humaine, à la faveur de ses digressions, mais aussi d'entrer en contact avec l'âme d'une ville à la faveur des observations qu'il fait sur elle sous la pression de la chaleur et qui sont comme des aveux faits par lassitude.

Francis Richard

Canicule Parano, Frédéric Vallotton, 136 pages, Hélice Hélas

Frédéric Vallotton s'est confessé à Tulalu!? lors du Livre sur les quais de Morges:


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