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Salle 5 - vitrine 6, côté seine : 18. de la phoeniciculture en égypte antique ...

Publié le 16 septembre 2014 par Rl1948

     "Qu'est-ce qui ne vient pas de moi dans la maison du roi ?

Le roi mange sur une table qui vient de moi ; la reine boit dans un gobelet qui vient de moi ; le guerrier mange dans une gamelle qui vient de moi ; le cuisinier prend la farine d'une maie qui vient de moi ; je suis aussi le tisserand qui fait les cordes et le tailleur qui habille l'ouvrier.

     Je fournis les instruments du service du dieu ; je suis donc le grand exorciste qui fertilise la demeure du dieu. Je suis le héros sans rival. Je te suis supérieur, je te surpasse six fois, je te domine sept fois. L'orphelin, la veuve mangent de mes dattes sans se priver."

Débat entre le palmier-dattier et le tamaris

dans Danielle COCQUERILLAT

Palmeraies et cultures de l'Eanna d'Uruk (559-520)

Berlin, Mann, 1968

pp. 30-1

Cité par Margareta TENGBERG & alii

"L'arbre sans rival".

Palmiers-dattiers et palmeraies au Moyen-Orient et en Égypte, de la préhistoire à nos jours, 

dans Revue d'ethnoécologie, 4, 2013,

pp. 2-3.

     Qu'il m'eût plu, amis visiteurs, de pouvoir vous traduire un texte hiéroglyphique rédigé dans le même esprit par un scribe égyptien d'approximativement la même époque !

     En effet, émanant d'une région qui, dans ce que l'on nomme la Mésopotamie antique, se situe au sud de l'Irak actuel, cet extrait que je vous propose en préambule à notre rendez-vous actuel fut, vers la fin du troisième millénaire avant l'ère commune, composé en écriture cunéiforme sumérienne, idiome que je ne jugeai pas bon d'étudier lors des études universitaires que j'entrepris vers l'âge de 40 ans.

     Si, malgré qu'il ne provienne pas des rives du Nil, je l'ai néanmoins choisi, c'est, et indépendamment du fait qu'il constitue un type littéraire particulier présent dans les sources mésopotamiennes, - des dialogues imaginaires entre des êtres ou des idées qui s'opposent, par exemple, au sein des saisons : l'hiver contre été ; des outils agricoles : la houe contre l'araire ; des animaux : le poisson contre l'oiseau ; ou, comme ici, deux espèces végétales : le palmier-dattier contre le tamaris -, parce qu'il me permet d'insister sur la nette prédominance, sur l'incontestable primauté du dattier dans le paysage arboricole de ce que les Historiens appellent traditionnellement le Croissant fertile duquel l'Égypte antique faisait partie.

     Malgré l'incertitude qui subsiste quant à ses origines et à sa diffusion à l'aube de l'Humanité,

Palmiers-dattiers---c-Marie-Louxor.jpg

- plusieurs hypothèses en lice le font naître soit au Sahara, soit dans le Delta du Tigre et de l'Euphrate, soit au sud de l'Iran, en Inde, quand ce n'est pas aux Canaries -, les recherches récemment basées sur ses plus anciens vestiges archéologiques exhumés et analysés, à savoir des graines de dattes, carbonisées ou conservées par dessiccation - comme les trois qui se trouvaient d'ailleurs avec des fruits entiers également desséchés, dans l'hypogée du jeune Toutankhamon -, accréditent la présence originelle, puis l'exploitation du palmier-dattier sur les sols arides de la région du Golfe Persique, à partir de la fin du 4ème millénaire avant notre ère, précédant de la sorte d'autres espèces fruitières comme le figuier ou l'olivier.

      Conservant dans mon propos, par le verbe, son mode et son temps, l'état de prudence tel que je l'ai ressenti à la lecture des documents les plus récents que je cite en référence infrapaginale, j'avance qu'il semblerait que la phoeniciculture - la culture du Phoenix dactylifera, du palmier-dattier donc -, se soit abondamment développée tout au long du troisième millénaire, puis par la suite déplacée vers les déserts nord-africains, investissant très tôt, vous l'aurez compris, l'Égypte pharaonique.

     J'ajouterai qu'il vous faut être conscients que cette expansion sur une aire géographique ancienne pourtant déjà vaste, s'est encore accrue jusqu'à nos jours puisque cet arbre fruitier est maintenant bien introduit sur chacun des cinq continents.

     Ce qui autorise les scientifiques à le considérer comme la clé de voûte des agroécosystèmes oasiens. En d'autres termes, à affirmer qu'il constituait, et qu'il constitue toujours, grâce à ses dattes, un apport essentiel dans l'alimentation des populations vivant au sein ou aux alentours des oasis et, vous allez le comprendre ce matin, grâce à quelques-uns de ses constituants, un matériau de base pour la confection d'objets quotidiens ; ce que déjà tendait à prouver l'extrait du dialogue fictif que je vous ai proposé à l'entame de notre entretien.       

     Espèce emblématique, pérenne, d'une importance économique sans égale, tel fut le palmier-dattier abondamment présent dans le biotope de l'Égypte antique. Aussi, point n'est anodin  que, très tôt, l'art égyptien s'empara de son image, notamment sur des palettes prédynastiques, comme, par exemple, celle, célèbre, du British Museum (EA 20791) au verso de laquelle subsistent partiellement de part et d'autre du stipe deux girafes dont l'une - mais l'autre aussi, très probablement - se nourrit de dattes.

     Ceci posé, c'est essentiellement à partir de la XVIIIème dynastie, au Nouvel Empire, que ses représentations prirent leur plus grand essor, sur des plats ou des vases d'abord, sur les parois des tombes de particuliers ensuite et surtout, laissant à chaque "scribe des contours" le soin de le styliser selon son talent propre.

     Bien évidemment, celle d'Ineni que nous avons visitée mardi dernier constitue la plus "spectaculaire" dans la mesure où elle bat tous les records en le figurant 170 fois !

     Dans nos musées, vous en retrouverez l'une ou l'autre image jusqu'à Basse Epoque sur des amulettes, des sceaux ou des scarabées. Souvent, l'artiste égyptien, - très soucieux des détails de son environnement immédiat -, l'a accompagné de singes.

     Et parfois, y a même ajouté le souhait nfr rnpt - lisez : néfer rénépet, et comprenez : (Que s'ouvre pour vous une) belle année -, que j'ai pris l'habitude de vous adresser dès les premiers jours de janvier, formule de voeux que vous avez vue, souvenez-vous, gravée sur des gourdes de Nouvel An que s'offraient les Égyptiens à la mi-juillet, à l'arrivée de la crue bienfaitrice tant souhaitée, exposées dans une des vitrines du Musée royal de Mariemont, en septembre 2013.  

     Dans le droit fil de ce que je vous avais expliqué en juin dernier à propos de son congénère le palmier-doum, autre essence de la famille des Palmae également connue des riverains du Nil antique, je voudrais maintenant attirer votre attention sur le dattier en précisant tout de go qu'il est, lui aussi, un arbre dioïque, c'est-à-dire que chaque individu ne porte que des inflorescences de même sexe ou, pour faire simple, que les fleurs mâles poussent sur des arbres distincts des fleurs femelles.

     Un autre point que je souhaiterais évoquer - ne fût-ce que pour être le plus exhaustif possible sur un plan lexicographique -, c'est que les botanistes contemporains lui dénient l'appellation d'arbre, préférant lui allouer celle d'arborescence.

     Mais par respect des premiers naturalistes qui l'étudièrent et, surtout, des textes égyptiens originaires proposant le hiéroglyphe de l'arbre en guise de déterminatif, souffrez que je m'arroge le droit  de continuer à le considérer comme tel. Et donc à employer ce vocable, même si, probablement aux yeux de certains puristes, apparaîtrai-je scientifiquement incorrect.

     Susceptibles d'allègrement atteindre les 20 mètres de hauteur - ce qui, je l'indique au passage, correspond à celle des statues colossales de Ramsès II assis en façade du grand temple d'Abou Simbel ! -, le dattier est constitué d'un stipe d'où émergent, imbriquées en spirale, les bases pétiolaires des anciennes feuilles,

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à tout le moins pour les arbres les plus jeunes, les vieux en étant dépourvus.

     

     C'est de son sommet que se déploient des palmes de 3 à 4 mètres de long,  

05.-Palmier-dattier.JPG

feuilles composées pennées, c'est-à-dire dont les folioles sont disposées de part et d'autre d'un axe médian, le rachis.

     Chaque année, naissent de 12 à 20 nouvelles feuilles ; chacune d'elles étant susceptible de vivre de 4 à 7 ans.  

     Espèce thermophile et héliophile, en Égypte actuelle, vous croiserez des palmiers-dattiers dans le Delta évidemment, dans la Vallée du Nil également et, si vous sortez des sentiers battus, dans les oasis des déserts libyque et arabique et à l'embouchure des oueds.

     Enfin, si vous préférez résider dans les stations balnéaires, vous en admirerez sur les côtes de la Mer Rouge. 

    En un mot comme en cent, dans les endroits où des ressources hydriques suffisantes permettent sa croissance, l'eau provenant d'une nappe aquifère abondante ou, s'il est "cultivé" par l'homme, d'une irrigation idoine.

     Un minimum de 18 à 25° lui sont nécessaires pour subsister : mais il est évident qu'entre 30 et 40°, voire un peu plus, il bénéficie de conditions optimales l'amenant à vivre jusqu'à 100 ans.

     Outre l'appoint alimentaire qui fut le sien, - apparemment dès l'époque préhistorique -, il vous faut savoir qu'à l'instar du palmier-doum, son bois, malgré paraît-il une qualité qui n'est pas exceptionnelle, mais aussi ses composants furent et sont encore amplement utilisés : débité, le stipe servait de matériau de construction ; avec les fibres des gaines membraneuses de la base des feuilles, les artisans tressaient des cordes leur permettant de confectionner des filets ; les feuilles pouvaient couvrir les toits des maisons ou entraient dans la confection de divers objets de vannerie, comme par exemple des paniers ; leurs filaments constituaient l'essentiel des poils de brosses, mais aussi, selon M.-A. Beauverie - qui ne cite malheureusement pas sa source -, de quoi envelopper les sabots des taureaux choisis pour être sacrifiés. 

     Si l'homme, souvent, rechercha l'ombre des larges palmes se déployant en majestueuses couronnes au sommet de cet arbre fruitier providentiel, celles-ci avaient naturellement pour but premier de protéger les nombreuses grappes de dattes qui s'y développaient chaque année.

     C'est à ces dernières, amis visiteurs, qu'il me siérait, mardi 23 septembre prochain, d'entièrement consacrer notre rencontre

     

     Prenez-en date !

BIBLIOGRAPHIE


BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, pp. 90-106.

(Partiellement téléchargeable sur ce site.)

BEAUVERIE Marie-Antoinette

Description illustrée des végétaux antiques du Musée égyptien du LouvreB.I.F.A.O. 35, Le Caire, I.F.A.O., 1935, pp. 123-4.

(Librement téléchargeable sur ce site.)

GROS-BALTHAZARD Muriel, NEWTON Claire, IVORRA Sarah, TENGBERG Margareta, PINTAUD Christophe, TERRAL Jean-Frédéric 

Origines et domestication du palmier-dattier (Phoenix dactylifera L.) - État de l'art et perspectives d'étude, dans  Revue d'ethnoécologie, 4, 2013.

(Librement téléchargeable sur ce site.)

NEWTON Claire, TERRAL Jean-Frédéric, IVORRA Sarah, GROS-BALTHAZARD Muriel, TITO DE MORAIS Claire, PICQ Sandrine, TENGBERG Margareta, PINTAUD Jean-Christophe 

Graines d'histoire. Approche morphométrique de l'agrobiodiversité du palmier-dattier, actuelle et d'Égypte anciennedans Revue d'ethnoécologie, 4, 2013.

(Librement téléchargeable sur ce site.) 

TENGBERG Margareta, NEWTON Claire, BATTESTI Vincent 

"L'arbre sans rival". Palmiers-dattiers et palmeraies au Moyen-Orient et en Égypte de la préhistoire à nos jours, dans Revue d'ethnoécologie, 4, 2013.

(Librement téléchargeable sur ce site.)

WALLERT Ingrid

Die Palmen im Alten Ägypten. Eine Untersuchung ihrer praktischen, symbolischen und religiösen Bedeutung, Berlin, Verlag Bruno Hessling, 1962. 

(Merci à Marie Louxor qui, grâce aux clichés qu'elle m'a offerts, a remarquablement illustré la présente intervention.)


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