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Désintox juridique sur les mensonges de Nicolas Sarkozy (et de tous ceux qui les répètent) au sujet de la Libye Dis-moi quel “témoin assisté” es-tu…

Publié le 09 octobre 2014 par Blanchemanche
#Sarkozy #justice
09 octobre 2014 |  Par Fabrice Arfi
Il y a, dans les “affaires”, beaucoup de droit et, dans les médias, parfois, trop de travers. Depuis plusieurs semaines, les supporters de Nicolas Sarkozy, quand ce n’est pas l’ancien président lui-même, se plaisent à tordre la réalité juridique pour faire accroire que la justice poursuivrait Mediapart dans le dossier de la plainte pour “faux” déposée après la publication dans nos colonnes d’un document officiel libyen portant sur un financement occulte à l'occasion de la campagne de M. Sarkozy en 2007.
La démonstration de ce raisonnement tiendrait dans le fait que Mediapart a été placé par les juges chargés de l’enquête, René Cros et Emmanuelle Legrand, sous le statut de “témoin assisté”. Bizarrerie du droit français, ce statut est souvent présenté comme se situant juridiquement à mi-chemin entre celui de simple témoin et celui, plus embarrassant, de mis en examen.
Nicolas Sarkozy, en mai 2014. Nicolas Sarkozy, en mai 2014. © ReutersNicolas Sarkozy a donné le “la” de ce raisonnement dès le 20 mars dernier dans une tribune publiée par Le Figaro : « Ma plainte a paru suffisamment crédible pour que ses dirigeants [de Mediapart – ndlr] soient placés par la justice sous statut de témoin assisté ». A le suivre, donc, si les juges nous ont placé, Edwy Plenel, en tant que directeur de publication, Karl Laske et moi-même, en tant que journalistes, sous ce statut, c’est parce que les enquêteurs avaient quelque chose à nous reprocher. L’ancien chef de l’Etat, pourtant avocat de profession, a de toute évidence perdu son code de procédure pénale quelque part entre ses bureaux de la rue Miromesnil et les eaux du Cap nègre.
Explications.
Il y a, en droit français, “témoin assisté” et “témoin assisté”. C’est absurde, c’est complexe, mais c’est ainsi. L’article 113 du code de procédure pénale est pourtant très clair et j’invite chacun à le lire pour se faire sa propre idée. Un juge, qui a récolté dans le cadre de ses investigations des indices contre quelqu’un, peut en effet le placer sous le statut de “témoin assisté”, comme une sorte de sous inculpation. C’est le mauvais “témoin assisté” dont M. Sarkozy rêve à notre endroit. Mais la loi dit aussi que quand quelqu’un est nommément désigné dans une plainte avec constitution de partie civile, le magistrat instructeur ne peut l’entendre que sous ce statut et cela ne préjuge en rien d’une sorte de présomption d'éventuelle culpabilité. C’est le bon “témoin assisté”. Et je suis au regret de le dire pour l'ex-président et tous ses suiveurs : Mediapart se trouve dans la deuxième catégorie. La bonne.
Je cite le code de procédure pénale : « Toute personne nommément visée par une plainte ou mise en cause par la victime peut être entendue comme témoin assisté. Lorsqu'elle comparaît devant le juge d'instruction, elle est obligatoirement entendue en cette qualité si elle en fait la demande ; si la personne est nommément visée par une plainte avec constitution de partie civile, elle est avisée de ce droit lorsqu'elle comparaît devant le juge d'instruction ».
Ainsi, quand, fin 2013, nous avons été placés sous le statut de “témoin assisté” dans ce dossier, c’est précisément parce que nous étions nommément dans désignés dans la plainte de Nicolas Sarkozy, déposée avec constitution de partie civile en juin de la même année. Notre audition a d’ailleurs constitué l’un des tout premiers actes d’enquête — si ce n'est le premier — des magistrats. Démonstration qu’ils n’avaient par définition aucun indice contre nous… A fortiori depuis que les derniers développements de l’enquête confortent l’authenticité du document révélé par Mediapart, comme nous l’avons déjà raconté.
Tout ceci n'empêche pas Nicolas Sarkozy de continuer à parler, de meeting en meeting, de « faux grossier », alors que la gendarmerie, en charge des investigations, écrit toute autre chose. « De l’avis unanime des personnes consultées, le document publié par Mediapart présente toutes les caractéristiques de forme des pièces produites par le gouvernement libyen de l’époque, au vu de la typographie, de la datation et du style employé. De plus, le fonctionnement institutionnel libyen que suggère le document n’est pas manifestement irréaliste », peut-on ainsi lire dans un rapport du 7 juillet sous la plume d'un capitaine de la section de recherches de Paris.
Mais peu importe le droit et ses nuances, seule la communication compte. Et celle de Nicolas Sarkozy, bien qu’il enchaîne les mensonges comme des perles sur le terrain des “affaires” (voir mon analyse), est redoutable d’efficacité.
Ainsi, ces derniers jours, cette petite musique de l’enfumage a trouvé preneur dans les colonnes de Vanity Fair, qui écrivait, le 26 septembre dernier, sur son site : « [Les journalistes de Mediapart] ont été interrogés en qualité de “témoin assisté”, statut qui n’est accordé par la justice qu’aux personnes à l’égard desquelles existent des “indices” laissant penser qu’ils auraient participé à la commission d’un délit ». 
Plusieurs confrères reprennent désormais ce raisonnement comme une information acquise, alors qu'elle dit juste l'inverse de la vérité. La manœuvre est habile et permet surtout de faire oublier que depuis avril 2013 une information judiciaire a été ouverte pour corruption sur le fond des faits : soit les financements libyens de l'équipe Sarkozy (déjà mis en examen pour « corruption active » et « trafic d'influence » dans le dossier Azibert). C'est tout le talent de la communication sarkozyste sur les “affaires”.
Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy, en 1995. Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy, en 1995. © ReutersPrenons un autre cas, celui de Karachi. Depuis le retour de l’ancien président, qu’il avoue désormais lié aux “affaires” — « Si on voulait que je reste tranquille dans mon coin, il ne fallait pas agir comme ça », a-t-il dit en meeting à Vélizy —, vous avez sûrement entendu dire que Nicolas Sarkozy a été « lavé » dans cette affaire. La manipulation est énorme : la Cour de justice de la République, seule habilitée à poursuivre les délits commis par des ministres dans l’exercice de leurs fonctions, vient tout juste de commencer son enquête sur les rôles de MM. Balladur (ancien premier ministre), François Léotard (ex-ministre de la défense) et… Nicolas Sarkozy (ex-ministre du budget) dans cette affaire de détournements d’argent sur les ventes d’armes de l’Etat français.
Mais l’enquête judiciaire menée dans le volet non ministériel a d’ores et déjà montré que, ministre du budget entre 1993 et 1995, Nicolas Sarkozy avait autorisé la constitution au Luxembourg d’une société offshore de la Direction des constructions navales (DCN, alors entreprise d’État), par laquelle avaient transité les commissions illégales d’un contrat militaire avec le Pakistan (“Agosta”), et qu’il avait également autorisé contre l’avis de sa propre administration le versement de commissions illégales au réseau de Ziad Takieddine en marge, cette fois, d’un marché avec l’Arabie saoudite (“Mouette”).
C’est une partie de cet argent noir qui, une fois retiré en espèces en Suisse, est revenu illégalement en France. Du coup, dans une ordonnance judiciaire, signée le 12 juin dernier, les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire écrivent au sujet de Nicolas Sarkozy : « L’audition du ministre du budget […] n’a pu être réalisée, celui-ci relevant du statut de témoin assisté et donc de la compétence de la Cour de justice. » Cela suggère donc, pour Nicolas Sarkozy dans cette affaire, que s’il a indéniablement participé à la mécanique gouvernementale qui a permis les détournements de fonds sur les ventes d’armes du gouvernement Balladur, l’élément intentionnel — indispensable en droit pénal — est à ce stade plutôt à chercher du côté de Matignon, chez M. Balladur. En résumé, les mains de Sarkozy ont aidé à commettre le délit mais le cerveau était ailleurs.
Si les juges de la CJR venaient à suivre les recommandations de leurs collègues Van Ruymbeke et Le Loire, Nicolas Sarkozy n’échappera donc pas à une convocation judiciaire. Il se pourrait même qu'il soit placé sous le statut de “témoin assisté”. Le mauvais.

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