Photo trouvée

Monstrueuse photo #1

L’expérience visuelle d’une photographie dite « monstrueuse » me sidère toujours autant et rien n’y fait !
De l’effet de surprise d’une telle intrusion, au vacillement des limites du réel et de l’imaginaire, ce type d’apparition subite, je ne le cache pas, me met toujours en colère. Je suis en colère parce que je le sais bien, cette image précisément va persister et me hanter.

Pourquoi une telle photographie ? d’où provient-elle ? qui l’a réalisée et à quelles fins ? où se loge à mon sens le monstrueux de cette image ?

Il s’agit d’une photographie anonyme, achetée sur une brocante et représentant des frères siamois. Elle fait partie d’un lot de plaques de verre au format 10 X 15 provenant vraisemblablement d’archives médicales datant du début des années 1900.
Alain, le détenteur de l’image l’a scannée et nous l’a projetée sur un écran d’ordinateur lors d’une réunion de notre collectif Àquatre.

À la vue de cette image, j’ai été horrifiée non pas par ces « jumeaux fusionnés » en tant que tels, mais par le dispositif de la planche d’étude.
Suspendue à un fil, leur tête unique, démesurée, est maintenue bien droite. Les membres inférieurs et supérieurs sont déployés comme des ailes de papillons et soutenus ainsi par de gros clous. Leurs corps portent les stigmates d’interventions chirurgicales multiples, de grossières coutures laissent échapper des bouts de chair.

Pour le scientifique le « monstre » est un objet d’études et justifie ce traitement, mais moi, je ne vois que l’enfant et il m’émeut.

Je pense alors au travail de l’artiste Zoe Leonard qui sous le choc à la vue dans un musée, de la tête conservée sous cloche, de la femme à barbe datant du siècle dernier ; l’a photographiée. À travers ce polyptyque, elle observe que ce dispositif ne dit rien de cette femme, mais nous questionne sur notre culture et notre obsession de la différence.