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David Bobée offre à Béatrice Dalle le rôle de Lucrèce Borgia: un ennui mortel!

Publié le 23 octobre 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone

Le rôle sulfureux de Lucrèce Borgia, héroïne monstrueuse de la pièce éponyme écrite par Victor Hugo en 1833, était taillé sur mesure pour les épaules de Béatrice Dalle, actrice sulfureuse s'il en est, depuis son premier rôle au cinéma dans 37°2 le Matin en 1986. Hélas, la mise en scène de Bobée, à la Maison des Arts de Créteil, manque cruellement d’idées pour rendre honneur tant à l'aura de l'actrice qu'au personnage d’Hugo.

Lucrèce Borgia, c’est cette fille de Pape et de courtisane, femme adultère, incestueuse, empoisonneuse dans l’Italie du 15ème siècle, qui cherchera en vain la rédemption par amour pour un fils qui la tuera en découvrant qu’elle est sa mère. Une femme forte et solitaire dans un monde régi par les hommes, un rôle taillé pour une comédienne charismatique, une œuvre à la puissance littéraire indéniable, taillée pour une mise en scène ample et singulière.

Or, dès l'entrée dans la salle, le peu d'originalité de la scénographie, signée par Bobée lui-même, est frappant : il recycle son plateau recouvert d’eau qu’il employait déjà dans sa version d’Hamlet, crée en 2010 et présentée au Théâtre des Gémeaux l'an dernier. Cette scénographie, aussi graphique soit-elle - les lumières des projecteurs, à vue, se reflétant dans l’eau du bassin – restera accessoire tout au long de la pièce, ne servant jamais vraiment son propos.

David Bobée offre à Béatrice Dalle le rôle de Lucrèce Borgia: un ennui mortel!

Il en sera de même pour tous les « effets » de mise en scène utilisés par Bobée tout au long de son spectacle. Ainsi, les premières minutes du prologue musical, nous plongent directement dans le théâtre « populaire » défendu par le metteur en scène dans la note d’intention du programme: bande son rock jouée live par Butch McKoy, acrobatie des porteuses soutenant décors et éclairages, et sur lesquelles les jeunes comédiens/acrobates/danseurs sont eux aussi perchés. Bobée défend une diversité des disciplines spectaculaires, des cultures, des pratiques…si cela sonne bien, le résultat sur scène est bien pauvre et superficiel !

En réalité, sous ses apparences « rock », le théâtre de Bobée est profondément ringard, à la limite du poussiéreux. Le metteur en scène y recycle à la suite, un nombre invraisemblables d' « effets » déjà vu cent fois, dont certains font même partie d’un théâtre daté, qui ne se joue plus que sur les très mauvaises scènes : effet de réverbération lorsque le très méchant Don Alfonse parle, pantomime de l'empoisonnement version cours d'art dramatique (contorsions et hurlements compris), pistolet en plastique (avec explosion de pétard!), plateau baigné d’une lumière rouge lors de la scène de massacre final. Aucun cliché ne nous est épargné pendant les interminables 2h30 que dure la représentation.

Ce qui frappe le plus ici, c'est le manque cruel d'idées originales de mise en scène. Ainsi, quand après deux tiers de spectacle, la musique live laisse place au superbe morceau d’Agnès Obel « The Curse », et que les jeunes hommes participants au banquet final – et fatal – entrent tous en scène vêtus de grandes robes de bal, sur une chorégraphie bien orchestrée, on se souvient alors à quel point il est agréable d’être surpris par la poésie d’une mise en scène inventive. Cette agréable bouffée d'air pur ne dure hélas que quelques minutes avant que le spectacle ne plonge encore plus profond dans une démonstration d’effets faciles et creux.

David Bobée offre à Béatrice Dalle le rôle de Lucrèce Borgia: un ennui mortel!

Ainsi, la séquence de banquet « orgiaque » auquel prennent part les jeunes hommes est transformée en démonstration hip-hop – version stage pour niveau intermédiaire - et le summum du sulfureux est atteint par un boxer noir et quelques gestes obscènes. Enfin, pour ceux qui n'étaient pas encore repus, les lumières rouges inondent alors le plateau et une interminable séquence de massacre final – et fatal pour le spectateur- peut alors commencer. La mort de Lucrèce Borgia atteint ici des sommets de ridicule qui font penser à cette fameuse scène de cinéma dans laquelle s'illustrait Marion Cotillard, et qui a fait le tour du web.

Les sept jeunes comédiens/acrobates/danseurs qui incarnent le groupe de Vénitiens en prise avec Lucrèce Borgia sont tous aussi mauvais qu'ils sont bodybuildés. Si l’on passe sur la diction incompréhensible de certains – Bobée prône la diversité des accents - tous s’agitent sur le plateau dans un sur-jeu affligeant, sans aucune variation de jeu du début à la fin de la pièce, la palme revenant à Pierre Cartonnet – en Gennaro, fils inavoué et meurtrier de Lucrèce - qui livre une partition monocorde faites d'un long râle « dramatique » ininterrompu.

David Bobée offre à Béatrice Dalle le rôle de Lucrèce Borgia: un ennui mortel!

Face à eux, de grands acteurs de théâtre, comme le précise Bobée dans sa note d’intention : Jérôme Bidaux, qui montre avec éclat toute sa technique théâtrale, et Thierry Mettetal, qui campe un Don Alphonse perfide et glaçant. Dommage que le metteur en scène n’ait pas su les diriger vers une partition plus en finesse.

Enfin, la promesse était trop belle pour être tenue, et Béatrice Dalle, dont on sent à chaque seconde que le spectacle a été créé pour elle, peine à faire exister son personnage. Si la comédienne bénéficie évidemment d'une aura particulière, son manque cruel de technique théâtrale ne tarde pas à se faire ressentir, que ce soit dans son jeu physique ou sa façon de dire le texte, souvent à la limite de l'audible, et d'une monotonie lassante. Si la comédienne a souvent "brulé la pellicule" par sa photogénie naturelle et flamboyante, il n'en va pas de même sur un plateau de théâtre, qui nécessite un autre type de technique.

David Bobée offre à Béatrice Dalle le rôle de Lucrèce Borgia: un ennui mortel!

Une fois les projecteurs éteints, les morts se relèvent – et oui, nous étions au théâtre – et un tonnerre d'applaudissements acclame « cette architecture de vide et de mots », comme le disait Genet. C’est le propre du consensuel, David Bobée réussi à enrober son théâtre paresseux et ringard dans un bel emballage chic et choc, estampillé « populaire ». Attention à l’arnaque !

Lucrèce Borgia

D’après Victor Hugo

Mise en scène et scénographie : David Bobée

Tournée 2014 :

Colombes [92] l'Avant Seine

4 novembre

info 01 56 05 00 76

Sainte-Maxime [83] Le Carré

8 et 9 novembre

info 04 94 56 77 77

Lyon [69] Théâtre de la Croix-Rousse

du 12 au 22 novembre

info 04 72 07 49 49

Orléans [45] CDN

du 3 au 6 décembre

info 02 38 62 15 55

Rouen [76] CDN de Haute-Normandie, Théâtre de la Foudre

10, 11, 12, 15, 16, 17, 18 décembre

info 02 35 0329 78


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