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Chefs-d'Œuvre du mobilier de 1650 à 1790

Par Richard Le Menn

GardeMeubleDeLouisXV.jpg Du 28 octobre 2014 au 22 février 2015 le Château de Versailles présente des Chefs-d'œuvre du mobilier de 1650 à 1789, une exposition qui essaie de mettre en relief le caractère novateur et précurseur du mobilier de cette époque qui inspira tout l'Occident d'alors et qui fut largement copié par la suite.  

Pour cela, « une centaine de chefs-d'œuvres de mobilier issues des collections des plus riches amateurs d'art de l'époque - la famille royale et son entourage, l'aristocratie et les financiers - témoigne de la révolution que le XVIIIe a opéré dans l'histoire  du meuble. Tous les grands noms de la création d'alors sont représentés : André- Charles Boulle, Antoine-Robert Gaudreaus, Charles Cressent, Bernard II Van Risen Burgh, Jean-François Œben, Jean-Henri Riesener et George Jacob. À côté des pièces majeures provenant des collections du  château de Versailles, du musée du Louvre, des Arts Décoratifs, du château de  Fontainebleau, mais également du Getty Museum, des meubles non connus de collections privées sont présentés pour la première fois au public. »

L'époque que couvre cette rétrospective est celle d'inventions qui marquent profondément les arts décoratifs, qui ne sont pas seulement la création d'ébénistes mais proviennent aussi de l'imagination des commanditaires. En ce temps là on se fait faire des meubles comme des habits chez le couturier ... crée de nouvelles modes, de nouveaux usages. On invente le bonheur du jour, la table de toilette, la commode, le canapé (l'ottomane), le bureau de pente, le secrétaire à rouleaux, la bergère, la bibliothèque ... On améliore ceux déjà existants à un niveau exceptionnel. Les arts décoratifs de cette période peuvent être considérés comme un summum.

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Il aurait été particulièrement intéressant d'apprécier ces meubles dans un véritable contexte XVIIe-XVIIIe siècles ... dans des salles du château les mettant en valeur. Un autre choix a été fait. La scénographie est moderne, grise, un peu étouffante, enveloppant entièrement les meubles. Du coup l'exposition aurait pu être présentée n'importe où ... C'est dommage que le scénographe n'ait pas joué avec le lieu, Versailles, qui contient des salles de toutes les époques de ces productions, permettant ainsi de les contempler dans un ensemble, comme elles l'étaient dans leur temps. Il aurait été au moins plus didactique d'ajouter des tableaux (il n'y en a qu'un seul), des dessins, des gravures ... replaçant ainsi ces meubles dans leur contexte. Le style rocaille par exemple est un art total qui embrasse l'espace du sol au plafond. Cette exposition cherche cependant à être pédagogique avec des films présentant les étudiants de l'École Boulle expliquant par leurs gestes leur travail d'ébéniste. D'autres vidéos permettent de voir l'intérieur de certains de ces meubles et leurs tiroirs secrets.

On apprend beaucoup de choses dans cette exposition. Les meubles présentés marquent leur époque et sont des exemples de l'évolution des goûts. Elle commence avec les débuts de l'ébenisterie au milieu du XVIIe siècle qui se démarque de la menuiserie. Elle se poursuit avec des productions du célèbre André Charles Boulle (1642-1732), ébeniste du roi Louis XIV (1638-1715, roi à partir de 1643). Elle présente ensuite différentes formes, procédés (laques ...), usages, couleurs, matériaux, graphismes et ornements, lignes, mécanismes (comme pour le bureau de la photographie 7), des créations d'ébénistes fameux comme Charles Cressent (1685-1768) représentant du style Régence (vers 1700-1730), et d'autres particulièrement emblématiques comme le Bureau du Roi (photographie 5) ou la Commode "à la grecque" qui annonce véritablement le style moderne du XXe siècle (photographie 6). L'exposition se poursuit avec les sièges. J'ai appris que l'on mettait sur ceux-ci des housses, qu'on enlevait pour les grandes occasions, et que l'on rangeait, parfois dans des meubles spécifiquement faits pour cela, comme

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c'est sans doute le cas pour la commode du grand cabinet de Marie-Antoinette à Fontainebleau datant de 1786 (photographie 8). On changeait aussi les garnitures des accoudoirs, du dossier et du siège des fauteuils suivant les situations, ou lors de modifications de décoration. Dans les grandes maisons c'est le rôle du 'valet de chambre tapissier'.

Les meubles présentés sont exceptionnels par leur qualité et leur histoire. Ils marquent le style d'une époque ... C'est dommage que cette exhibition n'insiste pas plus sur l'évolution des styles, qu'il n'y ait pas une vraie leçon sur ce sujet. Comme je l'ai dit, le style de la mise en scène est contemporain. Il y a un usage actuel qui consiste à installer des oeuvres contemporaines dans des endroits anciens ou au contraire de présenter des objets anciens dans une mise en scène moderne. L'exposition appartient à la seconde catégorie. Je pense qu'il est préférable de retrouver l'esprit du lieu plutôt que d'y apporter du contemporain. Versailles, comme beaucoup d'autres endroits historiques en ce moment, présentent souvent des artistes contemporains. 

Enfin « l'abécédaire de Jean Nouvel » s'avère inutile et illisible.

Photographie 1 : Je suis parti vers Versailles à partir de la place de la Concorde, où se trouve le Garde-Meuble royal du XVIIIe siècle, bâtiment devenant à la Révolution l'hôtel de la Marine. Il fut construit entre 1757 et 17741 pour, dès 1772, contenir le Garde-Meuble de la Couronne. Ses galeries étaient alors ouvertes au public tous les premiers mardis de chaque mois d'une grande partie de l'année. Cela aurait été magnifique de faire une telle exposition dans ce lieu.

Photographie 2 : Présentation de la création d'un siège du XVIIIe siècle par l'École Boulle.

Photographie 3 : Commode double à vantaux et tiroirs (Paris, vers 1730) de presque 3 mètres de large (2,82 m.)

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Photographie 4 : « Nicolas Heurtaut, probablement d’après Pierre Contant d’Ivry. Paire de fauteuils à la reine (d’une suite de six) et canapé à la reine et meublant à deux confidents mobiles. Paris, vers 1757. Hêtre peint en bleu-vert. Fauteuil : H. 0,96 ; L. 0,66 ; Pr. 0,59 m, Canapé : H. 1,14 ; L. 1,95 ; Pr. 0,70 m, Confident : H. 1,06 ; L. 0,63 ; Pr. 0,70 m, Canapé et confidents : L. 3,30 m. Collection particulière.
Ce canapé à confidents est assurément l’un des plus beaux chefs-d’œuvre de la menuiserie en sièges. Au XVIII e siècle, on faisait deux sortes de canapés à confidents : ceux à confidents fixes et ceux à confidents mobiles. Ces derniers sont les plus rares, car il fallait faire correspondre parfaitement la sculpture du confident avec celle du canapé, dans lequel il s’emboîtait. Ainsi peut-on remarquer que le pied extrême du canapé est sculpté à mi-partie, comme celui du confident, et que c’est la réunion de ces deux parties qui forme le pied complet ; il en va de même du « coup de fouet » de la console d’accotoir et de l’accotoir qui sont divisés par moitié. »

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Photographie 5 : « Jean-François Oeben et Jean-Henri Riesener. Bureau du roi. Paris, 1760-1769. Bâti de chêne, placage de satiné, d’amarante et de bois de rose (principalement), bronze doré, porcelaine. H. 1,473 ; L. 1,925 ; Pr. 1,050 m Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Le secrétaire à cylindre de Louis XV, de Jean-François Oeben et Jean-Henri Riesener est considéré comme le meuble le plus emblématique du génie français du XVIII e siècle. Remarquable par sa monumentalité, la beauté de ses tableaux de marqueterie et de ses bronzes, il est le plus abouti dans sa conception et le plus raffiné dans son exécution. Il fallut neuf ans pour le fabriquer, puisque commencé en 1760 par Jean-François Oeben, génial marqueteur réputé pour ses petits meubles à mécanismes, il fut livré en 1769 par son disciple Jean-Henri Riesener. Chaque détail a nécessité une grande finesse de réalisation. Merveille de mécanique, un système complexe de ressorts et contrepoids permettent d’un quart de tour de clef de déverrouiller l’ensemble en libérant l’abattant du cylindre et tous les tiroirs. Le cylindre ovale est constitué de sept lames articulées, plaquées en bois de violette, de sycomore et d’acajou. Sa réalisation a nécessité l’intervention de quatorze corps de métier (ébéniste, bronzier, ciseleur, doreur, horloger). Les figures de bronze ont notamment été fondues et ciselées par Louis-Barthélémy Hervieu sur des modèles de Jean-Claude Duplessis. »
À la Révolution quelques petits changements ont été apportés à ce meuble notamment afin d'enlever ou de cacher des éléments rappelant la royauté (d'où notamment les plaques en porcelaine). La marqueterie était peinte comme souvent alors, ce qui donnait un effet beaucoup plus coloré. 

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Photographie 6 : « Jean-François Oeben. Commode à la grecque. Paris, vers 1760-1763. Bâti de chêne, montants antérieurs d’acajou massif, épais placage d’acajou, marbre rouge (de Mayenne). H. 0,84 ; L. 1,32 ; Pr. 0,56 m. Collect ion particulière.
Ce type de commode, appelé « commode à la grecque », apparaît dans l’inventaire après décès de madame de Pompadour, à Ménars notamment, en 1764. L’inventaire du même château de Ménars, à la mort du marquis de Marigny, frère et héritier de celle-ci, en 1782, montre bien que ce terme s’appliquait à des commodes comportant un corps de tiroirs central flanqué de vantaux, avec ou sans rangée de tiroirs en frise. Ces commodes, au nombre de dix-neuf, étaient pour la plupart en acajou, bois relativement nouveau à l’époque.
»
La ligne est très sobre, sans fioritures, et annonce, comme je l'ai dit, les meubles du XXe siècle.

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Photographie
7 : « David Roentgen. Secrétaire mécanique à cylindre. Vers 1781. Bâti de chêne, placage d’acajou, bronze doré, acier. H. 1,48 ; L. 1,49 ; Pr. 0,83 m. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Entièrement plaqué d’acajou, rehaussé d’un décor de bronze doré d’une très pure inspiration classique, le secrétaire à cylindre repose sur huit pieds en gaine. À l’irréprochable qualité d’exécution de l’ébénisterie répondent la précision et la complexité du fonctionnement mécanique du meuble. En effet, l’ouverture du cylindre rigide ainsi que celle des nombreux tiroirs et compartiments exigent une connaissance parfaite des différents secrets élaborés par l’ébéniste ; ainsi le secrétaire est-il conçu comme un véritable coffre-fort. L’ouverture du cylindre dégage trois casiers inégaux flanqués de colonnes doriques de bronze doré et surmontés d’une frise à triglyphes. Au-dessus, la face principale du compartiment central est actuellement ornée d’un médaillon de bronze figurant le profil de Louis XVI ; celui‐ci fut placé par le bronzier Denière en 1835, accréditant ainsi une hypothétique provenance royale ; sans doute ce médaillon en remplaça‐t-il un autre, inconnu, représentant un profil à l’antique. Il a été démontré que l’ensemble du décor de bronze doré est attribuable au bronzier parisien François Remond (vers 1745‐1812). »

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Photographie 8 : « Guillaume Benneman sous la direction de Jean Hauré. Commode du grand cabinet de Marie-Antoinette à Fontainebleau. Paris, 1786. Acajou, porcelaine, bronze doré, marbre blanc. H. 0,96 ; L. 1,82 ; Pr. 0,75 m. Fontainebleau, musée national du château.
Cette commode appartient à une paire célèbre tant pour son origine – le grand cabinet de Marie-Antoinette au château de Fontainebleau – que pour les nombreuses copies qu'elle suscita. Le Garde-Meuble de la Couronne avait acheté quatre commodes originellement destinées au service du comte de Provence, frère de Louis XVI. Une de ces commodes servit de point de départ à la fabrication de celle exposée ici. Plaquée d'ébène, elle offrait une forme similaire, des bronzes en rinceaux et trois médaillons en porcelaine de Paris dont deux représentaient des bouquets de fleurs alors que le troisième en camée représentait un trophée d'amour. Restaurée sous la direction de Jean Hauré pour la chambre de la reine à Compiègne, elle fut légèrement agrandie, pourvue d'un nouveau marbre, ses bronzes furent dorés, son placage d'ébène changé pour de l'acajou et le médaillon en camée remplacé par un médaillon en biscuit acheté à la manufacture de Sèvres. Une copie plus grande (environ 21 cm) fut alors commencée, copie pour laquelle Hauré acheta trois médaillons à Sèvres : deux bouquets de fleurs et un en biscuit. En cours de route, les deux commodes furent finalement affectées au grand cabinet de la reine à Fontainebleau pour lequel il fallut les adapter. À cet effet, il fallut réduire la copie non encore achevée de 2 pouces (environ 5 cm), opération qui s'avérait impossible à entreprendre sur la commode d'origine. On créa alors un nouveau bâti aux bonnes dimensions sur lequel on réutilisa ce qu'il était possible de la décoration de l'ancienne (notamment les médaillons en porcelaine et les bronzes).
»

Photographies ci-dessous : « Commode. Matthieu Criaerd, sous la direction de Thomas-Joachim Hébert. 1742. Exécuté pour la chambre de Madame de Mailly au château de Choisy.  © Musée du Louvre, Dist-RMN-GP / Thierry Ollivier. »

« Chaise de François-Toussaint Foliot. Vers 1780-1781. Exécutée pour le "pavillon du  Rocher" ou Belvédère du jardin du Petit Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN-GP / Christophe Fouin. »

« Table à écrire. Attribué à Bernard II Van Risen Burgh.Vers 1745-1749. © The Fine Arts Museums of San Francisco. »

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Photographies ci-dessous : « Commode en tôle vernie. Pierre Macret (1727 - 1796). Paris, vers 1770. Provenant du mobilier de Marie-Antoinette dauphine. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist . RMN-Grand Palais / Christophe Fouin. »

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Photographies ci-dessous : Deux grandes consoles de vers 1720 (à gauche) et vers 1758, de style rocaille. Après :

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Photographie ci-dessous : Outils d'ébéniste.

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